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Villes/Montluçon/sciences/Le déchiffrement d'une écriture inconnue

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Le problème du déchiffrement d'une écriture inconnue peut se poser de deux façons différentes et les méthodes employées pour le résoudre doivent varier en conséquence Ou bien on se trouve en présence d'une écriture rendue à dessein inintelligible, afin que seul un groupe d'initiGn puisse s'en servir, ou bien il s'agit tout simplement d' une écriture sortie de l'usage et dont il faut retrouver la clef.

Dans le premier cas on sait - au moins approximativement - à quelle langue on aboutira; tout l'effort du "d6. crypteur" - nous employons à regret ce mot barbare, main technique - vise à découvrir à quel procédé a eu recours l'auteur du"chiffre". Il est en effet deux méthodes principales, susceptibles elles-mêmes de nombreuses variantM méthode de substitution et méthode de transposition. Avec la première on remplace soit chaque mot, soit chaque syllabe, soit, chaque lettre par un autre mot, une autre syllabe ou une autre lettre. On cherche d'ailleurs d'ordinal re à dérouter les curiosités indiscrètes en n'employant pas toujours la même lettre pour une lettre donnée, main en la changeant selon une convention préétablie. On abou. tit ainsi à des systèmes extrêmement compliqués, que noue ne saurions songer à décrire ici. La méthode de transpositinn,qui ne peut guère s'appliquer qu'aux lettres, con. siste à en modifier, à en brouiller l'ordre de telle façon que le texte soit inintelligible pour qui ne posa3(ia pas la "clef"permettant de restituer l'ordre initial: lais tableaux de transposition et les grilles ne sont que den applications différentes du même principe.

Nous n'insisterons pas davantage sur ce sujet, qui d6. borde le cadre de notre exposé (1); mais le lecteur qui a assisté avec nous à la découverte de tant de systémee d'écriture, tombés dans l'oubli depuis des siècles ou (lis millénaires, se demande sans doute si c'est par hasar(l, par ingéniosité ou en appliquant une méthode rigoureux" qu'on est arrivé à arracher leur secret aux écrituresnrtes. Chemin faisant nous avons donné déjà quelques in(li. cations sur les procédés de déchiffrement. Nous voudriuw simplement y revenir ici, d'une manière plus syst€:aati,pa et à l'aide de quelques exemples concrets. LE DECHIFFREMENT'DES ÉCRITURES INCONNUES APPENDICE I 564 — parquons tout d'abord que les procédés dont use le rfreur ressemblent •à ceux qu'emploient le décrypte us, s de "substitution". La tache du déchiffreur estpha e, en ce qu'il ne se heurte pas &une volon_t6 arrAi la part de l'auteur du texte, pour le tromer; el- plus difficile, en ce qu'il se trouve en présence Ltures souvent très éloignées du type d'écriture al- :igue qui est aujourd'hui le nôtre - et de langues 3llement ou totalement ignorées. isieurs cas peuvent se présenter.

On a affaire à un système d?écriture alphabétique s' Luant à une langue connue - ou d'un type connu. C'eei i le plus simple, le plus facile à résoudre - su r.orsque l'écriture elle-même s'apparente à un systèà familier. C'est ainsi qu'au milieu du XVIII$ siéohn Swinton et l'abbé Barthéleay ont pu percer le de l'écriture palmyrénienne. Elle offrait des si-ides de forme avec les lettres de l'hébreu carré et -e part les textes étudiés étaient des bilingues (grec- .myrénien) contenant de nombreux noms propres: ces propres permettaient de retrouver, d'après le grec, .eur des lettres palmyréniennes (2)• Nous verrons .ois le rôle capital que jouent les noms propresdans hiffrement des bilingues.

des procédés analogues, mais en s'appuyant, cettefois, alphabet samaritain, les deux mêmes savants arri-

