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Villes/Nice/Université populaire/CR/520 Mars - L'Ethique de Spinoza vue à travers Arne Naess (2) et la communication non violente

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L'Ethique de Spinoza vue à travers Arne Naess (2) et la communication non violente

520 mars (2 août 2017)

Son de l'atelier

Arrivera après l'atelier.

Présentation

Suite de l'Ethique selon Arne Naess

Au dernier atelier on avait vu l'unicité de la substance qui est aussi Dieu, et les diverses lectures possibles des relations entre cette substance, et les modes changeants de cette substance qui constituent les animaux, les humains, les objets. Dans la lecture traditionnelle l'importance était la substance et les modes étaient secondaires, alors que Arne Naess dans sa lecture renversait les choses à partir de l'idée que "sans modes il n'y a pas de substance". On pouvait à travers lui voir Spinoza comme un critique de la pensée substantialiste, qui va dans le sens du reproche d'hérésie qui lui a été fait, puisque selon lui alors Dieu ne serait pas important.

Nature naturée et nature naturante

Il ne s'agit pas de deux parties de la nature, mais plutôt de deux types de regards sur la nature, c'est à dire sur Dieu.

Le simple emploi du participe passé et présent aide à comprendre ces notions : la nature naturée c'est la nature en tant qu'elle est donnée, c'est à dire les diverses entités qui la constituent. Exemple : le soleil, les étoiles, nous etc. La nature naturante a un aspect plus dynamique, c'est le principe d'organisation de ces choses, ce qui les active, les fait être. Par exemple si la nature naturée sont les planètes, la nature naturante c'est les forces d'attraction qu'il y a entre les planètes, les principes actifs qui font que les choses sont ce qu'elles sont.

Naess met l'accent sur la transformation quand il parle de nature naturante. Il en parle en tant que du principe de créativité à l’œuvre dans la nature. Les êtres humains créent des choses, les plantes aussi, les fleuves créent leur lit etc.

Naess : "Dieu en tant que nature naturante n'est rien d'autre qu'un mot pour exprimer la créativité manifestée apr les êtres singuliers en interrelation".

Jean-Luc : imaginer un génie qui tirerait tout de sa tête est fantasmatique. Le génie n'est génie que parce qu'il interagit avec des non génies qui font de lui quelqu'un de génial.

3 types de connaissance

Il y a 3 genres de connaissance :

  • La connaissance du 1er genre c'est la connaissance par les choses directement ou par les signes. Ex : on voit une fleur, on lit la définition de fleur, et alors on la reconnait, on sait ce que c'est.
    C'est uen connaissance inférieure. On peut facilement se tromper, en prenant un canard pour un ornithorynque.
  • La connaissance du 2ème genre est une connaissance rationnelle, c'est une connaissance supérieure.
  • La connaissance du 3ème genre est la science intuitive, une connaissance qu'on a par un accès direct aux choses dans leur profondeur. Ce type de connaissance naît du 2ème genre et elle est la vraie forme supérieure de la connaissance.

La connaissance du 2ème genre c'est typiquement celle d'un chercheur, d'un mathématicien qui connaît un peu son domaine. Quand il résout un problème il a une connaissance rationnelle, construite par une démarche rigoureuse.

La connaissance du 3ème genre est celle de la même personne qui a résolu son problème, et ne se contente pas de voir dans sa démarche une démarche étape par étape sans vue d'ensamble. Ayant fait la démonstration, la personne éprouve alors la nécessité de son raisonnement, elle ne perçoit plus ça comme une suite d'étapes déconnectées mais arrive à embrasser la démarche du début à l'arrivée. La démonstration s'impose à elle comme une évidence, une nécessité.

Si on lit les textes de grands mathématiciens sur leur pratique, ils parlent de la "beauté" d'une démonstration. Il s'agit de la connaissance du 3ème genre qui nous fait voir une nécessité, une harmonie de l'ensemble.

Selon Naess, cette connaissance du 3ème genre est une relation d'amour. Et donc avoir une connaissance du 3ème genre de la nature c'est aimer la nature, aimer Dieu.

Mais il ne suffit pas d'avoir ce 3ème genre de connaissance tout seul, parce qu'il est alors encore imparfait. Naess attire notre attention sur un passage de Spinoza dans le traité de la réforme de l'entendement : "Le souverain bien consiste à jouir de la connaissance de l'union de l'esprit avec la nature totale, avec d'autres individus si possible". La connaissance supérieure c'est donc la connaissance partagée avec un maximum d'autres personnes.

On a alors un aspect politique : on ne peut donc pas partager la connaissance du 3ème genre avec tous en utilisant la répression et la force, mais bien par la conviction, l'apprentissage. Et donc si on utilise l'imposition, on ne peut pas être dans la la forme supérieure du partage de connaissance du 3ème genre.

Lien entre activité et rationalité

Spinoza favorise le lien entre activité et rationalité. Être libre c'est pouvoir mener complètement con activité conformément à sa nature. On a là pour Spinoza une différence entre l'être humain et l'animal : la nature du scorpion c'est de piquer, donc la liberté du scorpion n'est pas du même niveau que la liberté de l'être humain.

