Modification de Villes/Nice/Université populaire/CR/314 Mars - Internet et ses enjeux selon Benjamin Bayart

=Internet et ses enjeux selon Benjamin Bayart=
'''314 Mars''' (8 janvier 2017)

== Présentation ==

La présentation se base en grande partie sur ces conférences (surtout la première) :<br />
https://www.youtube.com/watch?v=yBmz29_5ffA<br />
https://www.youtube.com/watch?v=JvvGZxjNHiw

===Qu'est ce qu'internet ?===

Internet c'est un réseau à commutation de paquets (par opposition aux réseaux précédents comme le minitel qui étaient à commutation de circuits). 
Il n'y a pas besoin d'établir d'abord une connexion entre deux ordinateurs pour commencer la communication. Une fois qu'on est connecté à internet on est connecté à l'ensemble des services, et on peut envoyer et recevoir des paquets de données de partout à la fois. On peut téléphoner en même temps qu'on regarde une vidéo et qu'on envoie une page web publique qu'on héberge à quelqu'un qui la demande.

C'est un réseau essentiellement passif, c'est à dire que l'intelligence se trouve en dehors du réseau, dans les périphériques connectés. A chaque fois qu'on veut ajouter une nouvelle fonctionnalité on le fait sur les ordinateurs connectés à internet et non sur les routeurs qui s'occupent de faire marcher le réseau. Pour le réseau téléphonique par exemple c'est le contraire, si on veut ajouter un nouveau service téléphonique c'est les antennes et centrales téléphoniques qu'il faut mettre à jour, et non les téléphones. C'est le réseau qui contient l'intelligence contrairement à internet.

C'est un réseau a-centré, composé de 40 000 réseaux indépendants interconnectés à travers le monde, et qui se sont mis d'accord pour ne pas utiliser deux fois la même adresse. Il n'y a pas d'élément maître du monde d'internet, chaque réseau indépendant a son bout d'internet et il maîtrise ce qui se passe sur réseau à lui et rien d'autre. Si on coupe internet en deux (ça arrive parfois) il y a alors deux internets indépendants qui marchent sans se parler.
Imaginons par exemple qu'on fasse une ablation des Etats Unis de la surface de la terre, que va-t-il se passer avec internet ? Les sites qui tournent sur des ordinateurs aux Etats Unis ne vont plus marcher (par exemple google, facebook vont probablement mal marcher ou plus marcher), mais les sites qui sont en France ou ailleurs vont continuer à marcher (le bouton like de facebook ne s'affichera sans doute pas, parce que c'est une mini page web de facebook qu'on affiche à chaque fois).
Même l'IANA qui est l'organisme international qui attribue les adresses ip pour joindre un ordinateur en aprticulier à travers internet n'a aucune autorité. Si l'IANA dit qu'il enlève telle adresse à tel réseau mais que le réseau en question continue de l'utiliser et que les autres ne coupent pas les interconnexions avec lui, l'IANA n'y peut rien. SI l'IANA faisait n'importe quoi, les autres ne l'écouteraient plus.

Internet c'est des services que des ordinateurs interconnectés se fournissent entre eux.
Il y en a un qui est centralisé légitimement, c'est celui du nomage (DNS), qui permet d'attribuer un nom de domaine à une adresse ip pour joindre un ordinateur avec un nom (par exemple nuitdeboutnice.fr qui pointe vers 148.251.22.43 sur le réseau, c'est l'ordinateur sur lequel est hébergé notre page principale). Mais dans le fond on peut très bien imaginer que ce service soit décentralisé. Par exemple moi je connais un bob autour de moi, dans un autre cercle bob pointe vers quelqu'un d'autre. Et si j'ai besoin de joindre l'autre bob, je demande bob dans l'annuaire de l'autre cercle. On peut donc très bien décentraliser l'ensemble des services d'internet.

Il y a d'autres services illégitimement centralisés, vestiges de l'ancien monde et de l'ancienne manière hiérarchisée de fonctionner, qui auraient très bien pu tourner sur le minitel, comme facebook, skype, google etc.

Et puis il y a les services a-centrés qui sont spécifiques à l'ère d'internet comme :
* le mail
* jabber
* mumble
* la blockchain
* les services pair-à-pair type bittorrent
* le web de manière générale à condition d'héberger nous-mêmes nos contenus
* etc...

===Ce que produit internet===

D'abord une définition : selon Benjamin Bayart, une société est la somme des interactions entre les individus.

