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Villes/Montluçon/sciences/Sur les chemins du Graal

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Parmi toutes les périodes historiques, il en est une qui demeure souvent obscure, principalement à cause de son étendue dans le temps: il s'agit du MOYEN-AGE, dont les historiens situent généralement le début au Vè siècle et la fin au XVè siècle. C'est une vaste période qui commence lors de l'effondrement de l'empire romain d'Occident et prend fin à la découverte de l'Amérique. Du Vè au XIè siècle, le Moyen-Age est bouleversé par des circonstances historiques particulières (partage de l'empire de Charlemagne, invasions normandes, guerres privées de seigneur* à seigneur) qui pèsent sur les esprits; on parle alors le roman qui se transforme plus tard en ancien français. Peu de textes écrits nous restent de cette période, prédominée par une tradition orale très vivante. A partir du XIë siècle, le Moyen-Age se caractérise au contraire par une explosion de textes et d'oeuvres littéraires: les XIIè et XIII siècles sont un &e de grande cr ation, oiï ngisaent l s chansons de geste*, les romans* et les fabliaux*. C'est alors l'époque héroïque de la chevalerie; les premières croisades en Terre Sainte consacrent la puissance et le prestige de la classe des seigneurs. A 1' idéal de chevalerie s'ajoute l'idéal dé courtoisie oil l'amour tient la première place.

L'esprit courtois et l'esprit de chavalerie ont donné naissance à une littérature dans laqeulle sont décrites les qualités du vrai chevalierr. Dans cette littératue apparaissent les cycles des romans bretons* dont on a longtemps pensé qu'ils dérivaient de légendes celtiques* colportées, par les bardes.*.

L'un des principaux auteurs de romans bretons est Chrétien de Troyes dont l'oeuvre fait vivre des personnages légendaires à la cour d'Arthur, roi de Grande-Bretagne au VIé siècle.

C'est donc à travers le pouvoir de la légende que revit pour nous le Moyen-Age: un auteur du XIIè siècle raconte les aventures de héros du VIé siècle, et voilà l'Histoire en marche. Dans de tels récits, les intrigues sont pleines de rebondissements, les enchantements succèdent aux exploits chevaleresques ou aux maléfices, les coups d'épée se mêlent aux scènes d'amour. L'ensemble est bâti sur le besoin d'une Quête qui pousse le héros à partir à la recherche d'une connaissance à acquérir, d'un roi à servir, d'une dame à aimer et d'un Dieu à adorer.

L'histoire qui va suivre est faite de nombreuses aventures appartenant à une légende immortelle que le lecteur peut faire sienne en rejoignant sans plus tarder le royaume imaginaire de la Grande et de la Petite-Bretagne, sous le règne de Saint-Louis en France et d'Henri III en Angleterre.

NB: 1) Les mots en gras sont suceptibles de faire l'objet d'une question au cours du jeu. 2> Les astérisques placés derrière certains mots renvoient à l'explication de ces mots dans le lexique.

5 ~HAi I TRE I

Aujourd'hui, j'ai décidé de vous raconter mon histoire qui, vous allez le voir, est faite de péripéties merveilleuses et quelquefois mystérieuses. Le premier mystère qui me concerne est celui de ma naissance. Longtemps, mes origines furent inconnues. J'ai passé ma jeunesse et mon adolescence aux côtés de la Dame du Lac, que Je considérais comme ma mère. Un jour, j'entendis Farian, le vieux précepteur qui s'occupait de moi depuis des années, parler de ma vraie mère:

"C'était une dame très douce, mais qui n'avait jamais pu supporter la mort de son mari." Une telle phrase m'impressionna. Depuis quelque temps déjà, je m'étais interrogé sur la vie et la destinée de mon père que je ne connaissais pas, et j'aurais bien aimé savoir tout sur mes origines. Je m'empressai donc de questionner mon précepteur pour qu'il m'apprenne la vérité. Il ne voulut pas, dès l'abord, en dire plus, et il se reprocha d'avoir trop parlé. Mais, comme j'insistais, il finit par accepter de me raconter ce qu'il savait. La première partie de son récit concerne le passé de mes parents:

"Je ne connais pas le nom de ton père. Je sais seulement qu'il possédait un royaume quelque part en Petite-Bretagne. C'est dans son château que tu es né. Un jour, il advint que le roi ton père et son frère, qui possédait le royaume voisin, furent attaqués par le sire Claudas, roi de la Terre Déserte. Les combats faisaient rage depuis longtemps déjà sans que l'un ou l'autre des adversaires ait pu obtenir le dessus. Claudas manda alors auprès de lui le roi Frolus d'Allemagne afin qu'il l'aide à combattre les deux frères. Les forces en présence devenaient inégales: c'est pourquoi ton père décida d'aller chercher secours auprès de son ami le roi Arthur de Grande-Bretagne. Il partit avec ta mère et toi, qui étais encore bébé, vers le Nord en direction du pays d'Arthur. En chemin, tes parents se reposèrent près d'un lac. Ton père gravit seul une colline, et il vit au loin son château en flammes. Une telle vision lui fut fatale, il tomba à terre, mourant. La reine, l'ayant aperçu, courut à son secours en te laissant seul dans l'herbe. Elle arriva juste à temps pour que le roi expirât dans ses bras. C'est alors qu'elle se retourna et vit une femme voilée te prendre et t'emporter dans le lac, fendant les eaux par sa marche et disparaissant rapidement de la surface. La reine ne put rien faire contre cet enlèvement. Ayant perdu à la fois son mari et son fils, elle tomba dans le plus cruel des égarements; elle fut recueillie par des religieuses qui lui ouvrirent les portes de leur couvent oU elle se retira pour le reste de ses jours. Et c'est dans ce couvent qu'elle a rendu l'âme sereinement, il y a quelques jours."

Lorsque Farian eut fini son récit, je restai un moment bouche bée. J'étais très étonné par ce que je venais d'apprendre, quoique j'eusse deviné depuis quelque temps qu'un mystère entourait ma naissance. La personnalité de la Dame du Lac qui m'avait élevé me paraissait elle-même très étrange: elle agissait souvent de façon surhumaine, et quelquefois inexplicable. C'est pourquoi j'interrogeai de nouveau mon précepteur:

"Et la Dame du Lac, que sais-tu d'elle?"

A ce propos, il n'hésita pas: lui qui aimait raconter des histoires me narra avec plaisir ce qui suit:

"La femme qui t'avait enlevé alors que tu étais encore bébé s'appelait, tu l'as deviné, la Dame du Lac. Elle m'a raconté comment elle avait entendu un enfant pleurer (plorer) et comment elle avait pu l'envelopper (enfardeler> dans sa cape avant de partir avec lui dans les eaux. Il ne faut pas lui en vouloir: elle désirait depuis si longtemps un fils que tu fus pour ainsi dire 7 comme un cadeau du ciel pour elle. Son premier soin fut de cacher (celer) aux regards ce petit être pour qui allait désormais battre son coeur (tuer). Tu n'es pas sans savoir que son véritable nom est Viviane. On l'a surnommée Dame du Lac à cause du royaume aquatique qui est le sien, sis â proximité de la Forêt de Brocéliande*, en Petite-Bretagne.

Or, Viviane rie fut pas toujours la fée aux multiples pouvoirs que tu connais. Il y a de nombreuses années vivait, à la cour du roi Arthur, un magicien né, d'après la légende, d'une jeune femme trompée par le Diable. Ce magicien s'appelait )(erlin, et il fut surnommé Merlin l'Enchanteur. Avec son esprit astucieux et la possibilité qu'il avait d'accomplir de nombreux tours de magie, il était fidèle au roi Arthur et l'aidait en toutes circonstances. Il ne se servait jamais de ses pouvoirs magiques pour faire le mal mais au contraire pour que règnent la justice et la loyauté. Il lui arrivait de conseiller le roi lors de batailles et d'amener habilement les troupes de celui-ci à la victoire contre les Saxons, peuple germanique qui s'établit en Angleterre avant les Angles. Tout ce que prédisait Merlin se réalisait, comme par exemple l'amitié qui lia le roi Arthur au roi ton père. Un jour, Merlin se rendit en Bretagne pour prévenir ton père que le roi Claudas allait l'attaquer. Sur le chemin du retour, il rencontra, en traversant une forêt, une jeune fille de quinze ans dont le père était un pauvre seigneur des environs. Elle s'appelait Viviane et elle était si jolie que Merlin tomba aussitôt amoureux d'elle. Alors, pour lui plaire et pour l'amuser, il lui montra quelques uns de ses tours de magie. Il pouvait faire apparaître à volonté un château, des chevaliers ou des dames, et bien d'autres choses encore: il lui suffisait pour cela de tracer par terre un cercle magique. Puis il pouvait faire tout disparaître, Merlin exécuta ainsi plusieurs enchantements devant la jeune fille, et, au moment de partir, il lui avoua son amour pour elle et il la pria de l'accepter. Viviane répondit: "Je ne vous accorderai mon amour que si vous m'apprenez vos tours de magie." Merlin, qui était très amoureux, accepta. Il lui montra comment faire apparaître un grand fleuve et un jardin, puis il la quitta en lui promettant de revenir. C'est ainsi que, chaque fois qu'il revoyait Viviane, il lui apprenait un enchantement: comment faire apparaître un château, une chapelle, etc... La dernière fois qu'il lui rendit visite, Viviane lui dit: "Je voudrais que tu m'apprennes à emprisonner un homme sans avoir à l'enchaîner ou à le jeter en prison." Merlin pensa bien qu'il était dangereux de laisser Viviane apprendre un tel maléfice. Cependant, il n'avait pas envie de refuser quelque chose à sa bien-aimée, et il lui apprit ce qu'elle demandait. Or, Viviane était malicieuse: alors que Merlin s'était un peu assoupi, elle traça autour de lui le cercle magique qui devait l'enfermer à jamais. Ainsi pouvait-elle tenir pour toujours en son pouvoir l'homme qu'elle aimait. Merlin était comme paralysé, il ne pouvait plus agir; il pouvait juste raconter à qui avait pitié de lui qu'il avait été victime de son amour. C'est donc cette Viviane, devenue fée aux mille pouvoirs, qui t'a enlevé bien des années après avoir enchanté Merlin. C'est ce qui explique son pouvoir de marcher sur les eaux, ou celui d'accomplir toutes sortes de voeux.

Le récit de Farian me laissa rêveur. J'étais content d'avoir appris l'origine des dons de la Dame du Lac, mais il me tardait maintenant de me lancer dans le vrai monde, de frayer avec les chevaliers et les seigneurs dont Farian m'avait fait entrevoir la présence à la cour du roi Arthur: je ne voulais pas passer toute ma vie dans le royaume de la Dame du Lac.