Spinoza écrit : "Nous sommes actifs lorsque de notre nature, il suit en nous ou hors de nous quelque chose que l'on peut comprendre par elle seule."

Comme le propre de notre nature est la rationalité, nous sommes actifs et libres de notre activité quand nous agissons rationnellement. Dès lors il y a chez Spinoza une critique de toutes les passions, qui sont inférieures à la façon rationnelle d'agir. L'action rationnelle est celle qui nous permet le plus de déployer notre nature.

Ceci dit il peut y avoir des passions utiles qui augmentent notre activité rationnelle. Par exemple l'amour. Par contre les passions comme la haine, le ressentiment, sont des passions négatives qui nous diminuent. On ne peut ni partager notre rationalité grâce à ces passions négatives, ni agir dans le sens de notre être en ressassant des désirs de vengeance tristes.

Notes de l'Ethique :

  • Proposition 15 du livre V : "Celui qui se comprend lui même et comprend ses sentiments distinctement et clairement aime Dieu, et d'autant plus qu'il se comprend lui-même et comprend mieux ses sentiments."
  • Démonstration de la proposition 20 du livre V : "Cet amour envers Dieu est le souverain bien que nous pouvons désirer selon le commandement de la raison. Il est commun à tous les hommes et nous désirons que tous en jouissent."


Spinoza et la communication non-violente

Lien de l'article :

Dans son article, Jean-Pierre Vandeuren propose de trouver des fondements théoriques dans l’Éthique de Spinoza pour caractériser la communication non-violente décrite par Marshall Rosenberg.

On va définir des concepts spinosistes pour essayer de les appliquer à la CNV.

le conatus

Petite citation de l'Ethique : « Toute chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être » (Eth III, 6) et une autre « L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose » (Eth III, 7).

C'est cet effort qui existe en toute chose de par son essence que les commentateurs ont fini par appeler "conatus". Pour les êtres humains Spinoza utilise régulièrement les termes d’appétit, et de désirs, les désirs étant les conatus dont on a conscience, alors que les appétits ceux dont on n'a pas conscience.

Petit point important : pour Spinoza le monde est entièrement déterministe et toute chose a une cause, y compris la moindre des volontés humaines. Et donc selon lui on peut au mieux être conscient de notre conatus en apprenant à nous connaître et à connaitre nos conditionnements, mais on ne peut pas en décider librement. Et même le fait de décider exprès de changer de comportement pour prouver que c'est faux participe du déterminisme en question et de notre conatus.

Citation de l'Ethique : « Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; car cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent. » (Eth II, 35, Scolie).

Pour revenir au conatus chez l'homme, « l’effort pour persévérer dans son être » se résume surtout à quelques mécanismes de base, dont le principal est un mécanisme de socialisation par imitation. L'homme imite ses congénères et acquiert des habitudes de sa famille, de l'école, etc. (on peut se rappeler ici de l'habitus de Bourdieu qui a été beaucoup inspiré par Spinoza).

le cycle génétique des passions de base

Pour Spinoza, la vraie connaissance de soi ne peut être que génétique, non pas au sens du code génétique, mais au sens philosophique du terme, où on remonte la chaîne d'étapes qui se déroule vraiment en nous. Pour expliquer les comportements humains, Spinoza développe une théorie des passions, sur ce mode génétique par étapes successives, et organisés en cycles.

Selon lui, le point de départ est toujours le conatus qui nous anime de par notre essence. Et en évoluant dans le monde, ce conatus va soit être conforté, donnant à l'individu un sentiment de puissance et de joie, soit être contrarié, donnant un sentiment de tristesse. Ensuite l'individu va se rendre compte que ce sentiment de joie ou de tristesse est lié à un objet extérieur qu'il a rencontré, et de là il va éprouver de l'amour ou de la haine pour cet objet.

En mettant ça sur un shéma ça sonne ça :

Conatus → Joie ou Tristesse → Amour ou Haine → désir particulier → …

Pour boucler sur le cycle, l'homme va alors désier l'objet qu'il aime, et en fonction du fait que ce désir soit satisfait ou non, on va avoir de nouveaux affects de joie ou de tristesse et ainsi de suite...

En n'analysant pas génétiquement ce qui lui arrive, l'individu fait en général l'erreur de penser que c'est l'objet qu'il aime qui est en soi la cause de son désir. Mais c'est une erreur : la cause du désir est en lui, dans son conatus qui a évolué et acquis des habitudes avec son l'environnement.

Et c'est là que se fait le premier rapprochement avec la méthode de la communication non violente de Rosenberg :
Citation de Rosenberg qui le dit lui-même : « La CNV nous aide à nous mettre dans un état d’esprit plus serein en nous encourageant à focaliser notre attention sur ce que nous voulons réellement plutôt que sur nos défaillances ou celles des autres. » (page 216).