à déchiffrer les inscriptions phéniciennes (3);1' re samaritaine n'est en effet qu un rejeton tardif phénicienne et dans ce cas également on disposait ingues. On peut encore citer la façon dont Sylves-Sacy, en 1793, perçait le secret de l'écriture pehà l'aide d'une trilingue (grec, pehlevi arsacide .levi sassanide) (4). Tout récemment,le déchiffrement de l'écriture ougaritique a illustré, de façon brilles progrès de nos méthodes de recherche: on n'a é au début d'aucune bilingue et la structure inter-l'écriture, en dépit de son aspect matériel, n'avait e commun avec celle du cunéiforme ordinaire. Maisles taient séparés les uns des autres et on pouvait pres,d'a?rès le nombre des signes qu'ils comprenaient, s'agissait d'une langue sémitique. Une série de son-furent faits pour retrouver certains mots (noms de tés, noms de nombre, etc.) contenant,par exemple gis la même lettre: ils s'avérèrent fructueux et,par ements, on arriva rapidement à reconstituer tout 1' et. tionnons enfin la façon dont G. Smith a trouvé, en la lecture des inscriptions cypriotes rédigées en lecte grec, mais dans une écriture syllabique. C'est = 565 — encore par l'intermédiaire des bilingues et des noms propres qu'il y est parvenu; l'écriture syllabique cypriote, d'où les idéogrammes sont absents, ne posait pas de problèmes foncièrement différents de ceux que soulève le déchiffrement des écritures alphabétiques ou consonnantiques. 2° La langue est - ou parait être - tout aussi inconnue que )!écriture. En pareil cas, si cette dernière e st intégralement phonétique (alphabétique, consonnantique syllabique) les efforts des déchiffreurs risquent d'être vains - sauf, bien entendu, l'éventualité de bilingues étendues, contenant des noms propres. En revanche, si l'écriture est,mtme partiellement, idéographique, on pourra arriver à comprendre approximativement quelques lambeaux de certains textes, sans d'ailleurs pouvoir les lire véritablement. Tel est le cas, par exemple, pour l'écriture crétoise. 30 Une dernière hypothèse reste à envisager. La langue est d'un type connu - ou se rapproche d'une langue connue l'écriture est inconnue, mais appartient au groupe des é- critures idéographiques, c'est à dire "de mots". Ici deux hypothèses peuvent être envisagées.

a - L'écriture est purement idéographique. Dans cecas, on pourra comprendre le texte, dans la mesure où l'abondance des bilingues ou bien la transparence des représentations idéographiques le permettra, mais la lecture proprement dite ne pourra être que fragmentaire ou conjecturale - sauf le cas où il s'agirait d'une langue déjà solidement connue.

b - L'écriture est mi-idéographique. C'est le cas le plus courant, en particulier dans le Proche Orient: égyptien, suméro-akkadien, hittite hiéroglyphique, etc.. La technique du déchiffrement est aujourd'hui bien au point, mais, avant d'en arriver là, beaucoup de peine a été dépensée. Ce type d'écriture était en effet complètement inconnu des savants jusqu'à la découverte de l'égyptien. Plus exactement ils ne songeaient pas à se référer auxécritures japonaises, par exemple, qui contenaient le me-me mélange de caractères idéographiques et de signes phonétiques. Ils ne savaient pas ce qu'ils allaient découvr] ils manquaient d'un fil conducteur. C'est l'histoire des tttonnements, de ces progrès que nous voudrions esquisser' ici. On verra combien les procédés de la méthode historie' que sont, en l'occurence, comparables à ceux des sciences d'observation.

CHAMPOLLÎON ET LES HÎÉROGLYPHES ÉGYPTÎENS[modifier | modifier le wikicode]

La découverte du secret des écritures hiéroglyphiques a eu une importance capitale. Non seulement elle noua a introduit dans l'histoire des deuxième et troisièihe millénaires avant notre ère, dont on ignorait tout jusqu'alors, mais elle nous a initiés à des formes nouvelles et complexes d'écriture, dont les cunéiformes devaient fournir un exemple plus difficile encore (5).

Les renseignements légués par l'antiquité classique et ar les Pères de l'église se réduisaient à peu de chose 6). Les écoles des prêtres égyptiens, qui avaient hérité de la tradition, étaient jalousement fermées aux'chré tiens, ces ennemis de l'ancien culte. D'après Origène,qui écrivait au +III$ siècle, l'écriture hiéroglyphiquens par vait être enseignée qu'à ceux qui avaient été circoncis et par conséquent avaient affirmé ainsi leur attachement à 1 antique religion (Commentaire de 1E 'pitre auxRomains,

II). Privés ainsi de sources directes de renseignements, les Pères ont dt..se rabattre sur les maigres indications que recelaient les auteurs classiques: Diodore, Manéthon, Chérémon, Plutarque, etc.... Les Pères de l'Eglise, sans en excepter Clément d'Alexandrie, ne devinèrent pas lemécanisme - d'ailleurs compliqué et étrange pour qui neconnatt que le système alphabétique - de l'écriture égyptien-

e; sur la foi d'informateurs tendancieux ou'de seconde main, ils en exagérèrent le caractère symbolique et penchèrent à n'y voir que ce ~ue noua appellerions aujourd'hui une écriture "synthétique ; par là ils contribuèrent à égarer la recherche ultérieure. C'est ainsi que Clément d' Alexandrie, • dans un passage célèbre, distingue quatre pros cédés particuliers à l'écriture hiéroglyphique: 10 au propre, en utilisant les éléments primordiaux; 2° au propre, par imitation; 30 par symbole, au moyen de tropes; par yra. bole, an moyen d'allégories et d'énigmes (x3tromatea, 5, 4). De notation proprement phonétique, il n'est point question pour lui.

