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Villes/Nice/Université populaire/CR/555 mars - Théorie de la violence de Georges Labica

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Théorie de la violence de Georges Labica

555 mars (6 septembre 2017)

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Présentation du livre par Roman

Georges Labica nous présente la violence comme un concept très diffus, qu'on commence à penser depuis à peine 50 ans, qui comprend le pain volé par un pauvre pour survivre, la fessée donnée à un enfant, autant que le meurtre de masse, en passant par la violence au travail, ou la violence colonisatrice. On arrive à décrire les formes de la violence, mais on n'arrive pas à donner une définition à ce mot pour pouvoir vraiment penser ce concept qui regroupe trop de choses, et qui pourtant est utilisé en permanence.

Ensuite il nous présente le cas de Job, le personnage biblique qui était un modèle de piété, mais comme Satan avait convaincu Dieu de lui infliger des souffrances, il était frappé par les maladies. Et alors Job ne se laissait pas faire, il interpellait Dieu en lui demandant pourquoi cette injustice alors qu'il essaye de faire au mieux pour être lui-même juste et bon avec les autres ? Les amis de Job lui ont dit qu'il était inconscient d'interpeller Dieu comme ça, qu'il était insignifiant. Et finalement Dieu lui-même intervient pour lui dire la même chose : qu'il est insignifiant de vouloir s'opposer à ce qui lui arrive, pour finalement le rendre heureux et prospère à nouveau quand Job avoue son insignifiance et son illégitimité à se plaindre de son destin injuste.
Cette histoire de Job a été largement commentée dans la littérature et l'art, et pour Georges Labica elle constitue une sorte de métaphore de la violence. Il fait aussi le lien avec l'histoire d'Abel et Caen : alors que Dieu acceptait les offres d'Abel, il refusait, pour on ne sait quelle raison, les offres de Caen. Et Caen a fini par tuer Abel...

Labica parcourt ensuite la mythologie antique, les pièces de théâtre du moyen âge, l'art iconographique etc. pour montrer toute la violence qu'on peut y trouver, entre les histoires d'inceste, de viol, de vengeance, de dépeçage etc. Puis il revient dans le présent pour montrer que cette représentation continue à l'époque moderne avec le cinéma et les médias modernes. Il nous dit alors que notre société n'a rien à envier au passé en terme de violence qui se retrouve maintenant dans tous les domaines : agressions, incivilités à l'école, harcèlement au travail, guerres permanentes, génocides etc. et que ce soit dans le passé ou le présent, on retrouve souvent l'idée qu'en dernier ressort c'est le destin immuable de l'homme, sa nature qui le plonge dans la violence.

Il en dégage 4 propriétés de la violence :

  • elle procède par enchaînement : une fois qu'on a un acte de violence, les autres suivent
  • elle est cumulative : une fois le premier acte de violence commis, les autres suscitent une certaine anesthésie morale
  • elle est compétitive : on cherche toujours à aller plus loin dans la violence dans un esprit de vengeance en allant plus loin que l'autre
  • elle est spécifiquement humaine : parce qu'elle est culturelle dans toute sa complexité (p97) quand on l'associe aux animaux ou aux phénomènes naturels on pense en fait plus à la force qu'à la violence.

Ensuite il essaye de chercher une définition à la violence. Étymologiquement elle renvoie non pas à une malédiction tombée du ciel mais plutôt au devenir d'une force qui croit en degrés, jusqu'à l'outrance, et se met à déranger l'ordre.
En cherchant chez les différents auteurs qui ont écrit sur le sujet, la plupart décrivent les formes de la violence en détail, mais soit n'essayent pas d'en donner une définition, soit déclarent qu'ils n'y arrivent pas et que ce mot recouvre trop de choses diverses.

Labica esquisse sa vision de la violence qui est un peu celle de Bertrand Ogilvie : le fait que la violence est "toujours un résultat, effet particulier du processus de contrainte et de résistance qui selon la conjoncture la font passer de l'insensible à l'intolérable". La violence n'est pas quelque chose en nous que certains ont plus que d'autres, mais elle est plutôt le résultat d'une mise en situation.