Jusqu'alors, j'avais bien-sûr déjà vécu des aventures; ma bienfaitrice avait agi pour que se développent ce qu'elle appelait mes qualités de corps, de coeur et d'esprit, qui feraient de moi plus tard un valeureux chevalier. Elle s'était chargée de mon éducation: alors que, normalement, les enfants sont laissés jusqu'à l'âge de sept ans aux soins des femmes de la maison et ne sont initiés aux sports et aux exercices physiques qu'après avoir atteint cet "âge de raison", Viviane a permis qu'une exception soit faite pour moi qui m'intéressais à toutes choses. Tout petit déjà, je ne me complus jamais dans la compagnie des enfants de mon âge qui jouaient aux osselets, aux billes ou â la marelle. J'appris très jeune â lire, déchiffrant les livres qui, ornés de riches enluminures, sont rares et précieux. La clergie* ainsi que les Saintes Ecritures n'eurent bientôt plus de secret pour moi. J'appris aussi à jouer aux tables: et aux échecs. Avec les valets, je sus vite m'occuper des chevaux, 8 dresser des chiens de chasse et des faucons. Comme on me l'a souvent dit, je sais que "jamais bien ne chevauchera qui ne l'apprend jeune". C'est pourquoi j'appris à chevaucher <chevaler), à me battre contre la uintaine* et à manier de lourdes armes. La chasse était l'une de mes occupations favorites: entraînement aux durs exercices de la guerre à laquelle tout jeune homme doit se préparer, la chasse est un véritable sport. La poursuite périlleuse du sanglier, l'épieu* à la main, m'était chose facile; de même, j'appris à rejoindre un jeune cerf à la course, exercice dans lequel j'excellais. J'appris également à exercer mon adresse dans des épreuves telles que le tir à l'arc. J'avais un arc très solide; j'en étais très fier car je l'avais fabriqué moi-même avec une corde de chanvre. Ce n'était pas un arc de guerre; je m'en servais quelquefois pour chasser, même si je préférais me servir pour cela de mon beau poignard à manche ciselé offert par la Dame du Lac. Mon arc me servait le plus souvent à participer à des concours de tir et à les gagner car je pouvais envoyer ma flèche à plus de deux cents mètres. J'appris aussi à exercer mon agilité en me préparant à participer aux tournois* qui sont de grandes fêtes, mais auxquelles ne peuvent prendre part que les chevaliers. L'essentiel dans le tournoi est de prouver que l'on est un bon cavalier en ne se laissant pas désarçonner... et en essayant de se battre le plus vaillamment possible, car les dames qui assistent, du haut de leurs estrades, aux épreuves qui ont lieu dans la lice* n'ont d'yeux que pour le vainqueur! Pour être digne d'être armé chevalier, Farian m'a enseigné qu'il fallait non seulement être fort et courageux, mais aussi courtois envers les jeunes filles et les dames, et faire preuve de générosité. Ainsi, un jour, alors que je me promenais à cheval dans la forêt, j'atteignis une maisonnette qui semblait abandonnée. Cependant, comme je m'en approchais, j'entendis une sorte de cri plaintif, comme un appel à l'aide, suivi d'un mugissement assez effrayant sorti de la bouche d'un géant qui était planté devant la maisonnette dont il avait apparemment la garde. Je compris vite qu'une jeune fille était retenue prisonnière à cet endroit. Rassemblant tout mon courage, car le géant était de taille à impressionner même le plus valeureux des chevaliers, je n'hésitai pas à le combattre. Je me battis de longues heures: contre la force du monstre, il fallut souvent user d'agilité et de souplesse; je devais sauter pour esquiver les coups que le géant tentait de m'asséner avec son énorme épée. Finalement, je réussis à le terrasser à force de ruse et je l'obligeai à se rendre. Car, si j'ai appris à être courageux, j'ai également appris à n'être pas cruel: je ne tue pas mon adversaire, sauf s'il s'agit de la juste vengeance d'une trahison. Généralement, je force l'ennemi à fuir ou bien je lui pardonne, ce qui me semble être le signe de la plus grande des justices de coeur. Je n'oublie jamais que la mission d'un chevalier est d'aider les faibles et non de montrer sa puissance et sa force sans raison. Un autre jour, alors que je me promenais de nouveau dans la forêt, je rencontrai un jeune cavalier en pleurs, qui m'expliqua la raison de son chagrin: "Je dois demain combattre un traître qui a tué un de mes parents. Mon cheval a été abattu et je n'ai pu trouver pour le remplacer que cette jument boiteuse." me dit-il. La bête qu'il avait à côté de lui était en effet pitoyable, et elle ne pouvait en aucun cas être la monture d'un chevalier lors d'un combat. J'offris alors mon propre cheval, un coursier superbe, à ce pauvre cavalier qui me laissa sa jument. Quelques heures plus tard, je rencontrai un vieux sénéchal* qui se rendait aux noces de sa fille et qui se lamentait de n'avoir rien à lui offrir. Je venais justement de poursuivre un magnifique cerf; je l'avais rejoint, l'avais tué avec mon poignard et l'avais attaché sur mon coursier, puis sur la jument du jeune cavalier. J'offris sans hésiter cette prise de chasse au vieillard. Celui-ci ne savait comment me remercier: un cerf d'une taille aussi imposante allait incontestablement être un cadeau royal pour sa fille. Il pourrait être mangé lors du repas, au cours duquel les gibiers sont toujours très appréciés par les convives. Le vieillard me laissa en échange son lévrier, bête malingre qu'il traînait après lui. J'étais donc en possession d'une jument boiteuse et d'un maigre chien lorsque je revins au château de la Dame du Lac. Me voyant arriver en pareil équipage, Farian s'étonna et m'interrogea. Je lui racontai comment j'avais donné mon cheval, puis le cerf: en écoutant mon récit, Farian me réprimanda vertement. Très en colère, il voulut frapper le lévrier qui était à mes côtés. Me fâchant à mon tour, je saisis mon arc et j'en frappai la tête de mon précepteur tant

ma colère était grande. C'est alors que la Dame du Lac, alertée par le bruit que faisait notre querelle, arriva sur les lieux et me questionna â son tour. Je dus de nouveau faire le récit de ma double aventure. J'expliquai que je ne m'étais pas fâché â cause des réprimandes que m'avait adressées Farian, mais parce qu'il avait voulu porter la main contre la créature innocente qu'était le lévrier. Je craignais un peu la réaction de la Dame du Lac, car il était grave pour un jeune homme comme moi de se battre contre son précepteur à qui était dûs obéissance et respect. Cependant, ma bienfaitrice fut d'une grande bonté envers moi: elle me pardonna en estimant que j'avais agi avec beaucoup de générosité et qu'elle ne pouvait m'en blâmer. A partir de ce jour, je fus convaincu, plus que je ne l'avais jamais été, de la gentillesse de la Dame du Lac, et je compris que, quelles que soient les délicates situations dans lesquelles je pourrais me trouver un jour, elle serait toujours là au bon moment pour m'apporter son aide ou son réconfort. Cependant, je n'avais plus de cheval, et Viviane me fit comprendre qu'il n'était pas en son pouvoir de m'en redonner un. Puisque j'avais offert le mien avec grand coeur, je devais chercher seul le moyen de m'en procurer un nouveau. C'est en effet l'un des devoirs du futur chevalier que de savoir chercher certains des attributs dont il peut avoir besoin. C'est dans cet état d'esprit que je rencontrai un nain qui m'expliqua comment obtenir un cheval: il fallait pour cela que je découvre le nom de la jeune fille qui, transformée en grenouille par un enchantement maléfique, habitait de l'autre côté de la rivière et des montagnes. Je partis donc pour un long périple. Je dus me frayer, à pied, un chemin dans la forêt, et, là j'eus plusieurs fois à lutter contre les brigands qui voulaient voler le peu d'argent que je possédais. Lorsque j'arrivai à la rivière, je pus la traverser sans difficulté car je découvris sur la berge une embarcation. Pour franchir les montagnes, le chemin fut plus rude et il fallut que je trouve un guide. Celui-ci connaissait parfaitement les lieux et il se proposa pour me conduire à la demeure de la jeune fille ensorcelée, en échange du peu d'argent qui, heureusement, était encore en ma possession. J'arrivai donc enfin au but de mon voayge. La princesse habitait un château qui tombait en ruines, ayant sans doute été dévasté par ces mêmes ennemis qui avaient transformé la jeune fille en grenouille. Présente sous cette forme à mes côtés, elle ne pouvait m'aider à rompre l'enchantement et elle se contentait de faire des bonds autour de moi. Comme elle ne m'était d'aucun secours, je devais trouver seul son prénom: c'est alors que je me souvins que mon précepteur m'avait parlé un jour de différentes jeunes filles et dames qui représentaient à ses yeux l'amour courtois dont il essayait de m'enseigner les limites et les contraintes. En fouillant dans ma mémoire, je retrouvai petit à petit une suite de noms auxquels pouvait peut-être bien appartenir le prénom de la princesse inconnue. La femme aimée pouvait s'appeler Béatrice, image idéale de la beauté pour la poésie. Elle pouvait également avoir pour nom Iseult la blonde, épouse coupable de s'abandonner à la fatalité d'un amour interdit; ou bien Kélisande, venue on ne sait d'où et trouvée abandonnée dans une forêt; ou bien encore Brtlnhild, vierge prisonnière derrière un rideau de flammes que personne n'a jamais pu franchir. Elle pouvait aussi apparaître sous les traits de la belle Héloïse, séduite et épousée en secret, ou s'appeler Catherine, jeune fille ensorcelée qui porte en elle toute la mystérieuse magie de l'amour. Elle pouvait avoir un prénom de reine comme Isabeau ou Blanche, ou bien encore se prénommer Hildegarde la pieuse ou Berte, jeune mariée injustement soupçonnée et obligée de traverser une longue épreuve avant de retrouver ses droits. Il arrivait également qu'elle soit élevée dans un couvent: la douce Bénédicte avait alors pour compagnes la jeune Adelaïde, la jolie Chrétienne, la tendre Xathilde, ainsi que Yolande, Ysolde, Yvaine, Jehanne et Blandine, toutes les cinq filles d'un riche seigneur de la contrée. Ces jeunes filles vivaient au couvent dans une pieuse harmonie et y apprenaient à lire, à écrire, à chanter et â broder pour Le service de l'autel des ouvrages magnifiques. Dans d'autres cas, les jeunes filles, destinées au mariage, étaient élevées à la maison comme la belle Violaine, ou Irène, ou Renée, où elles étaient formées à leur futur travail de maîtresses de maison. Ayant beaucoup cherché, je réussis à trouver le prénom de la princesse. Dès que je l'eus nommée, elle retrouva sa forme humaine et me remercia chaleureusement. Comme elle s'était enquis de ce qu'elle pouvait m'offrir pour 10 me récompenser, je lui demandai un cheval qu'elle m'accorda sur le champ. Puis je lui dis adieu, car j'avais hâte de retrouver la Dame du Lac et de lui narrer mon aventure. Je refis donc le chemin en sens inverse, plein de l'allégresse d'avoir réussi ma mission, et j'atteignis le château de ma bienfaitrice qui m'accueillit avec joie. Elle me dit: "Cher enfant, voici venu le temps de nous séparer. Tu vas partir à la cour du roi Arthur pour t'y faire armer chevalier car, tes dernières aventures l'ont prouvé, tes qualités sont sans pareilles. Lorsqu'il t'arrivera malheur, tu penseras à moi et je serai comme un ange gardien qui te permettra de reprendre des forces." Avant de me laisser partir, elle me dit encore: "Sache que la chevalerie a été créée pour que le droit l'emporte sur la force. Le chevalier doit remplir ses devoirs avec adresse, astuce, force, bonté, bravoure, sagesse et courtoisie. Sa force ne lui sert pas à s'enorgueillir mais à aller au secours de ceux qui en ont besoin et à défendre ses amis. Rappelle-toi de cela. Adieu." Je sentais dans sa voix une sorte d'émotion qu'elle avait du mal à cacher (celer>, tout comme j'avais du mal à cacher la mienne. Je vivais un moment mémorable de mon existence, celui où j'allais devoir tout quitter pour partir à la conquête d'un monde qui m'était inconnu. Et c'est ainsi que je partis, chevauchant à petit trot la lande qui sépare la forêt de Brocéliande* du royaume de mes amis Lionel et Bor qui m'accompagneraient jusqu'en Grande-Bretagne, :selon le conseil de Farian. 11