Le premier essai de déchiffrement des hiéroglyphes aété tenté au XVII_ siècle par le P. Kircher. Pietro della Valle, le célèbre voyageur orientaliste, qui s'intéressa aussi à l'écriture cunéiforme, lui avait confié, en vue d'une traduction, un lexique copte-arabe, qu'il avait rapporté de s'es pérégrinations en Orient. Le P. lircher eut une intuition juste: il devina que le copte était la même langue, plus ou moins évoluée, que celle qui se dissimulait sous les hiéroglyphes. Mais il s'interdit aussitttde tirer le moindre parti de cette découverte, car il conjec, tura que l'ancienne écriture égyptienne était uniquement symbolique. "Les hiéroglyphes, dit-il, sont bien une écriture, mais non l'écriture composée de lettres, mots, noms rt parties du discours déterminées, dont nous usons en génûral; ils sont une écriture beaucoup plus excellente,plus —6($— —567-- sublime et plus proche des abstractions, qui, par tel eu- chainement ingénieux des symboles ou son équivalent, propose d'un seul coup à l'intelligence du sage un raisonnA. ment complexe, des notions élevées ou quelque mystère in. signe, caché dans le sein de la nature ou de la divinité" (7). En somme, pour parler le langage scientifique actud6 le P. Kircher se refusait à voir dans les hiéroglyphes une écriture phonétique et préférait y chercher quelque chose d'analogue à ce que nous avons appelél'écriture Jfrf thétaque. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de l'insuce cès complet de ses tentatives - insuccès dont il nesedouta jamais. C'est seulement à titre de curiosité qu'on put citer parmi ses nombreuses oeuvres le Frodrorq us Coptij 4. ue Aegyp t tort (1636), l' dip u Aegyptiocuj(1652-54),, Une meilleure méthode et pu d'ailleurs difficilement a• boutir, faute de documents et surtout de bilingues.

Cette lacune devait être comblée par les savants que Bonaparte avait emmenés avec lui en Egypte. On leur doit la description et la copie de nombreuses inscriptions; di autre part en 1799 la découverte de la célèbre picrr& do Rosette' mettait à la disposition des érudits trois ver% sions d'un même texte: hiéroglyphique, démotique, greoqul Cette dernière révélait qu'il s'agissait d'un décret prît le 18 meshir (27 Mars) 196 avant notre ère par un synode général des prêtres égyptiens,à Memphis, en l'honneur du roi Ptolémée V Epiphane. C'est donc un document de très basse époque (8). Ajoutons que la version hiéroglyphique a beaucoup souffert; pas une ligne n'est complète et de plus tout le début a disparu.

On savait déjà, grâce à la perspicacité de l'abbé J. Barthélemy, le déchiffreur des inscriptions phénicienne% et du Danois Zoëga que dans l'écriture hiéroglyphiqueiai "cartouches" contenaient des noms royaux. Malheureusement il ne subsistait sur la pierre de Rosette qu'un seul cape touche; tous les autres avaient disparu, avec le début texte. L'Anglais Young réussit à lire d'une façon à peu près exacte le contenu du cartouche, soit le nom de Pto. lémco g 44 (' • Voici les valeurs qu' il attribua aux hiérog yp es, avec, entre parenthèses, celles quilelr sont aujourd'hui reconnues: ^ p(p) C ma(m) t () Q i (jj) feuille (w3) I os (s ) ole (r,?)

Sur un autre monument Young déchiffra de façon approximative le nom de la reine, Bérénice. La méthode.a'avérait bonne, en dépit de quelques erreurs de lecture. Et pourtant Young ne pouvait pousser plus loin. Il était la victime d' un conception fausse: il s'imaginait que l'écriture phonétique était limitée à la transcription de quelques nome étrangers et que les hiéroglyphes véritables consistaient en une notation symbolique des idées: la vieille erreurdu P. Aireher persistait.

Le texte d€motique,intégrelement préservé, attira les efforts de certains orientalistes, comme S. de Sacy et Akerblad. Assurément les noms royaux n'y étaient point entourés par des cartouches, comme dans la partie hiéroglyphique; mais on pouvait' déterminer approximativement leur emplacement, d'après la version grecque, et ensuite lesidentifier à coup star, lorsqu'ils étaient répétés en un a.tre endroit. D'autre part, on n'était pas gêné, comme pair les hiéroglyphes, par le préjugé d'une écriture. ?urement symbolique; bien au contrai-re'on allait trop loin dans la voie opposée, en supposant qu'il s'agissait d'une graphie exclusivement phonétique. C'est la raison pour laquelle, en dépit de la lecture approchée de quelques noms propres, Akerblad échoua dans sa tentative. Ce devait être le mérite essentiel de Champollion de savoir modifier au gré de l'expérience son hypothèse initiale.