Il nous dit par ailleurs que selon les chercheurs en sciences humaines, l'association entre violence et souffrance ne fait aucun doute. Et il nous donne plusieurs shémas :

  • V/S/V : où on a une violence initiale qui provoque une souffrance, suivie d'une violence réactive, d'une contre-violence
  • V/S/P : où on a une violence, une souffrance, qui se transforme en plaisir, par exemple dans les rites initiatiques qui à la différence de la torture ne sont pas deststructeurs et déshonorants, les rites religieux tels que le jeune, ou même l'auto-flagellation. Et en allant encore plus loin on peut prendre le cas des martyrs qui cherchent une forme de bonheur dans le supplice.

Mais alors où chercher l'origine de la violence initiale ? Pour une grande partie on peut la trouver dans des violences subies au cours de la vie (alors on retombe dans le schéma V/S/V), y compris dans l'enfance. Mais ces facteurs n'expliquent sans doute pas tout. L'être humain a depuis toujours un penchant pour la cruauté, la torture, qui est difficilement explicable, et que des philosophes antiques et certaines recherches associent au sentiment de mélancolie...

Il part ensuite à la recherche des doctrines qui pensent sans la violence. D'abord du côté des religions qui ont un discours assez large de condamnation de la violence, d'appel à la tolérance, et qui pourtant ont, selon la page où on regarde, des passages appelant au contraire à la violence pour punir les méchants ou les infidèles. Puis du côté des philosophes qui condamnent quant à eux assez largement la violence. Labica fait remarquer le contexte dans lequel la philosophie est née dans la Grèce antique : au moment où on sortait de l’organisation en clans pour adopter la division territoriale de la cité-Etat, on mettait en avant la rationalité. Deux courants s'affrontaient essentiellement : les sophistes, épicuriens, et autres matérialistes athées, dont des milliers d'ouvrages ont d'ailleurs disparu, et dont l'action a débouché sur la démocratie en étendant la raison à la communauté politique, et les idéalistes comme Platon. Mais tous condamnaient la violence à leur manière. Et les cités grecques étaient le lieu de la raison, de la pensée, mais pas le lieu de la révolution. Labica fait aussi remarquer que pratiquement tous les philosophes ont tenté, à défaut de gouverner eux-mêmes, d'être les conseillers des gouvernants et princes, pour imposer leur idéal de mise à l'écart de la violence par la mise en avant du droit.

C'est donc ainsi que les religions et les philosophes ont depuis des siècles mis à l'écart la violence au profit du droit. Mais Georges Labica nous dit que le droit et la violence n'en demeurent pas moins indissociables. Aujourd'hui pour lui seul l’État et les travailleurs organisés à travers le droit de grève disposent vraiment d'un droit à l'exercice de la violence. Labica distingue ici la violence fondatrice du droit que peut constituer celle des travailleurs organisés, et la violence conservatrice des policiers qui protègent l'ordre qui a été fondé auparavant par une violence fondatrice antérieure. Il nous fait remarquer aussi que le droit bouge en permanence par l'action de nouvelles violences fondatrices [C'est ce que disait Mathieu dans son article "L'empire" quand il dit qu'on peut changer les lois par les différentes luttes], et cite Walter Benjamin qui dit à propos de la justice : "Que disparaisse la conscience de cette présence latente de la violence dans une institution juridique, cette dernière alors périclite... Car aucun compromis, même librement accepté, ne peut échapper au caractère d'une contrainte.".

Puis il part explorer les mouvements de non-violence, qui eux luttent explicitement contre la violence au lieu de la mettre simplement à l'écart. Ils prennent racine chez des philosophies comme celle de Platon en occident et Confucius en orient, qui prônent un idéal de paix perpétuelle. On a ensuite plus récemment le discours de la servitude volontaire de La Boétie qui en appelle à une non-violence négative, c'est à dire qui n'appelle pas à l'action, mais simplement dit de ne plus servir les maîtres pour être libres, stratégie qui n'est pas applicable directement. D'autres ensuite établissent des stratégie de non violence positive, c'est à dire révolutionnaire. C'est le cas notamment de Gandhi sur lequel on a fait un atelier. Sur Gandhi Labica ajoute quelques éléments quand même pour souligner son ambivalence. Il dit notamment qu'il était raciste envers les noirs et les juifs. Il a déclaré par exemple à propos du génocide des juifs : "Hitler a tué cinq millions de juifs. Mais les juifs auraient du s'offrir en masse au couteau du bourreau. Ils auraient du se précipiter dans la mer du haut des falaises (...) En fait, ils auraient succombé par millions d'une façon ou d'une autre". Et puis il n'hésite pas à prôner la violence parfois aussi en disant par exemple "Je risquerais mille fois la violence plutôt que l'émasculation de toute une race". Labica note qu'il a cette ambiguité vis-à-vis de la violence qu'on retrouve aussi dans les grandes religions, de même que beaucoup de personnes historiques se réclamant de la non-violence, qui ont par moments soutenu des actions violentes.
Enfin, il nous dit que les diverses victoires qui ont pu être remportées par les actions non violentes ont quand même pour la plupart eu lieu dans un contexte où le pouvoir était déjà bien affaibli, et largement malade. En général quand il ne l'est pas, il a beaucoup moins de compassion et n'hésite pas à réprimer largement les non-violents. Il fait aussi remarquer que l’État fait la promotion de la non-violence, loue Ganghi ou Martin Luther King, alors qu'il dénigre toute possibilité d'action violente.