L CHAPITRE I I Quand j'avais dit à Farian mon intention de partir sans plus tarder vers le royaume d'Arthur, sa réaction avait été vive. Lui qui était d'apparence bourrue m'aimait en fait beaucoup et il ne voulut pas que je m'embarque seul pour la traversée de la mer qui sépare la Petite-Bretagne de la Grande-Bretagne. Il s'était écrié: "Une telle expédition n'est jamais sans embûche! Dans ce bras de mer salée que tu devras franchir, tout semble propice: la longueur relativement courte de la traversée, la profondeur relativement faible des eaux. Cependant, il faudra te méfier de la force des marées, et des éventuelles attaques de pirates qui sont d'autant plus nombreux sur cette mer que le trafic commercial y est intense. Durant ton voyage, il te faudra agir avec astuce comme le fit Ulysse, héros dont je t'ai jadis* raconté les exploits. Face aux dangers, il te faudra de l'aide. C'est pourquoi je t'engage à aller chercher, avant ton départ, Lionel et Bor. Ces deux jeunes gens, (tu apprendras plus tard pourquoi), te sont proches et te seront toujours très dévoués. Ils t'accompagneront volontiers en Grande-Bretagne et leur aide te sera précieuse. Vas, et porte-toi bien!" C'est ainsi que je suis allé chercher mes amis Lionel et Bor. Je les ai trouvés dans le château de leur père, Bor de Gannes. C'est une belle propriété aux épais murs de pierre, cmme en possèdent seules les demeures des seigneurs et des riches bourgeois.' Les pièces y sont nombreuses, mais le mobilier y est rare: j'y ai vu de beaux bahuts de bois sculptés, des coffres, et aussi de grandes et solides tables entourées de bancs et de chaises à très haut dossier ornées de belles sculptures sur bois. Je pris avec mes amis une collation faite de morceaux de chevreuil cuits dans un bouillon de vin épicé que nous mangeâmes avec d'épaisses tranches de pain et que nous arrosâmes de vin versé dans des gobelets d'étain. Girard, le vieux valet du château, souriait alors qu'il nous servait, et il nous encourageait: "Manger (mangier), boire (bevre> sont de bonnes occupations pour de jeunes gens comme vous qui doivent accroître leurs forces!" Une fois nos appétits assouvis, nous décidâmes de partir: mes amis allèrent faire leurs adieux à leur mère et à leur père qui leur tint un discours qui me rappela fort celui que m'avait adressé Viviane à mon départ. Je pouvais entendre Loir) ce qu'il disait, mais je restai avec discrétion à quelque distance, essayant d'attacher de mon mieux le baudrier* (baldref) flambant neuf que m'avait offert la Dame du Lac. Après les embrassades, nous montâmes sur nos chevaux et nous partîmes en direction du Nord. Aucun de nous trois n'avait accompli ce voyage auparavant, et c'était pour nous le début d'une véritable aventure. Nous chevauchâmes pendant plusieurs heures sans incident. Nous croisions sur notre chemin quelques vilains* et quelques serfs?* qui étaient aux champs et qui ôtaient leurs chapeaux pour nous saluer. Ils effectuaient leurs corvées, travail gratuit dû par le paysan à son seigneur. Ils travaillaient dur, poussant l'araire, cette charrue en bois et sans roue qui leur était de grand secours. Nous reconnûmes en passant les terres qui avaient été laissées en jachère* ou en écobuage*. La plupart des fiefs* qui étaient sur notre route appartenaient à sire Guillaume, vassal* de son frère Etienne qui était suzerain* sur toute la contrée. Lionel m'expliqua que plusieurs de ces terres étaient des apanages: il s'agissait de portions de domaine que le suzerain donne à son fils cadet ou à son frère. Guillaume devait ainsi allégeance* à son frère. Toutes ces lois et ces coutumes constituent l'ordre politique et :social que l'on nomme la féodalité*, ordre auquel ne peuvent pas adhérer ceux qui ne sont pas nobles et que l'on nomme des roturiers. Il faisait beau et le soleil brillait sur les champs, sur les buissons 13 d'aubépines au bord du chemin, et nous avions envie de plaisanter (ca vin er) et de rire (gogo1er) ensemble. Pour nous divertir, nous prêtâmes oreille aux paroles d'un vieux conteur (fableor) aux chevaux blancs qui, assis sur un banc aux abords d'un village, attirait l'attention des passants par ses récits: les sujets qu'il abordait volontiers étaient ceux du passé; il faisait revivre devant nous les rois et les événements qui, autrefois (altrefeiz) avaient présidé au destin de la France. Nous ne résistâmes pas au plaisir de l'écouter: "Aussi loin que mon grand-père Arnauld, qui lui-même le tenait de son grand-père Hector, pouvait s'en souvenir, il y eut dans notre pays, de l'an 448 à l'an 751, une dynastie, la première des rois de France, qui s'appelait la dynastie mérovingienne. Elle tenait son nom de !érovée, le grand-père de Clovis, qui en fut sans doute le roi le plus illustre, bien plus connu en vérité que Childéric I son père. Durant son règne qui débuta en 481, Clovis sut étendre son autorité jusqu'au Rhin. Sous l'influence de sa femme Clothilde et de l'évêque de Reims (futur Saint Rémi) il se convertit au catholicisme, ce qui lui permit d'acquérir l'appui de ses sujets gallo-romains. Tous les rois mérovingiens ne furent hélas pas aussi vaillants que lui. Il y eut bien-sûr Dagobert I qui a rétabli l'unité du royaume avec Paris pour capitale et qui eut pour trésorier le futur Saint E1oi. Mais ensuite, pendant plus d'un demi-siècle, régnèrent sur la France quelques rois qui furent surnommés les "rois fainéants"; durant leur règne, le pouvoir central s'affaiblit et le commerce et l'industrie déclinèrent. Ces rois eurent cependant des ministres appelés "maires du palais" qui prirent en mains le pouvoir; le plus connu d'entre eux est, comme chacun le sait, Charles Martel, qui gouverna pour Thierry IV. Son surnom lui fut donné à cause de l'énergie qu'il déploya pour imposer sa politique tel un marteau (~aartel) qui assène des coups. "Tels furent les rois mérovingiens, dont la dynastie finit avec Childeric III, qui n'est guère connu de nos jours, sinon parce qu'il fut déposé par Pépin le Bref. Ce dernier devint ensuite le premier roi de la dynastie carolingienne, deuxième dynastie des rois de France. Le mot "carolingien" était justement issu du nom de Charles Martel dont je viens de vous parler. Cette dynastie dura plus de deux siècles, de 751 à 987. Le plus connu des carolingiens fut Charles I roi des Francs, appelé Charlemagne. Il était le fils de Pépin le Bref et de Berte aux grands pieds. sçon règne débuta en 768 et se termina à sa mort en 814. Plusieurs faits marquèrent le règne de celui qui fut surnommé "l'empereur à la barbe fleurie". Tout le monde connaît la bataille de Roncevaux, où l'arrière-garde de Charlemagne fut exterminée par des montagnards basques en 778. Cette bataille fut rendue célèbre par La Chanson de Roland*, qui la dépeint comme le lieu où Roland trouvaz la mort. Charlemagne avait beaucoup d'ambition et souhaitait agrandir son royaume: c'est ainsi qu'il força Didier, roi des Lombards, à capituler en 774, et que le roi saxon Vidukind se rendit en 785. Ses victoires contre différents ennemis ont montré que Charlemagne n'hésitait pas à pénétrer toujours plus loin à l'intérieur des domaines étrangers, dans le double but d'une expansion territoriale et d'une propagation de la foi chrétienne en pays païen. En l'an 800, le pape Léon III le couronna empereur. Il se trouvait alors à la tête de l'empire d'Occident, gouverné depuis Aix-la-Chapelle. C'est dans cette ville que Charlemagne avait décidé de se fixer dès 790, entouré de nombreux paladins*. Protecteur des lettres et des arts, il créa des écoles, chercha à promouvoir les connaissances en réunissant dans son palais d'Aix une sorte d'académie riche en savants venus de toute l'Europe. Il fut aussi un grand législateur puisqu'il publia les lois dites "Capitulaires" par lesquelles il réforma les institutions antérieures et la justice. Nous connaissons notamment un capitulaire qui imposait aux sujets de Charlemagne un serment sur les reliques ou sur l'Evangile, un autre capitulaire sur les instructions précises se rapportant à l'exploitation des domaines royaux. Telle fut, brièvement contée, la vie de notre sire Charlemagne, que Dieu lui rende gloire! On parla de lui longtemps encore après sa mort. De son vivant, il couronna son fils Louis le Pieux en 813. L'incapacité politique de ce dernier engendra vite des querelles entre ses héritiers, ce qui aboutit à la dislocation de l'empire: l'unité de l'Occident bâtie par Charlemagne fut détruite, car en 843 eut lieu le célèbre "Traité de Verdun", entre trois (3) petits-fils de Charlemagne: Charles hérita de la 14 France (partie occidentale), Louis de la Germanie (partie orientale) et Lothaire de la Lotharingie (partie centrale). La dynastie carolingienne régna ensuite jusqu'à la mort de Louis V et elle s'éteignit au soir du Xè siècle..." Nous avions écouté sans mot dire le vieillard. Il racontait avec enthousiasme des événements qu'il n'avait pas vécus mais dont il savait faire partager la richesse et l'émotion. Les villageois eux-mêmes, quoiqu'habitués à la façon qu'avait cet homme de parler (fabler) sans arrêt, s'étaient attroupés: les distractions étaient rares pour eux, et il était toujours plaisant d'écouter ceux qui faisaient profession de poète, de ménestrel* ou de trouvère*. Nous avions nous-mêmes beaucoup apprécié le récit et nous laissâmes au conteur une galette de seigle, puis nous reprîmes notre route. Avant d'arriver à la côte, nous devions traverser une ville qui m'était inconnue mais qui avait une importante réputation de port de pêche. Toute la vie urbaine y était en rapport avec la mer: travail des bois pour les coques et les mâts des navires, fabrication des toiles et des cordages, fabrication des armes. La ville nous apparut bientôt, resserrée dans ses murailles. Les hautes maisons à encorbellement* qui la composaient étaient elles aussi serrées les unes contre les autres. Je remarquai que la plupart d'entre elles ne possèdaient que de rares fenêtres au rez-de-chaussée et que les culs-de-sac étaient nombreux dans la ville: Lionel, qui avait plus voyagé que moi, m'expliqua que ces précautions étaient prises pour perdre les intrus et pour décourager les malandrins*. En approchant du centre, nous arrivâmes dans la rue principale qui était une rue marchande. L'agitation y était importante. Nous remarquâmes des bâtiments imposants, munis de tours et de créneaux*. Il y avait là le palais du seigneur de l'Hôtel de Ville avec son beffroi,* et quelques palais de familles riches. Il régnait des deux côtés de la rue une effervescence extravagante. Tous les marchands avaient sorti sur le devant de leur boutique des étalages divers. Nous vîmes des marchandises importées d'Orient, venues directement des bateaux qui arrivaient au port: le poivre, les noix de muscade, la cannelle, les clous de girofle y étaient vendus en quantité. Il y avait aussi des marchandises utilisées à la teinturerie, des étalages de fourrures et des piles de draps et de tentures aux vies couleurs. Sur la place, il y avait également le marché: on y vendait toutes sortes de légumes, de fruits, de viandes, gibiers, fromages, vins et sel. La foule était si dense qu'il était difficile de se frayer un chemin à