On ne saurait exagérer le rôle capital, essentiel,joué par ce grand savant dans le déchiffrement des écritures égyptiennes. Après avoir cru, comme la plupart de ses contemporains, à une écriture hiéroglyphique symbolique, il n'a bas tardé à se persuader que les hiéroglyphes avaient aussi, au moins en partie, une valeur phonétique, qu'ils correspondaient aux lettres de notre alphabet. Et erg cela il voyait très juste. Non point tant par intuition que par raisonnement: il arguait que le nombre des signes de la partie con,ervée, du texte hiéroglyphique dépassait de beaucoup le nombre'totaà des mots de la version grecque: 1419 signes contre 48b mots. La première écriture ne pouvait donc noter seulement des mots, mais aussi et surtout des lettres. En second lieu il était persuadé que la langue copte n'était que le prolongement de l'ancien égyptien tien et sur ce point il avait encore raison. Enfin,dèssan jeune age,hanté par le désir de percer le secret des hiéroglyphes, il s'était livré à tous les travaux d'approche qui pouvaient lui faciliter la tache: étude approfondie du copte, comparaison minutieuse de tous les documents alors accessibles, rapprochement des caractères hiéroglyphiques, hiératiques et démotiques, etc.. Champollion commença par le déchiffrement des cartouches royaux . Il aboutit pour celui de Ptoléméo à une lmture P t o Z m-i s, plus exacte que celle de Young. De — 588 — - 569 - là il passa à celui de Cléopâtre, qui lui révéla quelque nouvelles lettres. Mais un premier obstacle surgit d(v~ud lui. A la même lettre grecque correspondaient parfois.q,k*ix signes hiéroglyphiques différents: pour z t on trouve on égyptien tantôt r et tantôt -w-. Champollion sut triompher de cette difficulté.

Or~tce a cepremier décmffrement il disposait d'un certain noai,. bre de signes-lettres; mais il n'avait fait encore quers. prendre, en l'améliorant, la méthode de Young. En ayantt. ré tout ce qu'elle pouvait donner, il fait maintenant le pas décisif. Si la langue copte est un rameau de l'aneie égyptien et si l'écriture hiéroglyphique est au moins ph tiellement phonétique, on doit retrouver des mots coptes écrits alphabétiquement. On notera la prudence du proobdé; pas d'essai prématuré, ambitieux,de traduction d'ensemble, un simple glanage, mais qui à la longue assurera une récolte substantielle. Champollion en effet retrouve en égyptien des noms de parenté, des articles, des prou. noms, des prépositions, sous une forme voisine de celle qu'ils ont en copte. Ensuite,s'appuyant sur les transarip tions grecques, il s'attaque aux noms de divinités, aux noms propres théophores. Ainsi il part toujours du connu pour explorer l'inconnu. Enfin il lit les noms des Phare- ons eux-mômes.

La fécondité intellectuelle de Champollion, à partir du moment où il a commencé à tenir le fil conducteur,edt prodigieuse. Il n'hésite plus dès lors à entamer la tra+ duction de longs textes suivis. Il fait revivre toute 11 histoire et la religion de l'ancienne Égypte, dont les de crivains classiques nous avaient si peu conservé. A sa mort, survenue prématurément en 1832, il léguait au monde une science nouvelle, l'égyptologie, et une méthode de re pour le déchiffrement des écritures inconnues. Sonetu^ vre est assurément dépassée aujourd'hui, mais elle n'est pas périmée. Si l'on cherche à dresser le bilan deserreM de Champollion, on voit qu'elles se réduisent,pour l'es- sentiel, à trois, dont la première au moins est véniellol 1° Champollion a cru que les signes alphabétiques étaient dérivés des signes de mots par acrophonie volontaire et consciente: on aurait retenu seulement la première lettre du mot. La réalité est quelque peu différente; mais c'est là une erreur de principe sans influence sur le déchiffres ment; 2° Il a mal compris le jeu des compléments phonétie ques, attribuant par exemple la valeur w (au lieu de wor) à j dansLô (ursr + .t' +r ) et la valeur h (au lieu dobd à Q dans ô (hr + r); 30 Enfin il a attribue, le rôle du voyelles à certaines lettres, alors nue l'écriture égyptienne ne compte que des consonnes. Taches bien légères, qui ne sauraient ternir une gloire aussi éclatante.

