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Villes/Nice/Université populaire/CR/492 mars - La non violence selon Etienne Balibar

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Révision de 5 juillet 2017 à 10:46 par Roman (discussion | contributions) (Les stratégies de civilité : une politique des identités ? par Cécile Lavergne)

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La non violence selon Etienne Balibar

492 mars (5 juillet 2017)

Son de l'atelier

A venir après l'atelier.

Présentation

Les stratégies de civilité : une politique des identités ? par Cécile Lavergne

Lien de l'article : http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RDES_085_0164

Dans cet article Cécile Lavergne propose de clarifier le concept de civilité à travers la référence aux identités des gens. Ce qu'elle appelle identité c'est les "identifications collectives sans lesquelles il ne peut y avoir de solidarité, de communauté".

Il ne s'agit pas de faire appel à une politique des identités qui serait gérable et planifiable par l'Etat, mais un jeu dialectique des identités que la multitude doit pratiquer pour éviter de tomber dans les deux travers de l'identité :

  • la rigidification radicale de l'identité, qui donne la violence ultra-subjective avec le nationalisme, racisme, extermination etc.
  • et la dissolution de l'identité, qui donnerait la violence ultra-objective des structures capitalistes marchandes, avec des sujets incapables d'y résister, n'ayant plus d'identité.
"La civilité est donc ce mouvement simultané d’identification et de désidentification qui doit s’opérer au sein de la multitude : elle est distanciation critique au sein même des identifications collectives sans lesquelles il ne peut y avoir de solidarité, de communauté. Elle est une réflexivité critique des sujets en lutte face à la puissance du collectif, sans se réduire à un individualisme stratégique. Impossible à circonscrire conceptuellement, elle relève d’un « art politique » (Balibar,Wallerstein, 1997, p. 52), qui ne peut se définir qu’en conjoncture [...]"

Elle insiste aussi sur le fait que la civilité "ne se planifient pas, ne se décrètent pas", au risque d’accroître la possibilité d'extrême violence. Elle doit toujours être le résultat de l'action réelle des gens, en fonction de leur situation.

Ensuite elle nous propose d'essayer de repérer des stratégies de civilité dans les révolutions arabes, à travers le cas de l'Egypte notamment analysé par la philosophe Judith Butler, en prenant le cas de l'occupation de la place Tahrir à partir du 28 janvier 2011 jusqu'à la destitution de Moubarak.

Elle nous dit :

"En effet, elle insiste sur deux aspects de cette mobilisation qui sont des indices de l’expérimentation de la civilité. En premier lieu, la sociabilité qui s’est organisée sur la place pour rendre possible l’occupation était d’emblée égalitaire : elle rompait avec la division du travail genrée, en imposant des rotations concernant les tâches de care (rangement, nettoyage, cuisine) et les prises de parole publiques qui ne reconduisaient pas les divisions entre les sexes. Ce qui signifie que la forme sociale de la résistance s’est structurée autour de principes d’égalité concernant à la fois ce qui relevait des revendications, et des actions contre le régime, et de l’organisation concrète de l’occupation. Elles remettaient en cause la distinction public/privé. Et elles incorporaient, dans la forme sociale en train de s’inventer collectivement, les principes pour lesquels les manifestants se battaient dans la rue : elles institutionnalisaient dans leurs pratiques l’égaliberté."

[pour info la notion d'égaliberté est définie par Etienne Balibar qui nous dit : « il n’y a pas d’égalité sans liberté et réciproquement. En conséquence, nul ne peut être libéré par un autre que lui-même, mais aussi nul ne peut se libérer sans les autres (ce que j’ai proposé d’appeler la proposition de l’égaliberté). »]

"En second lieu, même si les manifestants ont été contraints d’utiliser la violence comme répertoire d’action, notamment contre les militants pro-Moubarak qui ont assiégé Tahrir lors de la nuit du 28 janvier 2011, Butler insiste sur les chants pacifiques, en particulier le mot d’ordre « Silmiyya » qui signifie être en sécurité, innocent, irréprochable, de silm, qui signifie paix, mais aussi « la religion de l’islam ». Ces chants ont fonctionné comme une maitrise de la violence. Ils rappelaient que le but de la mobilisation n’était pas la haine ni l’affrontement, mais l’institution de l’égalité. Leur importance se justifie en regard d’une philosophie des affects. Butler insiste sur les affects positifs pour montrer qu’ils sont déterminants en politique. Ils favorisent en effet l’émergence d’une identité collective émotionnelle qui, loin de devenir exclusive et monopolistique, comme dans les processus de contagion de la haine, instituent affectivement le principe selon lequel la violence ne doit jamais devenir une fin en soi. Ces chants portent des logiques d’identification à un « nous » qui n’est pas circonscrit par une identité nationale, de genre, de classe, mais ouvert à l’alliance des différents modes de subjectivation militants. Associés à des pratiques de mobilisation qui instituent la prise en charge collective de la précarité des vies, ils montrent l’intérêt de penser la civilité dans une politique des corps et des affects"