On va donc avec la méthode de la CNV éviter l'aliénation qui consistait à considérer que l'objet était la cause de notre désir, mais chercher la cause de notre désir en sous-mêmes, et donc comprendre vraiment ce qui se passe en nous de la manière dont ça se passe, c'est à dire génétiquement selon le shéma qu'on vient de voir.

l'ingenium

Pour Spinoza nous sommes le résultat de notre essence et de son conatus, exposé en permanence à des affections des objets qui nous sont extérieurs, nous en sommes constamment affectés dans notre degré de puissance (c'est à dire la satisfaction de notre conatus). Et c'est donc pour ça qu'on appelle les sentiments qui résultent du conatus affecté par l'extérieur : "les affects".

La manière dont nous sommes affectés dépend d'un filtre que Spinoza appelle l'ingenium, et qu'on peut résumer par "la personnalité". C'est l'ensemble des institutions qui nous ont formé, de nos expériences acquises, et de nos caractéristiques innées.

Si on veut remonter la chaîne de causalité de l'ingenium (c'est à dire de la personnalité), on va tomber sur ce que les psychologues appellent les schémas, qui sont des modèles permettant d'expliquer les réactions des personnes dans différentes situations. Ces schémas sont le résultat des expériences que nous avons vécus, et non pas de notre raison. En quittant la psychologie pour passer dans le monde de la sociologie, l'équivalent des schémas est ce que Bourdieu appelle les "illusio", c'est à dire le fait d'être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle, que ça vaut la peine pour qu'on y participe. Cet illusio est acquis par la socialisation, donc bien de l'extérieur et non par la Raison. Si on remonte un peu la chaîne il est généré par le fameux habitus de Bourdieu, qui est l'ensemble des comportements acquis par la sphère familiale, scolaire, professionnelle qu'on reproduit inconsciemment à notre insu.

On en arrive donc au schéma suivant qui constitue le cycle génétique complet des passions de base :

                      Chose extérieure
                             ↓
Essence (Degré de puissance) → Affection → Affect (joie ou tristesse) → désir → action → …
                                         ↑
                         Ingenium (= manière d’être affecté = personnalité)
                                         ↑
                         Schémas (= visions passionnelles du monde = schémas = illusios)
                                         ↑
                                      Habitus
                                         ↑
                         Environnement familial et socio-culturel


Selon Rosenberg, le problème vient du fait que nous voyons chacun les choses différemment, et la communication aliénante consiste à admettre que les autres voient les choses de la même manière que nous, et d'utiliser alors des jugements moralisateurs, des comparaisons, des exigences et des punitions.

Spinoza de son côté dit lui aussi que ce qui nous rend violent c'est quand on essaye d'imposer nos visions passionnelles du monde (nos schémas) aux autres qui ne nous comprennent pas parce qu'ils sont affectés différemment.

L'ambition de gloire

Pour Spinoza, le véritable ciment de notre société est ce qu'il appelle l’ « ambition de gloire », ce « désir par lequel tous les sentiments sont favorisés et fortifiés » (Eth III, Définition Générale des Affects, 44, Explications). Ca veut dire qu'on a tous besoin de se faire approuver des autres, c'est une de nos caractéristiques fondamentales vis à vis des autres, et c'est ça le véritable objectif de notre comportement d'imitation initial.

Le problème c'est que si on n'a pas cette reconnaissance, on a tendance à vouloir réaliser notre ambition de gloire en l'imposant, en la transformant alors en domination. Et donc la reconnaissance immédiate et naturelle empêche la naissance de ce passage de l’ambition de gloire à l’ambition de domination et donc la naissance de la violence et de la haine. C'est ce que préconise Rosenberg dans le chapitre 13 où il conseille d'exprimer pleinement sa reconnaissance.

La CNV : un processus basé sur la Raison ?

Les 4 étapes proposés par Rosenberg :

  1. observer sans juger
  2. exprimer ses sentiments
  3. trouver le besoin sous-jacent
  4. et faire une demande concrète

procèdent bien d'une analyse rationnelle de ce qui se passe en soi, en remontant la chaîne des causalités génétiques. Mais Rosenberg insiste beaucoup sur l'empathie et les aspects affectifs, comme le fait de rester sincères, vulnérables, dans un lien du cœur etc. en s'identifiant à l'autre plus qu'en l'analysant avec raison.

Il diverge un peu par cet aspect de Spinoza pour qui seule la Raison peut permettre de régler vertueusement les problèmes.

« La vertu véritable n’est autre chose, en effet, qu’une vie réglée par la Raison ; et par conséquent l’impuissance consiste en ce seul point que l’homme se laisse gouverner par les objets du dehors et déterminer par eux à des actions qui sont en harmonie avec la constitution commune des choses extérieures, mais non avec sa propre nature, considérée en elle-même » (Eth 37, Scolie 1).

Jean-Pierre Vandeuren pense que c'est une faiblesse théorique de la part de Rosenberg de rester vague là-dessus.

Discussion

A venir après l'atelier.