LE DECHÎFFREMENT DES ECRÎTÜRES GUNÉÎFORMES[modifier | modifier le wikicode]

Le déchiffrement des écritures cunéiformes a été plus tardif et plus lent que celui des hiéroglyphes. Il s'est accompli non d'un seul coup, mais par étapes successives il a été entravé par des hésitations, des erreurs, desretours en arrière; il a été plus contesté; il a été l'oeuvre non d'un seul homme, mais de plusieurs chercheurs. A quoi tiennent ces différences? D'abord à ce qu'on a maxi-gué d'une bilingue comme la pierre de Rosette, qui permît de s'appuyer sur le connu pour découvrir l'inconnu. Le point de départ a été fourni en effet par les inscriptions de Persépolis, qui contenaient bien trois versions d'un môme texte,mais dans des écritures également énigmatiques et dans des langues dont l'appartenance était douteuse. En second lieu, chaque hiéroglyphe constitue un dessin autonome, tandis qu'il était malaisé,surtout pour les écritures susienne et suméro-akkadienne, da séparer, au milieu e. cette suite continue de "clous", les grou2es qui consti'tùent chaque signe. En outre, Champollion disposait,pour établir son alphabet, des "o artouch es" qui lui fournissaient des noms ro*aux attestés par ailleurs; d'autre part les "déterminatifs égyptiens, plus nombreux, plus aisés à identifier que leurs correspondants cunéiformes, luipermettaient de séparer les mots, d'en deviner le sens appro- ximatif, de pénétrer plus facile.nent dans l'économie intime de la phrase. Ajoutons que si la polyualenee est commune à l'écriture hiéroglyphique et à la suméro-akkadien- ne, l' homophoni.P›est plus rare dans la première .que dans la seconde (9). Enfin il y a lieu de tenir compte de]accu plication déroutante de la principale écriture cunéiforme, soit la suméro-akkadienne. Ch. Fossey n'a pas hésité,touchant cette dernière, à parler des "difficultés inouîesd' une écriture paradoxale, expression qui, venant d'un spécialiste, doit @tre pesée (10).

Si l'on fait abstraction de quelques données éparses, très vagues, contenues dans les auteurs classiques (11), on peut dire que c'est seulement à la découverte des ins-' criptions figurant sur les ruines de l'ancienne Persépolis, que remonte notre connaissance concrète de l'écriture cunéiforme. Dès le +XIVè siècle des voyageurs lesavaient remarquées et signalées. Dans une lettre datée du 21 octobre 1621, mais qui fut publiée seulement en 1658, le grand voyageur orientaliste Pietro della Valle envoyait à un ami une brève description de ces étranges caractères et en reproduisait cinq (de la classe I). Il pressentait déjà glue l'écriture devait se lire de gauche à droite. Peu à pu des copies de +extes plus étendus parvenaient en Eu- - 570 ..__ 571 -- tope: l'Anglais Herbert, en 1627, rapportait trois 1ir~7, tandis que le Français Chardin, un demi 4iècle plus tard, dessinait l'inscription trilingue qui entoure la fenttre du palais de Darius. D'autres les imitèrent. Mais c'est Niebuhr, le père du grand historien, qui le premier mit à la disposition des savants européens un matériel relativement copieux et offrant toutes garanties d'exactitude. Il faisait partie de l'expédition envoyée en Orient par le roi de Danemark Frédéric V. Il rapporta des copke de douze inscriptions de Persépolis, presque toutes 1n4. dites; en mtrie temps, il avait exécuté des fac similé do inscriptions pehlevies de Naq§ - i Rustem et de Nagâ - i Radjab. Niebuhr avait déjà reconnu que les textes de Persépolis devaient se lire de gauche à droite et qu'ils étaient rédigés dans trois systèmes différents d'écriture.

En 1.798, MUnter lisait devant l'Académie de Copenha . gue un .nérnoire dans lequel il jetait des bases du déchif- frement de ces textes. S'appuyant sur le nombre des cati tères employés dans chaque système d'écriture, il mont I que les inscriptions de la classe I devaient employer ts alphabet, celles de la classe II une écriture syllabique$ celles de la classe III une eeriture idéographique; 1 es classes II et III devaient comprendre aussi des éléments alphabétiques. A vrai dire aucune de ces formules n'était rigoureusement exacte, mais elles constituaient de bois hypothèses de travail. En même temps il reconnaissait que le signe, dans les inscriptions de la classe I, séparait les mots les uns des autres. :'.ais il ne déchiffra aucun autre signe.

Le déchiffrement des inscriptions de la classe I (pers3•[modifier | modifier le wikicode]

C'est Grotefend qui le premier souleva un coin du vols le. Il s'appuyait sur une donnée historique, bien établis par Herren et MUnter, à savoir que les monuments et inscriptions de Persépolis dataient des rois perses, entre Cyrus et Alexandre. Il était donc à présumer que la pi.. mière des trois versions contenues dans chaque inscription était en ancien perse. Il admettait d'autre part,après Monter, qu'il s'agissait d'une écriture alphabéti - que, puisque le nombre total des signes était d'environ un ne quarantaine. Et tout cela était à peu près juste. I1 n'empoche que Grotefend allait s'engager, presque inéluo. tablement,sur une fausse piste, du moins sur un mauvais chemin de traverse; son tort a été de n'avoir jamais eu s'en tirer.