cheval. Nous vîmes même une charrette embourbée dans le ruisseau central de la rue, et plusieurs hommes qui tentaient en vain de la remettre sur ses roues. On remarquait dans la rue des attroupements divers: paysans venus vendre leurs produits au marché, étudiants sortant de leurs cours et s'entretenant bruyamment de quelque sujet politique, bourgeois* réunis pour parler des franchises* accordées par leur seigneur. Lionel me désigna le bailli, officier d'épée (ou de robe) qui rend la justice au nom du roi ou d'un seigneur; il parlait avec l'échevin, magistrat municipal chargé de la police et des affaires des communes. Un artisan vêtu d'un surcot* à demi-manches et de chausses*, portant un capuchon à cornette et des chaussures (patins) en cuir, les interpella: tous trois pénétrèrent alors dans la boutique de l'artisan. Dans une rue plus retirée, comme nous sortions de la ville, nous surprîmes un jeune homme (orne) qui contait fleurette à une jeune femme (ferre): il tenait dans sa main une fleur (floi-) et la tendait à la dame qu'il voulait élire (eslire) reine de son coeur. Une telle scène me fit penser au Roman de la Rose dont m'avait parlé Farian, poème de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung dépeignant les règles de la courtoisie médiévale... Cependant, nous poursuivions notre chemin: c'est ainsi que nous arrivâmes à la sortie de la ville qui donnait directement sur le port. Là, de nombreux bâteaux étaient amarrés. La plupart d'entre eux arboraient des bannières de seigneurs du voisinage, suffisamment riches pour entretenir à leurs frais une embarcation qui faisait du petit commerce. Il y avait là aussi de plus frêles embarcations de pêcheurs chargées de filets de plus ou moins grande taille jetés pêle-mêle les uns sur les autres. Il y avait enfin de grandes nefs*, certaines aux couleurs de la France, d'autres aux couleurs de l'Angleterre et des pays nordiques, qui transportaient des cargaisons de laine, de soie et de fourrures. Parmi ces nefs, quelques unes, très rares, étaient plus spécialement apprêtées pour le transport de quelques passagers. C'est vers une telle embarcation que nous dirigeâmes nos pas après avoir mis pied à terre. Je 15 m'adressai à l'un des hommes qui étaient assis par terre, se reposant au soleil. L'homme était un marin qui nous confirma que son bâteau assurait le transport de passagers .jusqu'en Grande-Bretagne. Un départ aurait d'ailleurs lieu le lendemain matin. Le marin, nommé Quentin, voyant que nous voulions partir sans retard, nous conduisit, en empruntant une étroite passerelle, sur le pont du navire et il s'en alla quérir le capitaine. Celui-ci, Sire Benoît, était un gros homme barbu au sourire jovial; il nous accueillit avec empressement; son sourire s'agrandit davantage lorsque nous mîmes entre ses mains les quelques livres* qui devaient payer notre voyage. Nous demandâmes au capitaine s'il pouvait avancer son départ de quelques heures, car nous souhaitions être en Grande-Bretagne le plus tôt possible. Celui-ci, homme vénal, et qui avait si peu l'habitude de transporter (voiturer) des passagers qu'il avait peur que nous nous décommandions au dernier moment, s'empressa d'accepter. Nous avions rendez-vous une demi-heure plus tard, le temps pour lui de finir de charger le frêt, et le temps pour nous de vendre nos chevaux: (Dar il était hors de question de les embarquer. C'est pourquoi nous partîmes à la recherche d'un maquignon: le marin que nous avions abordé nous indiqua, quelques mètres plus loin sur le port, la boutique d'un homme qui faisait toutes sortes de troc. L'homme, nommé Bertrand, voulut bien prendre nos chevaux en échange de quelques écus, ce qui était, ma foi, fort peu payé. Nous gardâmes avec nous nos harnais (harnois). Une fois l'affaire conclue, nous retournâmes à la nef oû nous attendait le capitaine. Nous embarquâmes et, quelques minutes plus tard, le bâteau prit le large. Le capitaine nous avait prévenu que la durée du trajet dépendait beaucoup des vents. Je me souvins des conseils de Farian: allions-nous essuyer une tempête, allions-nous rencontrer des pirates? Par bonheur, le temps était au beau fixe. Le navire était pourvu d'un gouvernail moderne, qui remplaçait depuis peu sur les embarcations de fort tonnage l'antique gouvernail-rame qui était dur à mouvoir. Notre bâteau possédait deux magnifiques mâts et les voiles étaient utilisées à plein. Le capitaine, lorsqu'il vit que la technique de la navigation m'intéressait, me montra la boussole*, l'astrolabe* et le portulan* dont il se servait pour ses courses en mer. Il m'expliqua aussi que la nef était pourvue d'un gréement* qui permettait de naviguer contre le vent. Mais, à ce moment-là, les vents n'étaient pas trop violents et le voyage promettait d'être agréable. Nous nous installâmes sur le pont, nous asseyant sur des ballots (bletes) qui jonchaient le sol: l'air sentait l'eau de mer et le grand vent, sensation qui m'était jusqu'alors inconnue. Farian m'avait décrit un jour les galères, navires de guerre et de commerce longs et de bas bords. Cependant, il m'avait peu parlé des nefs, mais je me souvenais d'un proverbe qu'il aimait me citer: "Qui entre en nef n'a pas vent à gré", qui signifie que les débuts d'une entreprise sont souvent pénibles. Admirant les formes arrondies du navire qui se frayait aisément un passage dans les eaux, je pensais à la véracité de ce proverbe qui pouvait s'appliquer à la situation dans laquelle Lionel, Bor et moi-même nous nous trouvions. Nous partions vers un pays qui nous était inconnu, pour des aventures qui l'étaient plus encore. Lorsque j'étais encore auprès de lui, Farian m'avait cependant enseigné la situation géographique et les caractéristiques de certaines contrées ou provinces. Je me rappelais par exemple avec précision la description qu'il m'avait faite des différents états qui composaient l'empire de Charlemagne au début du IXè siècle: au sud, près de l'Espagne, se trouvaient la Marche à l'est et la Navarre à l'ouest; puis, en remontant, la Gascogne à l'ouest et la Septimanie à l'est, bordant la Mer Méditerranée le long de laquelle se situaient également la Provence et aussi la Lombardie, aux portes de l'Italie. Les trois plus grosses provinces étaient l'Aquitaine à l'ouest, la Bourgogne au centre et la France au nord, à la place de la Flandre actuelle. A l'extrême nord du royaume se trouvaient la Saxe, plus au centre l'Austrasie, puis encore plus bas l'Alamannie, jouxtant la Lombardie au sud et la Bavière à l'est. Restaient enfin, s'il m'en souvient, une province à l'extrême est appelée la Carinthie, et la Neustrie à l'ouest, aux portes de la Bretagne... Une telle énumération m'avait donné envie de partir, et voici que maintenant commençait ma nouvelle vie à laquelle s'associaient mes deux amis. Nous ne savions rien de ce qui nous attendait, mais nous étions prêts à tout affronter; notre jeunesse nous donnait des ailes. Nous humions l'air marin, 16 nous voulions sentir (oler) toutes les nouvelles odeurs qui s'offraient à notre curiosité. Nous ouvrions aussi tout grand nos yeux et nos oreilles. Nous naviguions depuis quelque temps déjà quand je m'aperçus qu'un homme nous regardait. Il me sourit et, voyant que nous étions prêts à lier connaissance, il nous aborda: "Savez-vous que c'est à bord de nefs semblables à celle-ci que notre roi Saint-Louis a débarqué en Terre Sainte il y a quelques années?" Comme nous l'écoutions sans mot dire, il poursuivit: "Je pourrais vous en dire long sur toute une partie de l'Histoire de France que j'ai apprise au fil des ans et des voyages... Je connais assez bien en effet cette troisième dynastie des rois de France que l'on appelle la dynastie capétienne et qui débuta en 987. (NB) Savez-vous que le mot "capétien" vient du nom de Hugues Capet, qui fut roi de France de 987 à 996? Hugues Capet était le troisième roi de France de cette race issue de Robert le Fort, comte d'Anjou. Un des rois les plus grands de la dynastie est à mon avis Philippe II, que l'on a connu plus généralement sous le nom de Philippe Auguste, Longtemps, il a mené une lutte tenace et répétée contre les Plantagenêts, dynastie anglaise qui possédait des terres en France et qui menaçait ainsi la monarchie française. Il commença par encourager dès 1183 les révoltes des deux fils de Henri II Plantagenét. On se souvient par exemple de la façon dont il fit condamner le roi d'Angleterre Jean sans Terre (qui avait succédé en 1199 à son frère Richard Coeur de Lion) à la saisie de ses fiefs français. La célébre bataille de 1214 à Bouvines marque la défaite des alliés de Jean sans Terre (Otton IV d'Allemagne, le comte de Flandres et Ferdinand du Portugal) contre Philippe Auguste. Plus tard, celui-ci compléta ses conquêtes par une politique de centralisation, renforçant le pouvoir royal en créant les baillis et les sénéchaux*. "Philippe Auguste est surtout connu pour la troisième croisade* à laquelle il participa. Ces croisades sont une aventure dont on ne sait si on verra la fin un jour... Avez-vous déjà pensé que voici un siècle et demi, déjà, qu'elles ont commencé? La première croisade se déroula de 109G à 1099 (1096-1099). Elle eut lieu sous le règne du roi de France Philippe I. C'est contre les Turcs que le duc de Basse-Normandie Godefroi de Bouillon mena cette première croisade qui lui valut une gloire personnelle puisqu'il fut élu "avoué du Saint-Sépulcre" après la prise de Jérusalem en 1099. Jérusalem fut ensuite reprise par le sultan Saladin en 1187. Le roi d'Angleterre Richard Coeur de Lion, qui participa à la troisième croisade aux côtés de Philippe Auguste, signa un armistice avec Saladin, autorisant des pélerinages à Jérusalem. En 1204, c'est Constantinople qui fut prise d'assaut par les croisés lors de la quatrième croisade et pillée sans pitié. Voyez, chers jeunes gens, comme les larmes me viennent quand je parle d r is des ' t no i~ r Ix i 1,_ ux 9ain £ou si ètt Cdlî agggi i bP $e~~ ahn~s ~~u~eQ a~rgpr accédé au trône (puisque sa mère Blanche de Castille fut la régente du royaume de 1226 à 1246) il est parti pour anéantir l'Egypte, grande puissance musulmane. Voilà seulement qu'il rentre d'Orient, après six années de guerre, et Dieu seul sait ce qu'il va advenir maintenant!" Le ton de la voix de Gautier, notre conteur, était devenu mélancolique. Nous avions ressenti, au cours de son récit, l'amour qu'il avait pour le royaume de France et la vénération qu'il vouait au roi Saint Louis. Nous ne voulûmes pas déranger ses rêveries intérieures, et nous le laissâmes seul après l'avoir remercié. Il était d'ailleurs temps de remettre les pieds sur terre, de quitter le passé pour retrouver la réalité, de quitter la mer pour aborder la Grande-Bretagne dont nous apercevions déjà les falaises à l'horizon. Durant ce voyage, nous étions-nous suffisamment préparés à ce qui nous attendait, de l'autre côté de la )tanche? (NB: Le récit peut savoir que la ni que Saint Louis le Bel sera le roi 1302!). se déroulant durant le règne de Saint Louis, le conteur ne fin de la dynastie des capétiens directs aura lieu en 1328, mourut de la peste devant Tunis en 1270, ni que Philippe IV de France qui convoquera les premiers états généraux en FrA