Une réponse féministe à "Violence et civilité" d'Etienne Balibar par Zeynep Direk

Lien de l'article : https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RDES_085_0088

D'abord Zeynep Direk explique quels sont les principes de non violence chez Etienne Balibar. Il s'agit de dire que les institutions sont fondées sur la violence, et que donc il ne peut pas être question de s'en débarrasser complètement. On peut en revanche opter pour une violence moindre et pour des institutions qui donnent la possibilité de faire de la politique.

Il s'agit de critiquer la contre-violence marxiste, du fait de laquelle "le sujet révolutionnaire se trouverait inévitablement transformé jusqu’à la perte du sens de sa pratique. Autrement dit, la contradiction entre les fins et les moyens pousserait l’agent à se trahir, à s’aliéner, donc à la perdition de soi-même". En adoptant une posture de civilité plutôt que de contre-violence, on lutte contre le capitalisme comme système de fonctionnement créateur d’oppression et de violence extrême. La civilité est violente aussi (puisque tout est violent au sein de nos institutions), mais elle est permet de faire de la politique, de créer des alternatives, contrairement à la violence extrême vers laquelle tend le capitalisme, et qui elle bloque toute possibilité de progrès.

Pour donner des exemples de violence extrême, on peut par exemple prendre le cas des guerres où certaines populations sont déshumanisées au point qu'on puisse les exterminer en masse. La violence extrême est le fait de détruire l'autre comme personne capable de faire des choix et d'avoir un discours politique, le déshumaniser complètement.
Comme autre exemple de violence extrême on a aussi le nationalisme, le racisme, et le traitement qu'on réserve aux migrants en Europe par exemple, où on préfère les jeter à la mer plutôt que de les traiter comme des êtres humains.

Zeynep Direk propose ensuite d'utiliser le concept de violence extrême dans le cadre privé, dans les relations familiales de la violence domestique. En se basant sur le féminisme radical, elle dit que la famille est une institution patriarcale d'opression, dans la même logique que les autres institutions capitalistes d’oppression, et est à ce titre génératrice de violence extrême des hommes envers les femmes et enfants.

Pour illustrer la manifestation de cette violence extrême, elle dit que les femmes deviennent ultra-objectives, et perdent leur transcendance au profit de la seule immanence (elle utilise ces concepts empruntés à Simone de Beauvoir) :

"Comme elle le dit dans Le Deuxième Sexe, la transcendance appartient à l’être humain. La perte de la transcendance est pour la femme, la perte de la liberté humaine, l’obstruction par des structures sociales et historiques de la capacité à créer une œuvre, une institution, quelque chose de permanent dans le monde au delà du domaine privé où elle est prise par la routine dans laquelle elle donne des soins aux autres membres de la famille. Dans la perte de transcendance, la femme devient un être exploité dans la dimension immanente de son être. Cette immanence n’est ni de nature ni d’essence mais elle est l’expulsion de l’égalité et de la liberté de cet être dans son engendrement comme commodité, objet de possession. L’immanence dans la vie privée peut se transformer en une prison dont un être exposé à la violence extrême ne peut s’évader ; c’est un lieu de torture incessante."

Et cette violence domestique est ancrée partout. L'homme exerçant un rôle de dominant pouvant exercer la violence extrême dans son foyer peut aussi le faire ailleurs, à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. Même dans l'armée où il n'y a pas de femmes, les personnes dominées sont féminisées (comme le remarque Pinar Selek).

Elle tente ensuite de montrer comment la souveraineté de la majorité devient-elle une domination ou une dictature masculine. Elle utilise pour ça le concept d'homme jetable qu'Etienne Balibar a repris à Bertrand Ogilvie. L'homme jetable est celui qui n'est plus simplement exploité par le capitalisme, mais qui perd sa place dans cette société, dont plus personne n'a besoin, et qui est simplement exclu, plongé dans la misère et complètement délaissé.

Pour expliquer pourquoi la dictature des masses perdure alors qu'une quantité croissante de personnes sont dans la catégorie jetable, elle dit :

"Mais on peut aussi faire appel à l’admiration et à la fascination que l’homme, qui, perdant sa puissance économique et ses espoirs futurs, peut éprouver face à la spontanéité, au libre arbitre et à l’aisance de comportement par le biais desquels le souverain se manifeste au cours de l’exercice de son pouvoir en exerçant l’extrême violence. Cette fascination procure une récompense et il est possible d’élargir cette violence extrême en la transposant dans le domaine privé où l’homme se sent au-delà de tout questionnement."