Voici pourquoi. Les deux seules écritures perses anciennes connues alors étaient lepehLeut., déchiffré parde Sacy et 1' écri,Lure avestique (ou zend) qu'Anquetil du Perron avait révélée aux savants européens. Or le pehlevi comprend un très petit nombre de lettres, moins d'une vingtaine, si l'on tient compte des confusions fréquentes dans cette écriture. Le zend au contraire compte plus de quarante caractères, dont quatorze notent des voyelles. La logique, parfois ennemie de la vérité, voulait donc que Grotefend cherché.t dans l'écriture I de Persépolisune préfiguration de l'alphabet zend. On sait qu'au con -traire cette écriture, mélange singulier de syllabismeet d'alphabétisme, voire d'idéographie, ne comporte, en dépit de sa quarantaine de signes, qu'un nombre restreint de nuances consonnantiques et vocaliques.

Passons sur cette erreur presque inévitable, il faut en revanche rendre hommage à la sûreté de la méthode avec laquelle Grotefend sut conjecturer le sens de certains mots (rappelons que la séparation des mots est indiquée dans cette écriture). En particulier il supposa avec bonheur qu'un mot, qui apparaissait souvent dans l'inscription et parfois était répété, était le mot roi, employé tantôt seul et tantôt dans la locution " roi des rois ",é- pithète courante des monarques perses. De là à rechercher i.e nom d'un roi perse dans le mot précédant celui de roi,; il n'y avait qu'un pas. Or les noms de tous les rois per- ses étaient connus sous leur forme grecque et parfoissots leur forme araméenne, plus proche de l'original: le nombre des lettres de chaque nom favorisait certaines conjectures; enfin, si ces conjectures étaient exactes, on devait retrouver dans chaque nom royal et à une place détei" minée, la ou les lettres que ce nom avait en commun avec un autre, par exemple le R dans les noms de Darius et de Xer.re'. La méthode de recherche et de vérification ressem^ blait quelque peu, on le voit, à celle de nos modernes mots croisés". Grotefend parvint ainsi, dès 1802, à dresser un alphabet, qui contenait onze identifications exactes ou très approchées. Ses traductions contenaient,àtout le moins, la lecture juste de plusieurs noms propres et de quelques mots: roi , fils , etc....

Les progrès ultérieurs de la recherche furent facilités par deux facteurs nouveaux. En premier lieu la découverte du mécanisme de l'écriture égyptienne, due à Champollion, révéla aux savants un système de 'notation des mots plus compliqué que ceux qui étaient alors connus;elle habituâ les chercheurs à envisager des formules moins rigides et moins simples; et cette remarque vaut non seulement pour l'écriture persépolitaine (classe I) mais aussi et surtout pour l'écriture suméro-akkadienne (classe III). D'autre part les progrès réalisés dans la connaissance de l'écriture et de la langue avestiques, surtout — .')72 — -- x/73 -- grâce aux travaux de Burnouf, facilitèrent notablement la tâche des déchiffreurs. Lassen remar4ua que, 8 ans le système de Grotefend,cer- tains mots ne sauraient être prononcés, faute de voyelle.. S'appuyant sur l'exemple du sanscrit, il en conclut que la voyelle o est inhérente au moins à certains signesonsonnantiques. Hincks, de son côté, établit que d'autres signes consonnantiques ne peuvent être employés respectivement que devant i ou v • Ainsi peu à peu l'écriture persépolitaine révélait son vrai visage. Rawiinson et Oppœt devaient contribuer à éclaircir ultérieurement quelques points douteux. On peut dire qu'à partir de 1847, date 1 laquelle Oppert publiait son Système phonétique du vieux perse (Dos LoutJyrt!m des Altperai^chen ) le déchiffrement était pratiquement achevé.