Internet change de façon fondamentale la façon dont les individus communiquent, donc change de façon fondamentale la société.

Pour Benjamin Bayart, chacun des grands outils de communication (qui sont pour lui la parole, l'écriture, l'imprimerie, et internet) ont été inventés pour répondre à un besoin spécifique qui se faisait sentir. Par exemple l'imprimerie a été inventée plusieurs fois dans l'histoire mais sans beaucoup de succès, et quand elle a été réinventée par Gutinberg ça a pris tout de suite parce qu'il y avait beaucoup de connaissance à diffuser, beaucoup plus que ce que les moines copistes pouvaient copier... la société était en train de changer et elle avait atteint un point de blocage, dont elle a pu se sortir par l'imprimerie pour continuer son évolution.

Pour internet c'est pareil : quand Benjamin était à l'école son école recevait plusieurs mètres cube de revues scientifiques par mois, c'était un enfer à gérer. Aujourd'hui tout ça prend beaucoup moins de place et ça arrange tout le monde. Mais en même temps ça change beaucoup de choses dans la société.

Benjamin a par exemple identifié plusieurs stades par lesquels passent les internautes dans leur vie. Etant donné la brusque apparition d'internet il s'est trouvé que certaines personnes se sont retrouvées précipitées dans les premiers stades à 40 ans, mais ça n'arrivera plus. Les prochaines générations passeront par les premiers stades pendant leur enfance.
Les différents stades sont :
* l'acheteur
Il a acheté internet chez darty, et va l'utiliser pour faire des achats. Il transpose une habitude du monde physique dans le monde numérique. Il est pas encore vraiment converti au nouveau monde.
* le kikoolol
Il envoie juste des trucs marrants, photos de chats sur les réseaux sociaux etc.
* le lecteur
En général quand la personne n'a pas pu acheter son journal favori, il le consulte sur internet, et se rend compte ensuite qu'il peut en consulter d'autres sur le même sujet de source différente. Avant internet quasiment personne ne faisaient ça, sauf des personnes spécialisées qui faisaient des revues de presse.
Et il se rend aussi compte qu'il peut en général commenter. La phase avant de poster un premier commentaire peut durer assez longtemps.
* le râleur
Quand la personne poste son commentaire pour râler, 'elle s'exprime en public par écrit'. Il faut bien se rendre compte qu'il y a 40 ans les gens qui pouvaient s'exprimer par écrit en public c'était quasiment personne.
* le commentateur
A force de râler de manière non constructive et de s'entendre dire en réponse systématiquement qu'il faudrait se la fermer si c'est pour dire ça, il se met à lire les commentaires des autres avant d'écrire et essaye d'articuler des éléments cohérents. Le commentateur lit ce que disent les autres et argumente. Il a pris l'habitude d'être corrigé quand il dit une ânerie en public qu'il ne peut pas effacer. A peu près tout le monde finit par atteindre au moins le niveau commentateur en général, sauf si il meurt de vieillesse avant.
* l'auteur
A force de centaines d'heures à s'intéresser à un sujet, de discussions etc. on finit par écrire des commentaires trop longs parce qu'on en devient expert. On met alors le texte chez nous, et on met le lien en commentaire, plutôt que de le retaper à chaque fois.
* l'animateur
On se met à gérer un site sur un sujet en reprenant des textes construits d'autres auteurs.
    
==> Donc internet forme une génération de citoyens qui savent débattre par écrit et en public, des gens politiquement très dangereux.

L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 garantit la liberté d'expression, mais avant internet, qui pouvait vraiment s'exprimer en public ? Cette liberté était en fait fictive.
Internet permet à quiconque de publier des choses sans demander l'autorisation à personne, il suffit d'avoir un accès au réseau pour avoir une adresse ip pour son ordinateur et c'est tout. N'importe qui visitant notre page disponible à notre adresse verra alors notre publication. Toutes les adresses sont égales entre elles sur internet.

Internet n'a pas été conçu comme une anarchie par hasard. On dit souvent qu'il s'agit d'un projet militaire, mais il a été surtout financé par l'armée qui voulait quelque chose d'indestructible. Ceux qui l'ont conçu avaient surtout en tête que si il était indestructible, il serait alors surtout incontrôlable. Et en effet il est indestructible et incontrôlable. Google, facebook et le minitel sont très fragiles, à la moindre panne ils deviennent indisponibles. Internet par contre n'a jamais eu de panne. On peut le couper en deux il reste toujours vivant.