Et plus loin elle dit :

"La violence émane du haut vers le bas, mais elle s’infuse aussi dans les nervures les plus fines de la société, elle n’arrête pas de pénétrer les relations interhumaines civiles les plus ordinaires et au quotidien"

Tout le monde subit l’oppression structurelle du capitalisme, mais les hommes ont au moins une femme sur laquelle exercer eux-mêmes une violence extrême, et c'est le seul moment où ils peuvent se subjectiver pour se satisfaire de leur sort misérable d'homme jetable.

Pour conclure elle dit que les femmes qui subissent la violence extrême créent de nouvelles formes d'action comme des réseaux de solidarité, un nouveau langage etc. Malgré la difficulté, elles ne cessent pas leur contestation.

[Est-ce que c'est un moyen pour dire qu'elles sont dans la civilité au lieu d'être dans la contre violence ? Peut-on être dans la civilité alors qu'on est déjà plongé dans la violence extrême ?]

La violence ? Quelle violence : réponse de Georges Labica à la conférence d'Etienne Balibar de 2004

Lien de l'article : http://www.lahaine.org/labica/b2-img/labica_violence.pdf

George Labica écrit sa réponse suite à une conférence de 2004 d'Etienne Balibar, où Balibar présentait Lénine et Gandhi comme "les deux plus grandes figures de théoricienss-praticiens révolutionnaires de la première moitié du XXème siècle". Labica est mort en 2009, donc avant que paraisse le libre Violence et Civilité (2010).

Il dit d'abord que cette idéologie de la non violence est caractéristique de notre époque en citant plusieurs penseurs de ce courant, et dit qu'il comprend en partie pourquoi : notamment parce que la violence ne fait qu'exploser comme jamais auparavant l'humanité n'en a connue, et aussi de par les expériences des mouvements communistes qui ont généré beaucoup de violence.

Mais pour lui la non violence ne tient pas parce que le concept de violence est fondamentalement creux, c'est là son argument central.

"La violence n'est pas un concept. Le terme renvoie à une multitude de formes, des sanglantes aux paisibles, de la bombe à la discipline d'usine, du meurtre d'un forcené à l'existence du système, à savoir les rapports capitalistes de production. Pourtant, il n'est d'autre violence qu'en situation."
"Opposer violence et non violence, fût-ce en stipulant qu'il s'agit d'action de masses, c'est soit nager en pleine métaphysique, soit ériger sa candeur en argument, soit dissimuler son impuissance, sa démission, son acquiéscement à l'ordre établi ou toute autre arrière-pensée. La violence ne peut se passer d'une qualification quelle qu'elle soit. La définir par "la force" ne fait que déplacer le problème. La plupart des dictionnaires et même des livres qui prétendent la prendre comme objet exprès se dispensent de la définir et se bornent à des énumérations descriptives selon les différents domaines, dont le structurel (le système) est en général exclu. La belle âme n'a pas de mains, c'est bien connu"

Il rappelle ensuite que les intellectuels latino-américains sont en général peu favorables aux thèses révolutionnaires exclusivement non violentes à cause de la situation difficile réelle que vit le peuple et à laquelle la non violence ne permettrait pas de répondre. Et Il rappelle aussi que la plupart des théoriciens de la non violence ont fini par soutenir des actions violentes en donnant plusieurs exemples, y compris une citation de Gandhi qui disait "Si il n'y a de choix qu'entre la violence et la lâcheté, je conseillerais la violence".

Et enfin le 2ème point qu'il évoque c'est que la violence n'est pas un choix. Quelle que soit la forme de la violence, qu'elle soit pacifique et structurelle (il rappelle que la pauvreté est une des pires violences qui soit) ou militaire et brutale, c'est en dernier ressort les dominés qui payent le plus cher. Ils ne choisissent donc pas la forme brutale de la violence mais doivent l'adopter parfois en fonction des nécessités de la situation.

"La lutte des masses, car elle existe bel et bien, au premier chef, de l’Amérique latine et au Moyen-Orient, se développe selon une dialectique alternant violence et non-violence, cette dernière toujours préférable et préférée pour l'économique des victimes véritablement innocentes celles-là qu'elle représente. "La violence est juste où la douceur est veine" fait gentiment dire Corneille à un des personnages de son Héraclius. Traduisons : le rapport de forces décide de la nature des luttes, tantôt politiques, économiques ou sociales, tantôt armées. Le stratège, au besoin, et quand il est là, n'a d'yeux que pour la conjoncture, "l'analyse concrète de la situation concrète". Il n'a jamais le choix entre "la violence; loi de la brute et la non-violence, loi de l'homme" (Gandhi) : qui sérieusement voudrait dépouiller l'homme pour la brute ? L'unique finalité d'un choix consiste à désarmer les masses."

Discussion

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