Le déchiffrement des inscriptions de la classe II (néousien.)[modifier | modifier le wikicode]

Nous passerons rapidement sur cette question. L'écri- ture néo-susienne est au fond moins difficile que les deux autres; si elle possède 111 signes, contre 41 pour lapa' sépolita~.ne, elle les utilise de façon moins déroutants que cette dernière; d'autre part, presque exclusivement phonétique, n'admettant pas l'homophonie, elle recèle mois de complications et de pièges que la suméro-akkadienne. Et pourtant les progrès ont été très lents dans ce domaine, d'abord à cause de la rareté des documents, mais sur- tout parce que la langue que notait cette écriture n'étdt ni indo-européenne, ni sémitique. Westergaard (1844) reconnut quelques signes, mais se trompa sur beaucoup d' si. tres. C'est seulement en 1855 que fut publiée, par Nom; à qui Rawlinson l'avait confiée, la version néo-susienne de l'inscription trilingue de Behistoun; elle fournissait un nouvel aliment à la recherche scientifique, en apportant de nouveaux noms de personnes et noms géographiques. Après Norris, Oppert, Sayce et Weissbach exercèrent leur sagacité sur cette écriture. Weissbach en particulier dégagea quelques lois, qui montrent la filiation de la gr> phie néo-susienne par rapport à la suméro-akkadienne.

Le déchiffrement des inscriptions de la classe III (sumro-akkadien.)[modifier | modifier le wikicode]

Nous arrivons au point capital. Le déchiffrement de ]. écriture suméro-akkadienne ne représente pas seulement W admirable tour de force, il a apporté une contribution vraiment extraordinaire à l'histoire de l'ancien Orient; il permet de comprendre et d'utiliser une masse énorme de documents de toute sorte, que les fouilles nouvelles vlan. vent augmenter sans cesse. Grotefend ici encore posa. un premier jalon. Il reconnut dès 1818 l'identité de l'écriture III de Persépolie avec celle sui figurait sur les monuments de la Babylonie, en particulier sur le caillou Michaux; mais il se trompa, en ce qu'il la crut alphabétique et il supposait en outre qu'elle notait une langue non sémitique, mais iranienne. Double erreur, que Grotefend ne fut pas seul à commettre

Les premiers chercheurs s'attaquèrent, bien entendu, aux noms propres: c'était la méthode qui avait si bienrbussi à Champollion pour l'égyptien, à Grotefend pour le persépolitain. Mais sur les documents babyloniens alors accessibles, ces noms étaient écrits à l'aide d'idéogrammes; quant aux textes de Persépolis, les chercheurs, qui croyaient avoir affaire à une écriture alphabétique, s'é- tonnaient de trouver pour .s aussi bi =n le signe v" (Jz) que le signe <Tw.- (A): ils criaient à l'homophonie. C'é- tait, en quelque sorte, apporter de l'eau à la rivière.L' écriture sunléro-akkadienne pullule assurément d'homophones, mais eux-mômes en inventaient. On peut dire que ce problème de l'homophonie, aussi mal compris qu'&prement discuté, a embrouillé toutes les premières tentatives(Gutefend, Ramlinson, de Saulcy, Lowenstern, Longpérier).Le seul progrès réel fut l'identification de quelques déterminatifs importants, qui permettaient d'isoler les noms d'hommes, de villes, de pays, etc..

Cependant Botta à Khorsabad avait découvert et publié des textes fort étendus, qui ouvraient à la recherche un nouveau champ. Lui-même avait pressenti le caractère surtout syllabique de l'écriture. Hincks, dans un premiermémoire (1846) dégagea plus clairement ce principe; dansua second, il identifiait à peu près exactement 18 voyelles et signes syllabiques (consonne + voyelle) et quelques idéogrammes ou déterminatifs; d'autre part, il expliquait ce qu'on peut appeler le principe d'embottement des si- gnes syllabiques (po + ar : par, kii + rp = kip ) , qui per- mettait au scribe assyrien de noter n'importe quelle consonne non suivie d'une voyelle (r de par et p de kzo );un peu plus tard.il indiquait comment les chiffres étaientfi urés; enfin il découvrit qu'un signe syllabique simple consonne + voyelle), lorsqu'il est accompagné d'un signe vocalique, comporte toujours la voyelle qui correspond à ce dernier (pa+ o, pi t i . etc.). Ce dernier principeper= mettait de reconnattre aisément le timbre vocalique des signes syllabiques. filais certains, comme Wall, s'entètaient à voir dansl' écriture sumérienne une pure idéographie et de Saulcy lui- même, dans ses recherches sur 1 ëcriture cunéiforme assij - rknïze- (1849), s'attarde trop souvent à des lectures périmées ou erronées. lincks au contraire, poursuivant ses __ J74 --_ --'- travaux d'approche avec une ténacité scientifique, détermine les conditions dans lesquelles sont employés les idéogrammes et quelles valeurs phonétiques ils peuventprm. dre; en analysant les formes verbales, il dégage avecplus de précision les signes syllabiques simples et exclut l' idée de signes consonnantiques autonomes, qui avait tant gêné les recherches antérieures. hawlinson cependant apportait dès 1851 un nouvel élément àla recherche, en publiant la version assyrienne de l' inscription trilingue de Béhistoun. Le nombre des nomsde personne et des noms géographiques, figurant à la fois dans des documents persépolitains et assyriens et par cmséquent pouvant servir de base au déchiffrement, se trouvait ainsi doublé. D'autre part en collationnant systématiquement les formes diverses d'un ntme nom dans des inscriptions différentes, il obtenait des valeurs nouvelles. Il montrait de façon définitive le caractère sémitiqueds la langue notée par l'écriture de la classe III.