Une fois débarqués, nous gratifiâmes notre compagnon de voyage d'un signe de main, et nous partîmes en quête d'une auberge. Cela nous fut chose facile, car il régnait sur le port une intense activité malgré l'heure tardive: les matelots déchargeaient les dernières marchandises venues d'au-delà des mers, et des commerçants en prenaient livraison, afin de pouvoir les étaler à la devanture de leur échoppe dès les premières heures de la matinée. Ces gens-là avaient le sens du négoce! Dès qu'il nous aperçut, un jeune mousse à la mine rieuse nous aborda: "Vous cherchez sans doute un endroit où loger, Messires? Si vous voulez bien, je vais vous conduire à l'auberge la plus proche: vous y trouverez quelqu'un qui pourra vous loger (osteler)". Nous fîmes confiance à ce jeune garçon nommé Nicolas dont l'amabilité nous charmait et nous le suivîmes . Nous arrivâmes bientôt face à une maison très haute, faite de torchis* et possédant une charpente de pieux apparente sur la façade; on devinait, au sommet, un vaste grenier éclairé par de nombreuses lucarnes. Sur le côté ouest s'élevait une tourelle en surplomb du plus bel effet. Je remarquai que les fenêtres étaient ornées de vitraux, composés de petits morceaux de verre de couleur réunis par de minces lames de plomb. La maison était plus longue que large: elle dessinait un rectangle dont le plus petit côté donnait sur la rue, ce qui lui valait l'appellation d'avoir "pignon* sur rue". Notre guide nous laissa à l'entrée et nous lui payâmes sa peine avec une pièce qu'il accepta avec un large sourire. Nous entrâmes ensuite à l'intérieur de l'auberge, dont le sol était dallé. Dans la grande salle, l'âtre était au milieu, et la fumée s'échappait de son mieux par un trou creusé jusqu'au toit. L'aubergiste, femme de forte corpulence, nous expliqua que les chambres étaient aménagées à l'étage pour les voyageurs. Nous lui réglâmes la somme, assez rondelette, qu'elle nous demanda pour la pension, puis nous montâmes dans nos chambres. Je fus étonné de voir qu'il s'agissait davantage d'un dortoir, possédant un couloir central et donnant accès de chaque côté à une demi-douzaine de cellules, séparées les unes des autres par de minces tentures. Cependant, la fatigue me harassait tant que je me déshabillai en hâte et m'allongeai sans plus tarder entre les couvertures. Je dormis d'un sommeil profond jusqu'au lendemain matin, où je fus réveillé par une exclamation venue de la cellule voisine où se trouvait Bor: "Il est grand temps de se lever!" s'écria-t-il. "Voyez comme le soleil est déjà haut à l'horizon!". J'allai le rejoindre et je m'aperçus en effet, en regardant par la fenêtre, qu'il était passé matines. Nous nous vêtîmes en toute hâte et nous descendîmes dans la grande salle où notre hôtesse nous servit du pain et du fromage que nous mangeâmes de bon appétit. Puis nous nous enquîmes auprès d'elle de l'endroit où l'on pouvait trouver des montures à acheter. Elle nous répondit que nous avions de la chance puisque c'était jour de foire et que nous trouverions bien sur la place quelque vendeur de chevaux qui ferait notre affaire. Nous prîmes alors congé, ayant eu soin d'emporter avec nous nos ballots de vêtements et nos harnais. Nous n'eûmes pas à marcher longtemps â l'intérieur de la ville pour y trouver la foire: ce que nous vîmes ressemblait beaucoup à l'agitation que nous avions découverte sur le marché en Petite-Bretagne. Mais, ici, le travail semblait plus important; il y avait deux ou trois fois plus de commerçants et on reconnaissait parmi la foule de nombreux étrangers. Les italiens et les allemands, spécialisés dans l'industrie des armes, venaient ici en vendre ou en acheter. Les flamands étaient, COMMe les anglais, grands fournisseurs de laine et de tissus: ils venaient donc là pour vendre, échanger, ou observer et comparer les marchandises de leurs concurrents. Nous rencontrâmes un homme nommé Grégoire qui nous proposa de belles et saines montures: nous tenions à posséder de