===Comment le préserver ?===

Pour préserver cette réelle liberté d'expression apportée par internet, il faut d'abord écarter le risque de censure au maximum avec des intermédiaires techniques qui doivent respectent la neutralité du réseau en se contentant d'acheminer les paquets sans y toucher.

Qui peut exercer la censure sur nos publications ou nos échanges sur internet ?

1- L'hébergeur de notre contenu. Si le contenu n'est pas hébergé sur notre ordinateur il est hébergé sur celui de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre peut alors facilement accéder à son ordinateur et modifier ou enlever nos publications. Il faut donc dans la mesure du possible héberger nous-mêmes nos contenus, ou à la limite les héberger chez des hébergeurs de confiance, petits et locaux, plutôt que de centraliser chez facebook ou même chez amazon.
Des solutions autour de la blockchain par exemple peuvent permettre d'apporter des solutions en ce sens. Il y a déjà des projets où une blockchain contient des contenus postés par les utilisateurs, et opérés de manière distribuée sur tous les ordinateurs connectés à ce "réseau social".
Il y a aussi le fait qu'aujourd'hui un ordinateur capable d'héberger un site web chez nous ne consomme quasiment rien en terme d'énergie, un simple smartphone est déjà capable de faire bien plus que ça (et encore dans le smartphone ce qui consomme le plus c'est l'écran). Chacun d'entre nous possèdera bientôt plusieurs dizaines d'ordinateurs chez lui.

2- Notre fournisseur d'accès peut techniquement contrôler ce qui se passe sur SON réseau, peut empêcher ou rendre difficile notre accès à certaines adresses donc à l'ordinateur de certaines personnes ou entreprises. Il faut donc qu'il y ait un maximum de fournisseurs différents et petits pour limiter le problème du contrôle facile d'internet par le gouvernement ou quiconque d'autre de malveillant. Aux débuts d'internet les petits hébergeurs étaient nombreux, aujourd'hui en France il y en a 4 gros (orange, SFR, numéricable et free) et des centaines de petits (dont les hébergeurs associatifs du réseau FDN dont Benjamin Bayart est le président). Mais le gouvernement et les gros font tout pour étouffer les petits, et pour faire perdre à internet sa nature incontrôlable par tous les moyens...
En ce moment le gouvernement essaye aussi par tous les moyens de passer des lois pour porter atteinte à la neutralité du réseau, en obligeant les fournisseurs d'accès à filtrer le réseau en fonction de certains critères, souvent en prétextant lutter contre la pédopornographie ou le terrorisme. Il faut absolument se battre contre ça et défendre la neutralité du réseau.

3- Notre ordinateur lui-même a de plus en plus de mal à nous obéir, en particulier pour les ordinateurs de poche (que sont les smartphones), et les ordinateurs dans les objets connectés. Exemple : quand on met un DVD dans notre lecteur DVD, il montre d'abord des logos et pubs qu'on ne peut pas zapper. Quand on lui demande de zapper il ne VEUT pas. Il peut, mais ne veut pas. Il obéit à quelqu'un d'autre que nous bien que ce soit notre ordinateur.
Ce genre de dérive est très dangereuse et va très certainement continuer à se répandre...

Pour terminer sur du positif, parce que Benjamin a une vision très positive de l'avenir :

En 1865 en Angleterre on a promulgué le "locomotive act". Les voitures arrivaient sur le marché et commençaient à menacer économiquement les trains. Alors comme la voiture c'était quelque chose de dangereux, le locomitive act obligeant toute voiture passant dans une ville à être systématiquement précédée d'un piéton agitant un drapeau rouge à quelques dizaines de mètres... l'ancien monde se protégeait, comme il pouvait.

De nos jours le locomitive act c'est Hadopi de la part du lobby des majors de la musique et du cinéma, c'est les tentatives de filtrage d'internet et ce genre de chose, souvent avec des tentatives de les faire passer par des traités internationaux parce qu'on peut difficilement y toucher une fois le traité rédigé, la tentative de donner au CSA un pouvoir de régulation des contenus etc.
Nous finirons par gagner à la fin et nous aurons notre société débarrassée de la hiérarchie, Benjamin en est convaincu, mais est qu'on va gagner rapidement ou est-ce qu'on prendra 100 ans de retard à cause de l'ancien monde qui se défend bien ? Là est la question.
    
==Discussion en atelier==