Enfin en 1855 J. Oppert publiait un tableau des aigres dont la valeur était déjà connue.L'auteur y apportait d' ailleurs une large contribution personnelle. En particulier, il avait reconnu, dans certaines tablettes du British Museum, non encore interprétées, des ,5yllabaires,o1 est à dire des listes à l'usage des écoliers, dans lesquelles les signes complexes (consonne + voyelle + consonne) et les idéogrammes sont décomposés ou transcrits en signes simples. Ces syllabaires devaient se révéler par ]a suite d'un secours précieux. Oppert déjà leur em prunta une série de lectures, qui, par leur origine môme, échappaient à toute contestation. L'année suivante, il expliquait l'origine des signes idéographiques et monfrs t le fonctionnement des compléments phonétiques. On peut considérer qu'à cette date le déchiffrement est assuré dans ses grandes lignes. Il restait à en pet• suader le monde savant, dont une partie restait sceptique devant la complication extrême du système d'écriture ainsi révélé et criait volontiers à l'arbitraire. En 180 un môme texte assyrien fut soumis par la Royal A it'2tt4 F3 ocieJ de Londres à quatre savants, Talbot, Rawlinson, Hincks et Oppert. Ils devaient chacun de leur coté end.' ner une traduction. Les quatre versions, lues le même ion révélèrent un accord remarquable. Cette épreuve décisive ne désarma pas pourtant les critiques: Gobineau, Schoebi et aussi Renan, qu'on regrette de trouver en pareille ot~ pagnie,continuèrent à exprimer leur méfiance. Mais la aW se était désormais jugée.

NOTES ET BIBLIOGRAPHIE[modifier | modifier le wikicode]

(1) - Clair résumé de la question par A. DELAUNAY dans .3cience eb Jh.. , mai 1940, p. 480 sa.

(2)'- JOHN SWINTON, An explication of all the inscriptia~a in the Palmyrene language and character, hitherto publish'd (Philos. TramsactranJ, vol. 48, pt 2, p. 690. as (1754) - L'abbé BARTHELEMY, Réflexions sur l'alphabet et sur la langue dont on se servait autrefois à Palmyre (//em. Acf, vol. 26, p. 577 es (1759).

(3) - JOHN SWINTON, Inscriptions Citieae aive in binas inscriptiones Phoenicias... conjecturas (1731) - L'abbé BARTHELEMY, Réflexions sur quelques monuments phéniciens et sur les alphabets qui en résultent (Yém.AtI, vol. 30, p. 405 es) et Lettre à M. le marquis Olivieri au sujet de quelques monuments phéniciens (1766).

(4) - S. DE SACY, Mémoires sur diverses antiquités de la Perse et sur les médailles des rois de la dynastie des Sassanides, 1793.

(5) - Pour l'historique du dbchiffrement des hiéroglyphm égyptiens,voir H. HARTLEBEN, Champollion, sein Leben und sein Werk, 1906 - A. ERMAN, Die Hieroglyphen, 1912 - H. SOTTAS, Préface de la lettre à M. Dacier, 1922 - H. SOT-TAS et E. DRIOTON, Introduction à l'étude des hiéroglyphes, 1923.

(6) - On en trouvera l'énumération dans H. SOTTAS et E. DRIOTON, op. 1., p. 85 ss. .

(7) - Prodromus Coptus sive Aegyptiacus, 1636, p. 230-231.. Cf E. DRIOTON, ap. H. SOTTAS et E. DRIOTON, Introduction •, p. 93.

8) - E. BEVAN, Histoire des Lagides, trad. E. J. LEVYet J. HERBERT, 1934, p. 295 as.

(9) - Pour le sens de ces deux termes, voir p. 110.

(10) Pour le déchiffrement des écritures cunéiformes,coasulter CH. FOSSEY, Manuel d'assyriologie, I, 1904, p. 81 244 (fondamental) - C. BEZOLD, Ninive und Babylon, 1903, p. 5 ss - MORRIS JASTROW, The civilization of Babylonia and Assyria, 1915, p. 63-119 - E.A.W. BUDGE, The rise and progress of assyriology ld25 - G. CONTENAU, Manuel d'archéologie orientale I, p. 239-249.

(11) - CH. FOSSEY, op. 1•, p. 81 ss, a rassemblé ces tex- tes.