beaux chevaux, car le cheval était, nous le savions, l'attribut principal du chevalier. Nous devions ensuite quitter la ville au plus vite pour partir à la recherche de la cour du roi Arthur sous la protection duquel nous devions nous placer. Nous laissâmes donc avec regret les rues bruyantes aux couleurs vives, qui offraient à la convoitise des passants toutes sortes de produits, tissus et dentelles, chapeaux, ceintures et bourses en cuir de Cordoue, instruments de musique, miroirs, etc... Lionel remarqua même un baudrier orné de superbes dessins et ciselures qui nous fit envie à tous les trois. Comme il nous fallait penser à partir, nous allâmes dans une rue moins fréquentée où nous enfourchâmes nos nouveaux chevaux que nous fîmes marcher au pas jusqu'à la sortie de la ville. Là, un soldat qui montait la garde nous dit quelques mots qui semblaient être la promesse d'un bon voyage mais que je ne compris pas vraiment car ils étaient d'une langue inconnue de nous. En chemin, nous remarquâmes les nombreuses touffes deepç nêt, plante à fleurs jaunes qui devint célèbre en Grande-Bretagne depuis que Geoffroy V, l'arborant à son casque, avait donné ainsi son nom à la dynastie Plantagenêt. Après' avoir chevauché quelques heures, et comme la matinée était déjà très avancée, nous vîmes dans une pâture (pasture) un berger (pastor) qui caressait de la main un agneau (agne1). Nous demandâmes à l'homme, qui portait une tunique et une cape de gros drap fourré, où se trouvait Camaalot, la ville où se tenait généralement la cour du roi Arthur. Le berger nous regarda d'un air étonné, balançant d'un geste gauche la panetière* où il conservait son pain (pan) accrochée à sa ceinture: il ne semblait pas comprendre le sens de nos paroles. Far bonheur, un fonctionnaire qui passait par là à cheval nous expliqua que le brave homme parlait anglais, et que le français était principalement parlé par les fonctionnaires et les personnes instruites. Ensuite, il nous invita à le suivre, car lui-même, étant sheriff* en tournée, se rendait à la cour du roi où l'on avait besoin de ses services. C'est donc en compagnie du sheriff que nous arrivâmes sans incident à une ville, de moyenne dimension, qui abritait dans ses murs une multitude de chevaliers, d'écuyers* vêtus de leurs haubergeons*, de gens de robe et de bourgeois: cette foule s'appelait en Angleterre, comme nous l'apprit notre guide, le Parlement*. Entre les remparts et les premières maisons de la ville étaient montées des tentes pour les valets et les chevaux. Comme le sheriff demandait la raison de notre venue dans ce lieu, nous lui apprîmes que nous étions encore bacheliers*, prêts pour la cérémonie de l'adoubement*. Notre guide qui s'appelait Michel, nous conduisit alors près d'une tente qui était plus grande que les autres et plus richement décorée: c'était la tente royale où étaient entreposées toutes les affaires d'équipement des proches du roi. Nous trouvâmes là un certain Samuel, écuyer principal de notre roi: il nous accueillit à bras ouverts et nous expliqua que nous serions pendant quelque temps pris en charge par Yvain, chevalier ami d'Arthur. Il devait nous instruire des usages de la cour qui consistaient à vivre en bonne entente avec les personnes qui, dans la hiérarchie sociale, étaient plus haut placées (c'est-à-dire le roi notre maître, et l'ensemble des chevaliers qui l'entouraient) mais aussi avec les personnes qui étaient du même rang que nous (c'est-à-dire les écuyers, qu'ils fussent valets de chambre, d'écurie, de table, de chasse ou d'armes, et qui accomplissaient leur formation avant d'être adoubés eux aussi). Avec Yvain, nous visitâmes plusieurs maisons dans lesquelles logeaient ceux qui faisaient office de chambellan*, de maréchal, d'échanson* et de grand veneur*. Il y avait aussi toutes les maisons où étaient rangés les armements. Puis nous vîmes les cuisines royales, les appartements des servantes et ceux des hommes ayant des charges diverses, travaillant au service du roi: notaire, médecin (fisicien) et quelques commerçants tels que le mercier (seul marchand à avoir le droit de vendre de tout), le cordonnier, le pelletier*, etc. Nous pénétrâmes également dans la chapelle, où la coutume était de venir assister à plusieurs offices par jour, notamment à none*, vêpres* et complies*, ces différentes parties de l'office divin. Nous devions passer plusieurs jours à la cour pour travailler avec les écuyers. Yvain nous montra notre logement, modestes chambrées où nous ne manquions cependant de rien, et il nous invita à venir partager son repas dans l'appartement qui lui était dévolu. C'est ainsi que, en quelques jours, Yvain devint notre ami: il nous fit partager ses journées et nous nous entraînâmes 20 avec lui au combat chevaleresque. Un jour, nous vîmes même un champion en exercice: Yvain nous expliqua qu'il s'agissait d'un chevalier qui combattait en champ clos pour soutenir sa cause, ou quelquefois celle d'un autre, lors d'un tournoi*. Mais Yvain ne devait pas seulement entraîner nos corps aux exercices, éveiller nos sens par l'observation de la vie quotidienne. Il devait aussi développer nos connaissances en nous parlant de l'histoire de la Grande-Bretagne, ce pays où beaucoup de choses nous étaient inconnues. C'est pourquoi il nous raconta en quelques mots ce qui faisait selon lui l'essentiel de l'histoire anglaise, dont le premier grand roi fut sans doute Alfred le Grand, roi du Wessex qui est à l'origine de l'établissement de la souveraineté sur l'Angleterre: c'est lui qui prit Londres en 886; il recueillit et répertoria les lois déjà existantes, réorganisa l'Etat, et fut traducteur d'écrits historiques. Yvain nous parla ensuite de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie qui devint roi d'Angleterre en 1466 après la bataille d'Hastings où Harold II, roi d'Angleterre régnant, fut tué. Ayant accédé au trône, Guillaume le Conquérant donna aux Normands (chefs et chevaliers qui avaient combattu à ses côtés) les terres prises aux Saxons. Il fut, durant son règne, vassal du roi de France Philippe I. Yvain insista d'ailleurs sur cette particularité due à l'application du système féodal et à la dispersion des terres anglaises sur le territoire français: ce fut en effet l'un des traits marquants de l'histoire de l'Angleterre et de la France qui furent longtemps en lutte, surtout lors du règne des Plantagenêts, dynastie anglaise dont le début du règne se situe en 1154 (NB1), date à laquelle Henri II Plantagenêt devint roi d'Angleterre. Le destin de cet homme est d'ailleurs curieux, puisque Henri II, comte d'Anjou et duc de Normandie en 1149, devint duc d'Aquitaine en 1152 par son mariage avec Alienor d'Aquitaine (épouse répudiée par le roi de France Louis VII). Parce qu'il possédait six provinces françaises (Anjou, Aquitaine, Maine, Touraine, Bretagne et Normandie), Henri II eut pour suzerains deux rois de France: Louis VII jusqu'en 1180, puis Philippe Auguste jusqu'en 1189. Durant le règne de Louis VII, Henri II lutta contre la France pour préserver son pouvoir personnel sur ces provinces. Il lutta également en Angleterre contre l'archevêque de Canterbury Thomas Becket, qui fut son chancelier et favori avant qu'il ne le fasse assassiner en 1170 parce qu'il s'opposait à la restriction des droits de l'Eglise. Yvain nous parla ensuite des fils de Henri II: Richard Coeur de Lion, dont on nous avait déjà parlé lors de notre traversée de la Manche, et qui partit pour la troisième croisade (NB2); mais aussi Jean sans Terre dont nous avions également entendu parler: c'est lui qui signa avec les barons anglais en 1215 un accord appelé la Grande Charte, par lequel il s'engageait à s'en tenir aux droits anciens et à garantir ceux des seigneurs. Plus tard, le roi qui régnait en Angleterre alors que nous y étions, Henri III, avait tenté vainement de reprendre A Saint Louis, en 1242, les fiefs français confisqués à son père et avait dû signer en 1249 le Traité de Paris. Grâce à Yvain, nous étions suffisamment instruits de l'histoire de l'Angleterre quand vint le jour où nous devions être admis auprès du roi Arthur; nous fûmes conduits à la salle du Trône et nous prîmes place parmi les pages:* assis à terre devant les sièges vides réservés au roi et à la reine Guenièvre. Lorsque ces deux personnages arrivèrent, nous nous levâmes, puis nous mîmes genou à terre pour les saluer alors qu'Yvain nous nommait et nous présentait. A partir de ce moment, nous savions que notre désir d'être armés chevaliers serait satisfait par ce roi qui nous acceptait déjà parmi les siens. Après cette présentation, nous fûmes invités à pendre un bain (geste symbolique destiné à laver le corps de tout péché) puis à nous confesser (pour laver l'âme de tout péché). Ensuite, nous passâmes un vêtement blanc, signe de la pureté que nous avions acquise. Puis eut lieu la veillée d'armes: dans la chapelle attenant au domicile du roi, Lionel, Bor et moi-même, ainsi que deux autres écuyers qui s'étaient présentés au roi en même temps que nous, restâmes la nuit entière à méditer et ,à prier. Nous demeurions agenouillés au sol, dans la plus profonde concentration, jetant de temps en temps un regard sur chacune de nos futures épées, déposées sur l'autel. Au matin, nous reçûmes la communion au corps du Christ, donnée par le prêtre qui nous avait confessé la veille. Puis on nous pria de revêtir un vêtement rouge, de la couleur du sang que nous serions peut-être amenés à 21 faire couler pour défendre les faibles et les dames. Ensuite, nous nous présentâmes devant le roi, officiant chargé de nous adouber: le moment venu, le prêtre bénit les armes que j'allais porter; le roi boucla à ma taille le baudrier qui supportait l'épée, puis il m'aida à chausser les éperons d'or. Des aides achevèrent de me vêtir en me faisant porter le haubert*, le camail* et enfin le heaume*. Fuis ils firent passer autour de mon cou la guiche* qui porte le bouclier. Fendant tout ce cérémonial, je sentais battre mon coeur très fort: je savais que je vivais là des instants privilégiés dont je me souviendrais ma vie durant. Je fus encore plus ému lorsqu'il me fallut prononcer, à la demande du prêtre et du roi officiant, le serment de respecter les lois de la chevalerie: "Seigneur tout-puissant, toi qui a voulu constituer l'ordre de la chevalerie pour la protection des faibles, fais que ton serviteur que voici n'use jamais de son épée pour léser personne, mais qu'il s'en serve toujours pour défendre la justice et le droit." Comme j'avais prononcé cette prière, le roi s'approcha de moi et me donna la colée*, coup de paume à la naissance du cou, qui faisait définitivement de moi désormais un chevalier. La cérémonie était ainsi terminée: mon coeur était gonflé d'une immense joie. Il fut décidé que des réjouissances allaient suivre ce cérémonial. Les fêtes devaient débuter par une exhibition du savoir-faire des nouveaux promus, lors d'une joute*, suivie d'un festin agrémenté de tours de jongleurs, de montreurs d'ours et de ménestrels* qui diraient des chansons de geste* tard dans la nuit. J'allais participer à ces festivités quand un messager se présenta, essoufflé, dans la salle où avait eu lieu l'adoubement, et délivra au roi un pli urgent de la part de la noble dame d'Exeter: elle demandait de l'aide car son château était assailli par les Danois, peuple venu du Nord qui avait conquis l'Angleterre en 866, que le roi d'Angleterre Ethelred avait tenté de soudoyer au début du XIè siècle, et qui continuait malgré tout à occuper des terres anglaises. Je me proposai tout de suite et partis avec quelques compagnons pour prêter main forte aux hommes d'armes de la dame d'Exeter. Arrivé à proximité du château, je m'aperçus qu'il restait peu d'assaillants. Parmi eux, celui qui semblait être le chef, monté sur un cheval superbement caparaçonné* venait de terrasser avec rage l'adversaire qui lui faisait face. Sans attendre, je me précipitai pour lutter contre ce chef apparemment si vaillant: le combat qui nous opposa fut long et difficile. Nous nous battîmes d'abord à cheval puis, ayant été tous deux désarçonnés dans un élan qui nous avait jeté l'un sur l'autre, nous continuâmes de nous battre à terre, à l'épée puis au poignard. Enfin, je réussis à désiquilibrer mon adversaire et, le menaçant sous la gorge de mon poignard, je le forçai à se rendre. Pour qu'il ait la vie sauve, je l'obligeai à aller implorer son pardon à la dame qu'il avait offensée. Le chef danois dut exécuter ma requête, ce qui me permit de sortir triomphant de mon premier vrai combat. A quelque temps de là, la dame d'Exeter alla rendre visite à la reine Guenièvre qui était son amie. Celle-ci s'étant fait raconter la lutte que j'avais eue l'honneur de mener contre le chef danois, se montra charmée par le courage de mon geste et me fit envoyer, pour me remercier d'avoir sauvé la vie de son amie, un écu* magnifiquement ciselé à ses armes personnelles. C'est depuis ce jour que le reine Guenièvre, dont j'avais remarqué la beauté lors de l'adoubement, devint la dame de mon coeur: c'est pour elle que je me suis toyujours battu, pour défendre ses droits et ceux des pauvres qu'elle protège dans sa grande bonté. Cependant, ayant été élevé par la Dame du Lac dans le plus grand secret, je ne connaissais pas mon nom ni celui de mon père. Je rencontrai un jour une vieille femme qui m'affirma que j'aurais l'occasion de découvrir ce nom "lorsque la garde douloureuse deviendrait joyeuse". Je ne compris pas le sens de ces paroles mystérieuses. Mais, quelques jours plus tard, il advint que Lionel et Bor, partis en promendade à travers la forêt, ne revinrent pas. Etonné et inquiet de leur sort, je partis à leur recherche et je dus chevaucher de longues heures en vain. Voyant enfin au loin un château perché sur une colline, je m'en approchai. Alentour, je découvris une troupe de outlaws* qui, assis autour d'un feu, discutaient avec fermeté. Celui qui était sans doute leur chef ressemblait fort à Robin des Bois, cet archer proscrit par les Nomrmands et devenu héros légendaire saxon. Il avait le regard particulièrement vif et malicieux comme celui d'un renard (goupil) et qui 22 trahissait son courage et son amour de l'action, Comme J'avançais, ils m'acceptèrent dans leur groupe et m'expliquèrent que plusieurs de leurs compagnons (.compaings) avaient été faits prisonniers et enfermés dans la Garde Douloureuse. Quand j'entendis ce nom, je prêtai davantage attention à leur récit: le château en question était bien celui qui nous faisait face; à l'intérieur étaient retenus des dames et de nombreux chevaliers. Attaquer le château était chose difficile car celui-ci était entouré d'une double ceinture de murailles gardée par vingt chevaliers. Pour délivrer les prisonniers, il fallait accomplir l'exploit en un seul jour. Les compères s'appprêtaient à livrer bataille le lendemain. Je les quittai et cherchai une auberge pour passer la nuit. J'avais rendez-vous avec eux le lendemain au lever du soleil car j'avais décidé de me joindre à eux pour attaquer la Garde Douloureuse et délivrer mes amis Lionel et Bor qui devaient eux aussi y être enfermés. A l'auberge, alors que je prenais un léger repas, une Jeune femme m'aborda: elle se présenta à moi comme étant une servante de la Dame du Lac. Je ne la connaissais pas, mais je savais que Viviane avait auprès d'elle de nombreuses compagnes qui étaient prêtes à l'aider en toutes circonstances. Cette femme avait pour mission de me faire don de trois boucliers magiques qui m'aideraient à combattre: le premier devait raviver mes forces, le second devait les redoubler et le troisième les tripler. Je remerciai vivement la jeune femme de cette aide qui allait sans doute me permettre de déjouer les maléfices du château enchanté. Rassuré sur les épreuves du lendemain, je passai une bonne nuit et me levai de bon matin. Arrivé devant le château oü m'attendaient mes compagnons de la veille, je leur fis part du don qui m'avait été fait: nous décidâmes que j'essayerais seul de vaincre les gardiens du château. Mes compagnons combattraient à mes côtés et derrière moi. Nous donnâmes l'assaut par surprise, et je pus me battre contre les meilleurs des- chevaliers. Je dus utiliser chacun de mes boucliers, car mes adversaires étaient nombreux et vaillants. Dès que le vingtième chevalier fut terrassé, je vis les outlaws se hâter vers les portes du château et les ouvrir, libérant ainsi les prisonniers qui se précipitèrent à l'extérieur en remerciant chaleureusement ceux qui les avaient délivrés. Quant à moi, je restai un instant A l'écart de toute cette agitation, attendant le moment oG sortiraient mes amis pour leur faire signe. Comme j'étais encore seul à attendre, je vis réapparaître à ma grande surprise la servante que j'avais vue la veille et qui m'accosta de nouveau. Elle me pria de la suivre et m'entraîna à quelques centaines de mètres de là, dans le cimetière d'un monastère qui semblait abandonné aux intempéries et aux pillages. Une tombe, miraculeusement préservée, portait l'inscription: "Seul le vainqueur de la Garde Douloureuse pourra me soulever et ainsi il connaîtra son nom." Je me baissai pour soulever la pierre tombale qui se détacha aussitôt du sol. Je pus lire alors: "Ici reposera Lancelot du Lac, fils de Ban de Benoïc". Quel ne fut pas mon étonnement! Ainsi, le nom de mon père était Ban de Bénoï'C !