Georges Labica mentionne ensuite le courant de la théologie de la libération, spécifiquement très présent en Amérique latine, alors que le marxisme y est beaucoup moins influent. L'idée de ce courant c'est de s’appuyer sur la religion (majoritairement chrétienne, mais acceptant les autres) pour aller vers un changement social favorable aux pauvres. C'est dans ce courant-là qu'on peut placer ce qui s'est passé à Cuba, ou dans une époque plus récente au Venezuela, en Bolivie, avec un fort mouvement au Brésil etc. [Et au passage je pense que la chanteuse Keny Arkana, bien qu'était plutôt anarchiste sur pas mal de points, se place dans une certaine mesure dans ce courant de théologie de la libération] Et ce courant, bien que privilégiant la non-violence, n'exclut pas l'usage de la violence si la situation le nécessite.

Il s'intéresse ensuite au rapport entre la violence et le pouvoir, en notant qu'en allemand le mot Gwalt désigne à la fois violence et pouvoir alors qu'en français les deux mots sont séparés. Il distingue plusieurs rapports de la violence au pouvoir : la violence peut servir à le conserver, l'étendre, le défendre ou le prendre. Que ce soit par une servitude volontaire dans les sociétés dites libres, ou par une servitude forcée dans les dictatures, à chaque fois les gens obéissent au pouvoir en place qui a l'usage de la violence pour garder son pouvoir et remettre les gens dans le droit chemin quand il le faut. L'usage qu'il fait de la violence dépend de la conjoncture, du rapport de force, si il y a de la contestation ou pas. Le pouvoir utilise aussi la violence pour étendre son empire en n'hésitant pas à organiser des massacres dans d'autres pays. Et enfin dans le cas de la prise du pouvoir par la violence sous forme de coup d'Etat, on peut toujours être dans une transformation du pouvoir qui poursuit les mêmes buts oppressifs qu'avant, mais par d'autres voies. C'est pour ça que Labica propose de réhabiliter la différence entre violence émancipatrice et violence asservissante. La violence émancipatrice est celle qui lutte contre l'hégémonie du système.

Ce système, c'est l'ensemble des mécanismes qui constituent le capitalisme, aujourd'hui dans sa phase mondialisée. C'est à cause de lui que la violence n'a pas diminué dans notre société malgré le bond technologique et scientifique qu'on a pu connaître. On a un chômage structurel de masse, des millions de personnes mal logées, la majorité de la population qui subit l'oppression du marché du travail, un simulacre de démocratie, des guerres et massacres qu'on organise un peu partout, mais aussi des centaines de millions de personnes souffrant de faim dans le monde etc. Ce système qui est aujourd'hui piloté par les intérêts de l'empire américain, a besoin d'un ennemi pour faire diversion et maintenir les gens dans l'obéissance, et maintenant que l'autre camp qui était là au 20ème siècle est tombé c'est le terrorisme qui le remplace dans le rôle d'axe du mal. Mais personne ne définit jamais ce terrorisme, il est là où l’État le désigne, au besoin en appelant terroristes ses ennemis du moment si ils deviennent menaçants.

Finalement, Georges Labica en appelle à une réhabilitation de la révolution, violence émancipatrice comprise, mais aussi à une démocratie dans la révolution, une démocratie populaire véritable. C'est pour lui la seule solution pour arriver à une société où il y a moins de violence, alors que simplement appeler à la paix en gardant le système ne fait paradoxalement que l'accroitre.

Discussion

A remplir après l'atelier.