C'était l'un des plus riches et des plus célèbres princes de Petite-Bretagne, souverain de Benoïc, et connu en son temps pour son extrême bravoure. C'était lui qui était allé chercher de l'aide auprès du roi Arthur et était mort à la vue de son château en flammes. Je compris alors pourquoi le roi Arthur était si bon avec moi: j'étais le fils d'un de ses amis disparus. Au même moment, je sus que Lionel et Bor étaient mes cousins, puisque leur père Bor de Gannes était le frère de mon père. L'ignoraient-ils, ou me l'avaient-ils caché jusque là, selon une promesse qu'ils auraient faite à ma bienfaitrice de ne pas me dévoiler- mes origines?

Je partis rapidement à la recherche de mes cousins pour obtenir une réponse aux questions que je me posais. Or, devant le château, je vécus l'un des plus grands drames de ma vie: là gisaient plusieurs corps, ceux de nos ennemis terrassés, et, un peu en arrière, trois corps étendus A terre. Parmi eux, je reconnus celui de l'un des outlaws qui, ayant reçu une flèche dans la poitrine, haletait. A côté de lui était étendu Lionel, les cheveux en sang; il était entre la vie et la mort, mais gardait le sourire aux lèvres, ce sourire qui était pour moi le symbole même de l'amitié. Je me penchai sur lui avec précaution et lui parlai doucement: "Eh bien, cher cousin, que t'est-il arrivé'?" murmurai-je. A ces mots, Lionel ouvrit plus grand ses yeux et sourit davantage: "Tu sais donc que je 23 suis ton cousin? Je suis content que tu l'aies appris aujourd'hui... Sache que l'amitié qui nous a liés depuis longtemps à toi fut, pour Bor et moi, une continuelle source de joie... C'est pour cela que nous sommes fiers de t'avoir suivi... Adieu, cher cousin". Ayant dit ces derniers mots, Lionel ferma les yeux et expira. Je ne pus empêcher les larmes de couler le long de mes joues. C'est alors que j'entendis un chevalier raconter à mes côtés comment Lionel et Bor avaient prêté main forte aux assaillants erg combattant sans arme et comment ils avaient trouvé la mort dans cette action héroïque. Je compris que le troisième corps, recouvert d'un drap, que j'avais vu auprès de Lionel était celui de mon cousin Bor, qui avait déjà rendu l'âme lorsque j'étais arrivé. Une si triste nouvelle m'affligea profondément, et je jurai de me battre plus vaillamment encore par la suite, en mémoire de leur courage. C'est ainsi que je quittai, seul, le château qui était devenu, puisque l'enchantement avait été rompu, la Garde Joyeuse, o désormais plus jamais personne rie serait retenu prisonnier. Quelque temps après, je rencontrai un écuyer occupé à dresser un jeune cheval dans un enclos à la bordure d'un parc. Comme il appartenait à la cour du roi Arthur, il savait que c'était à moi que la reine Guenièvre avait fait envoyer un écu tout neuf en remerciement de mes services. M'ayant reconnu, il m'apprit que la dame de mes pensées avait été enlevée dans un bois par un chevalier du nom de Méléagante. Celui-ci s'était approché à cheval de la reine et de ses suivantes, il avait saisi Guenièvre à bras-le-corps, l'avait soulevée de terre et s'était enfui avant que personne n'ait eu le temps de se lancer à sa poursuite. Il fallait donc que je me rende au royaume de Gorra o~1 demeurait Méléagante, car celui-ci me lançait un défi et je devais y répondre pour sauver mon honneur et celui de la reine. Pour entrer dans le royaume de Gorra, dont l'accès était difficile, il fallait franchir un fleuve que seulement deux ponts traversaient: le "pont perdu" cosntruit sous l'eau et le "pont de l'épée" fait d'une lame aussi coupante que le tranchant d'une épée. Je devinai que le "pont perdu" était un piège et que les risques étaient grands de se fourvoyer en marchant sous l'eau. J'optai donc pour le pont tranchant dont je savais la traversée également périlleuse; il fallait que j'abandonne tout matériel encombrant et superflu. Je laissai donc sur la berge mon bouclier, mon poignard, mes éperons et naturellement mon cheval. Je ne gardai avec moi que mon épée, car un noble chevalier ne doit se séparer de son épée qu'à la dernière extrémité. J'entrepris donc de traverser le pont, mettant avec précaution un pied devant l'autre et tâchant de maintenir mon équilibre au-dessus du fleuve dont les eaux étaient agitées. Cela me demanda de longues minutes de concentration, difficilement supportables à cause du soleil qui tapait fort à ce moment-là et contre lequel je ne pouvais me protéger. Enfin, j'atteignis la berge opposée. Je sentais des douleurs aux pieds et je m'aperçus à mon grand effroi que la lame du pont était si tranchante qu'elle avait entamé le cuir de mes chaussures. J'avais les pieds ensanglantés, mais je continuai mon chemin, cherchant, au-delà de la rivière, la direction du château de Méléagante. Je le vis au loin et dus marcher trois heures encore pour l'atteindre. Lorsque j'arrivai aux portes, les gardes croisèrent leurs lances devant moi qui, sans cheval et les pieds en sang, apparaissais davantage à leurs yeux comme un vagabond que comme un chevalier. Je leur demandai d'annoncer à leur maître que Lancelot du Lac, fils de Ban de Benoïc, le priait de bien vouloir se battre avec lui pour laver l'affront qui venait d'être fait par l'enlévement de la reine Guenièvre. Un garde partit aussitôt, et je ne le vis pas revenir. A sa place parut sur le seuil un homme fort (ruistre) qui pouvait effrayer (acoardir) plus d'un chevalier; il était devant moi, tel un géant, et je vis dans ses yeux une ironie haineuse. Ce fut donc là, devant le château et sur-le-champ, que nous commençâmes le combat qui était, ma foi, inégal: Méléagante était très vigoureux alors que j'étais affaibli pas mes blessures. Mais l'amour que je vouais à ma dame et la volonté que j'avais d'en finir dédoublaient mes forces. Usant de ruse et d'agilité face à Méléagante qui n'avait pour lui que ses muscles, je réussis à le vaincre après un long et féroce combat. Lorsque les gardes virent leur maître étendu mort à mes pieds, ils ne s'opposèrent plus à ma volonté d'entrer dans le château. J'y pénétrai donc et, ayant erré dans plusieurs salles aux murs froids et humides, je rencontrai une servante agitée qui venait d'apprendre la mort de son maître, 24 homme qu'elle craignait beaucoup. Pour calmer (aquisier) mon impatience, elle s'empressa de me conduire au cachot où était enfermée Guenièvre, et elle ouvrit la porte à l'aide du trousseau de clefs qui était accroché à son tablier. Dès que la porte fut ouverte, je reconnus ma dame dans toute sa beauté, droite et fière: elle s'avança vers moi d'un pas lent et me remercia avec des mots très doux. Troublé, je la priai de considérer ce que je venais d'accomplir pour elle comme le simple devoir d'un chevalier pour sa dame, et je l'assurai que, tant que je serais son chevalier servant, personne ne pourrait la déshonorer (deshonester). Pour cacher son émotion, Guenièvre se tourna vers sa servante et lui demanda de rassembler prestement leurs affaires afin de partir au plus vite. Quelques instants plus tard, nous étions à l'extérieur du château, car j'avais décidé d'accompagner (conpagnier) ces dames. Nous choisîmes des chevaux dans l'écurie attenante et nous nous mîmes en route pour rejoindre Camaalot où le roi devait nous attendre avec angoisse. Nous arrivâmes à la fin de la journée, et nous fûmes heureux, après une si longue chevauchée, de nous reposer dans la grande salle du château royal, et de manger quelque gibier à la lueur du feu qui crépitait dans l'immense cheminée. C'était pour le compte du roi Arthur que j'ai eu ensuite à agir. Il fallait vaincre un chevalier du nom de Galehaut, sire des Iles Lointaines, qui possédait plusieurs terres appelées shires, petits comtés sis autour d'un château fort. Galehaut ne voulait pas se soumettre â Arthur, maître du royaume (realmme) alentour, Une bataille devait se livrer entre les armées de deux hommes. Je demandai au roi de me fournir une armure rouge et je fis également caparaçonner mon cheval de rouge: ainsi, durant la bataille, on pourrait me voir de loin. Je me battis avec bravoure aux côtés des soldats d'Arthur, me faisant remarquer par certains coups bien assénés sur l'adversaire, et je fis de mon mieux pour me mettre en avant plusieurs fois. Le lendemain, ce que j'espérais arriva: le sire Galehaut avait été impressionné par mes exploits de la veille sur le champ de bataille. Il me fit mander auprès de lui, m'invita à entrer sous sa tente et, là, il m'interrogea: il voulait savoir qui j'étais et pour quelle raison je m'étais si vaillamment battu pour la cause du roi Arthur. Je ne lui dis pas mon nom, mais je lui expliquai que j'aimais avant tout me battre, quelle que soit la cause que l'on me demandât de soutenir. Na réponse plût à Galehaut qui essaya de me convaincre de combattre pour lui. J'acceptai, mais feignis de le faire à contre-coeur et je fis promettre à Galehaut d'exaucer mon moindre désir en cas de victoire. Le lendemain, je me fis remettre une armure noire, pour ne pas être reconnu par les soldats d'Arthur, et je combattis dans le camp de Galehaut. A la fin de la journée, quelques soldats d'Arthur étaient blessés, mais la plupart avaient fui devant l'impétuosité de nos assauts. A l'heure du retour au campement, je rappelai à Galehaut sa promesse. Celui-ci, trop heureux d'avoir gagné une bataille, accepta de m'écouter. Je lui dis alors: "Sire Galehaut, vous êtes un brave et valeureux chevalier comme vous avez su le montrer aujourd'hui. Mais il n'est pas bon de s'opposer à son maître. C'est pourquoi je vous demande de vous rendre au roi qui vous accceptera parmi ses sujets sans tenter de représailles contre vous." Galehaut fronça les sourcils et il allait se mettre en colère lorsqu'il se souvint de la promesse qu'il m'avait faite de tout accepter. Alors, au nom de l'amitié qui commençait à naître entre nous, il voulut bien se rendre. Nous allâmes tous deux trouver le roi Arthur qui nous accueillit à bras ouverts. Galehaut promit d'abandonner tout rêve de conquête personnelle de territoires nouveaux, et il accepta de se reconnaître comme le vassal d'Arthur. Tout était bien, et j'étais heureux, même après avoir agi avec ruse (cautiIité), d'assister à la réconciliation des deux hommes. De plus, j'avais trouvé en Galehaut un véritable ami, et c'est avec lui que j'ai accompli ensuite un autre exploit qu'il m'est agréable de conter maintenant. Lorsque j'étais arrivé à la cour du roi, j'avais fait la connaissace d'un des quatre fils de Lot, lui-même frère d'Arthur. Il se nommait Gauvain et avait été lui aussi armé chevalier depuis peu. Comme nous avions le même âge, nous devînmes vite amis, nous intéressant aux mêmes aventures et aux mêmes exercices. Or, je n'avais pas vu Gauvain depuis plusieurs jours quand j'appris qu'il avait été enlevé par le cruel Caradosso, géant effrayant qui l'avait enfermé dans la Tour Désolée. Galehaut et moi-même 25 decidâmes de partir le délivrer. Ses trois frères nommés Gherrier, Agravain et Gareth se joignirent également à nous. Nous partîmes de bon matin, armés de pied 'en cap: nos écuyers nous suivaient, emportant avec eux des armes supplémentaires, car nous ne savions pas à quel genre d'attaque nous devions nous préparer. Nous arrivâmes à une immense forêt, dont plusieurs gardes nous interdirent l'accès. C'était la Vallée sans retour, domaine de la reine Xorgane, soeur d'Arthur. Parce qu'elle avait été trahie en amour par un chevalier qui lui avait été infidèle, elle se vengeait en retenant prisonniers tous les chevaliers qui entraient dans la forêt. Seul un chevalier qui serait demeuré toujours fidèle à la même dame aurait le pouvoir de libérer les autres. Comme je n'avais jamais trahi mon attachement pour Guenièvre, je tentai d'entrer dans la forêt, laissant mes compagnons près des gardes. J'avais fait à peine quelques pas quand un énorme chien de presque deux mètres de haut m'attaqua. Je sortis mon poignard et luttai contre lui en rassemblant tout mon courage. Le poids de l'animal rugissant sur mon corps me rappelait la chaleur du flanc des cerfs que j'avais coutume de rattraper à la course lors des parties de chasse de ma jeunesse. Une telle pensée redoubla mes forces, car je tenais trop à la vie pour me laisser terrasser par cet animal monstrueux. Dans un effort pour me dégager, je saisis des deux mains mon poignard et l'enfonçai dans la gorge de la bête qui s'écroula à terre dans des soubresauts en poussant un hurlement féroce. Je me relevai avec promptitude, tellement ma joie était grande d'avoir triomphé. Puis je continuai de marcher dans la forêt, craignant à tout moment de rencontrer d'autres monstres, et désirant arriver le plus rapidement possible à l'endroit où. étaient retenus les prisonniers. Malgré mes craintes, je parvins sans autre incident à un jardin splendide où poussaient de gigantesques fleurs. A leurs pieds gisaient pêle-mêle une dizaine de chevaliers qui semblaient dormir. Un tel spectacle me parut étonnant, et je compris que les fleurs qui paraissaient si odorantes (flerables) étaient en réalité empoisonnées, et que tous ceux qui les respiraient étaient condamnés à tomber dans le plus profond des sommeils. Je déchirai alors un pan de ma chemise et l'entourai autour de ma tête pour protéger mes narines. J'approchai ensuite des dormeurs et tentai de les réveiller (esmanvei11er) en les secouant. Les uns après les autres, ils ouvrirent leurs yeux, recouvrant rapidement leurs espris. Ayant cependant tout oublié de leur mésaventure, ils me posèrent toutes sortes de questions pour savoir ce qui leur était arrivé. Je leur racontai l'enchantement (faement) que la fée Morgane leur avait fait subir, et comment j'étais venu les délivrer. Ils me remercièrent vivement, et nous quittâmes ensemble la forêt, retrouvant Galehaut et les frères de Gauvain. Ayant pris congé des chevaliers délivrés, Galehaut, Gherrier, Agravain, Gareth et moi reprîmes notre route en direction du domaine de Caradosso. Je dus de nouveau raconter à mes amis mon aventure contre le chien monstrueux. Le trajet passa ainsi rapidement, et nous arrivâmes bientôt devant le château du géant. Nous vîmes qu'il était très bien gardé par de nombreux soldats armés d'arbalètes*. Nous n'eûmes d'ailleurs pas le temps de sommer Caradosso de libérer Gauvain: une pluie de flèches s'abattit sur nous, nous forçant à chercher abri derrière un talus qui était à proximité. Un combat s'engagea alors, qui devait durer plusieurs heures. Les soldats étaient plus nombreux que nous, mais nous étions plus habiles et, par chance, nous bénéficions de l'aide de nos écuyers qui n'hésitèrent pas à s'engager eux aussi dans la bataille. Plusieurs d'entre nous furent blessés, mais nous réussîmes à pénétrer par ruse dans le château et à menacer de nos armes ceux des soldats qui étaient encore à leurs postes et qui se rendirent. Caradosso était assis sur une haute chaise, dans la grande salle du château. Il avait été blessé à l'épaule et pansait sa blessure. Il ne nous vit pas pénétrer dans la salle, et, quand il leva la tête, il ne put se défendre car nous le menacions de nos armes. Nous prîmes les clefs qu'il portait à sa ceinture, et Galehaut et moi partîmes â la recherche de la prison, tandis que les frères de Gauvain restaient auprès du géant pour l'empêcher de nous poursuivre. Nous trouvâmes Gauvain dans le souterrain du château: il était sans force et assoiffé, car il n'avait pas été nourri depuis trois jours. Je le fis boire à ma gourde et nous l'aidâmes à marcher en le soutenant. Dans la grande salle, nous découvrîmes ses frères qui étaient fort joyeux car ils avaient abusé de

la confiance du géant: comme celui-ci souffrait de sa blessure, Gareth lui avait proposé de boire quelques gouttes d'une potion qu'il avait sur lui et qui guérissait de tous les maux. Le géant, en ayant bu, était immédiatement tombé dans un profond sommeil, car c'était un breuvage enchanté. Profitant du sommeil de Caradosso, nous sortîmes tous ensemble rapidement du château et nous fûmes bientôt loin. Gauvain, qui entre temps avait recouvré quelques forces en respirant le grand air, fut ravi d'entendre le récit des aventures qu'il m'était arrivé de vivre depuis qu'il avait disparu. C'est donc en parlant et en riant de bon coeur que nous retournâmes à la cour du roi. (NB1: Comme Yvain l'ignore, la dynastie Plantagenêt prit fin en Angleterre en 1485, à la fin du règne de Richard III. Yvain ne sait pas non plus que c'est le roi Edouard III qui fut à l'origine de la guerre de Cent Ans qui débuta en 1339 entre la France et l'Angleterre) <NB2: C'est sous le règne de Richard Coeur de Lion que se déroulera le célèbre roman de Walter Scott écrit en 1819: Ivanhoé) 27 CHAP I TE? I V Après avoir accompli les exploits dont je viens de faire le récit (et bien d'autres encore, qu'il serait trop long de narrer ici), j'étais apte à devenir Chevalier de la Table Ronde. Cette institution chevaleresque fut créée par le roi Arthur, afin de récompenser les plus dignes chevaliers. Pourquoi une Table Ronde? Yvain m'en expliqua la raison historique: "Il faut remonter très loin dans l'Histoire, au début de l'ère chrétienne. A la mort du Christ en effet, un de ses disciples, appelé Joseph d'Arimathie, recueillit dans une coupe quelques gouttes de sang du fils de Dieu. Ce vase sacré prit le nom de Graal. C'est en l'emportant avec lui que Joseph, accompagné de son fils Joséphée, partit pour convertir au christianisme les peuples païens qu'ils rencontraient durant leur chemin. Un jour, ils atteignirent un lieu dit "la colline du géant" où ils instituèrent la Table du Graal autour de laquelle ne pouvaient être admis que les hommes au coeur pur, alors que les pécheurs étaient condamnés à jeûner. Cette Table avait été dressée en souvenir de la table sacrée autour de laquelle le Christ avait pris son dernier repas. Or, il advint que le Graal arrivât bientôt en Grande-Bretagne, et fut déposé dans le château de Gorbénic, qui appartenait à un roi nommé Pellas. Arthur, ayant entendu toute l'histoire du Saint-Graal, en fut bouleversé et, dans sa profonde piété, il décida qu'une Table pareille à celle du Graal serait dressée pour récompenser les chevaliers courageux. C'est ainsi que fut instituée la Table Ronde, qui donna naissance à l'ordre des chevaliers du même nom. Cette institution a marqué en Grande-Bretagne le début des temps héroïques; lors de la première réunion, Arthur s'est engagé solennellement à ne pas présider le banquet tant qu'un des chevaliers présents n'aurait conté une de ses aventures. Des scribes furent désignés pour transcrire ces récits." Yvain termina en me disant: "Si tu considères que tu es prêt à être reçu chevalier de la Table Ronde, il te suffit de te présenter au prochain banquet et de conter à toute l'assistance l'un des exploits que tu as déjà accomplis." Je quittai Yvain sur ces paroles encourageantes. Le lendemain était jour de fête car, après le banquet des chevaliers, était prévu un grand tournoi. La ville entière était en liesse et l'on voyait partout des hommes et des femmes affairés qui s'occupaient à préparer la fête. Ayant revêtu mon armure, je me dirigeai vers la grande salle des appartements du roi. Là aussi règnait une certaine agitation; les chevaliers s'apprêtaient à s'asseoir autour de la Table. L'un d'entre eux me désigna une chaise. Quand tout le monde fut installé, il y eut un grand silence, qu'Yvain interrompit par ces mots: "Sire notre roi, et messires les chevaliers, j'ai à vous faire part aujourd'hui d'une requête. Parmi nous siège le chevalier Lancelot, qui désire fortement appartenir à notre institution. C'est pourquoi je lui laisse la parole: vous seuls jugerez si ce nouveau venu est digne de la qualification à laquelle il aspire." Yvain s'assit alors et me désigna de la main. Je devais me lever à mon tour pour parler. J'ose à peine dire combien j'étais réellement ému et intimidé. Je regardais un à un les chevaliers présents: le roi, majestueux dans son bel habit bleu vif; lui qui avait été, comme de nombreux rois d'Angleterre, couronné à l'abbaye de Vestminster, possédait un fervent esprit chrétien; sa longue barbe blanche le faisait ressembler à un sage, à quelque ermite qui aurait choisi la vie spirituelle, et sa couronne d'or sertie de pierres précieuses lui donnait un air divin. A côté de lui, je reconnu Perceval, jeune homme aux boucles blondes, qui avait abandonné sa mère pour devenir chevalier et s'initier au mystère du Graal: connu pour sa loyauté et son courage, c'était un jeune homme au doux visage que tout le monde admirait beaucoup. De l'autre côté était assis Xordran, roi 29 0s devenu aveugle pour s'être trop approché du Graal... Sur son visage aux yeux éteints, je lus une extrême bonté, celle d'un homme qui avait beaucoup souffert et qui avait voué sa vie à la seule recherche d'une véritable vie intérieure. Regardant les autres chevaliers, je m'aperçus que je connaissais parmi eux Pierre, Robert, Bernard, Jérôme, Thibaud et Gildas. Quant aux autres, je ne les avais jamais vus auparavant, mais sur leurs visages étaient peints de tels signes de mansuétude â mon égard que je sus dès cet instant qu'ils m'avaient accepté parmi eux. Je commençai donc mon récit, dans lequel je racontai comment j'avais vaincu Mélëagante pour délivrer Guenièvre et comment j'avais également vaincu le géant Caradosso pour délivrer Gauvain. Tous m'écoutaient en silence et ponctuaient de temps en temps mon récit de murmures d'assemtiment. Lorsque j'eus fini, je m'adressai plus particulièrement au roi, le priant de m'accepter dans l'ordre des chevaliers de la Table Ronde. Le roi me répondit alors: "Nous pensons, cher Lancelot, que ton récit fut suffisamment brillant, et que les exploits qu'il relatait prouvent ta bravoure et ta générosité. Nous avons donc le grand plaisir de t'offrir une place parmi nous. Nous te rappellons que l'entreprise à laquelle tu vas adhérer est bénie par Dieu, car elle est faite dans l'esprit du Graal, pour en sauvegarder la noblesse et la divinité sur terre. Nous te demandons maintenant de formuler ton engagement en jurant fidelité à la cause de l'ordre auquel tu appartiens désormais." Je récitai alors, avec la sincérité de toute mon âme: "Je jure ici solennellement devant notre Seigneur Dieu Tout-Puissant, devant notre roi Arthur et devant vous tous, Chevaliers de la Table Ronde, que je ferai toujours tout mon possible pour venir en aide à toutes les demoiselles, à toutes les gentes dames, et à tous les faibles qui pourront avoir besoin de mon secours." Ayant dit ces mots, je me dirigeai vers le roi qui me donna l'accolade. Puis, ces formalités étant terminées, le banquet put commencer, et je pris part à l'un des plus beaux festins qu'il me fut jamais permis de partager, en communion totale de pensée et de coeur avec mes frères et amis chevaliers. C'est après ce jour si mémorable que je pus partir à la recherche du Saint Graal, coupe divine, symbole de l'idéal auquel aspire la nature humaine. Cette quête ne devait être accomplie qu'en un an et un jour, et il fallait aux chevaliers de très nobles et très pures qualités pour parvenir à ce but. Je partis donc, seul, et chevauchai des jours et des jours, à la recherche du château de Corbénic oÜ avait été déposé le Graal, comme me l'avait appris Yvain. Un jour enfin, j'arrivai aux portes d'un magnifique château, caché au fond d'un parc touffu. Le château était muni de nombreuses échauguettes* et je vis, sur le chemin de ronde, des soldats qui montaient la garde. Je me présentai à la poterne* et fus accueilli par un garde, qui me laissa entrer avec bienveillance. A l'intérieur, tout semblait dormir, et l'atmosphère était celle d'un pays enchanté. Les seules personnes que je recontrai, servantes ou gardes, se contentaient de me sourire, comme si la divinité qui émanait du Saint Graal dont ils avaient la garde se fût propagée sur eux tous. J'errai donc sans être inquiété dans les différentes salles désertes du château. Derrière une porte close, j'entendis soudain des voix qui psalmodiaient: "Gloire et louange au Seigneur tout-puissant!". La porte s'ouvrait sur un salon tout illuminé dont les murs étaient couverts de tentures rouges. Au centre de la pièce, sur un autel couvert d'une nappe blanche, j'aperçus un dais écarlate, qui devait recouvrir le Graal, car l'ensemble rayonnait d'une grâce exceptionnelle. Le vue d'une telle splendeur me fut fatale: je voulus m'approcher, mais je ne pus soutenir l'éclat que je devinais sous le dais. C'est alors que je perdis connaissance. Des servantes me transportèrent dans une autre pièce et me soignèrent. Lorsque je m'éveillai, je compris que notre aventure s'arrêtait là: j'avais pu approcher le Graal, mais celui-ci était resté voilé car son mystère demeurait trop grand pour moi. Durant ma vie, je n'avais pas été suffisamment pur; sans doute avais-je été trop humain pour mériter la Suprême Connaissance! C'est pourquoi je sais qu'il me faut, maintenant, laisser la place à d'autres qui pourront, à leur tour, tenter leur chance... 30 Notre histoire finit là: on sait que, bien des années plus tard, _= ro3 Arthur mourut, lors d'une ultime bataille contre les Saxons, à Salisbury_ Juste avant sa mort, il fit lancer par son serviteur son épée Escalibur dan_ la mer; l'épée fut enlevée dans les cieux par une main invisible, pr-:-3n1 ainsi l'appartenance du roi à une vie spirituelle et légendaire. Quant au Graal, c'est le jeune Galaad, fils de Lancelot et d'Hélène (fille de Pellas) qui fut seul assez pur pour l'approcher et le voir dans sa éclatante vérité, atteignant ainsi l'idéal que son père Lancelot n'avait _aii qu'entrevoir...

Gloaasaire[modifier | modifier le wikicode]

A[modifier | modifier le wikicode]

  • ADOUBEMENT: Cérémonie par laquelle le bachelier est fait chevalier et reçoit son armure
  • ALLEGEANCE: Obligation d'obéissance et de fidelité du vassal envers son suzerain
  • ANCIEN FRANGAIS: Langue dérivée du roman de la Gaule du nord (langue d'oïl) tandis que le roman de la Gaule du sud (langue d'oc) donna naissance au provençal. Un des premiers témoignages d'ancien français date de 842 (Serments de Strasbourg)
  • ARBALETE: Arme de jet dont on se servait avant l'invention des armes à feu. Composée d'un arc d'acier monté sur un fut et se bandant avec un ressort, l'arbalète est pourvue de traits (flèches, viretons ou carreaux). C'est l'arbalète à main qui fut en usage au XIIè siècle.
  • ARTHUR: Roi de Grande-Bretagne ayant vécu au VIa siècle, et devenu légendaire dans le cycle des romans bretons de la Table Ronde dont les principaux écrits datent des XIIè et XII lé siècles.
  • ASTROLABE: Ancien instrument, utilisé principalement en navigation, servant à mesurer la hauteur d'un astre au-dessus de l'horizon.

B[modifier | modifier le wikicode]

  • BACHELIER: Au Moyen-Age, jeune homme aspirant à être armé chevalier
  • BAN de BENOIC: Père de Lancelot; frère de Bor de Gannes
  • BARDE: Trouvère breton
  • BAUDRIER: Bande de cuir ou d'étoffe qui se porte en sautoir et soutient le sabre ou l'épée
  • BEFFROI: 1. Tour roulante, en bois, qui servait à l'attaque des places 2. Tour ou clocher où l'on sonnait l'alarme
  • BOR: Fils du roi Bor de Gannes; frère de Lionel; cousin de Lancelot
  • BOR de GAHHF.S: Père de Lionel et Bor; frère de Ban de Benoïc
  • BOURGEOIS: Citoyens d'une ville, jouissant de privilèges spéciaux, parmi lesquels les franchises
  • BOUSSOLE: Appareil qui marque la direction du nord. Inventée en Chine au ler siècle, elle fut utilisée en Europe (sous le nom de "magnette") au XIIè siècle, comme instrument de navigation
  • BROGELIAHDE: Forêt légendaire célèbre dans les cycles des romans bretons de la Table Ronde. C'est là qu'auraient vécu Merlin et Viviane, en Petite-Bretagne

C[modifier | modifier le wikicode]

  • CANAIL: Pièce de mailles armant le cou et les épaules, portée sous le heaume par le chevalier
  • CARAPACOA: Housse d'ornement des chevaux portée lors des tournois, de combats chevaleresques et de cérémonies. On parle alors d'un cheval "caparaçonné"
  • CARADOSSO: Géant qui fit prisonnier Gauvain, fils de Lot
  • CELTIQUE: Relatif aux populations d'Europe centrale qui migrèrent en Gaule, en Espagne et dans les Iles Britanniques. Leur type et leur langue sont le mieux conservés en Bretagne, en Irlande et dans le Pays de Galles.
  • CHAISBELLAH: Ecuyer chargé de tout ce qui concernait le service intérieur de la chambre d'un chevalier ou d'un souverain
  • CHANSON DE GESTE: Poème épique du Moyen-Age, destiné avant tout à être récité par les trouvères et les jongleurs
  • CHANSON DE ROLAND: La plus connue des chansons de geste; datant du XIIè siècle, elle met en scène Roland (neveu légendaire de Charlemagne) aux côtés de son ami Olivier et du traître Ganelon
  • CHAUSSES: Bas collants utilisés comme pantalon
  • CHEVALERIE: Institution féodale, militaire et religieuse du Moyen-Age, dont les membres mettaient leur épée et leur force au service du droit et de la défense des faibles, après la cérémonie de l'adoubement
  • CLAUDAS: Roi de la Terre Déserte; ennemi du roi Arthur
  • CLERGIE; Mot d'ancien français qui signifiait l'instruction et plus particulièrement le fait de savoir lire et écrire. Mot de la même famille que "clerc" qui signifiait 1- écolier

2- clerc (par opposition à laïc) 3- lettré

  • COLEE: Lors de la cérémonie de l'adoubement, coup de paume asséné par l'officiant à la naissance du cou du futur chevalier. Ce geste est rappelé étymologiquement dans le mot "adouber" qui vient du germanique "dubban" qui signifiait "frapper"
  • COMPLIES: Dernière heure de l'office divin, qui se récite le soir après vêpres
  • COURTOISIE: Au temps de la chevalerie, sorte d'institution qui s'établissait entre un homme et la dame de ses pensées, suivant un code des gestes et du langage qui supposait l'élégance des manières et la bonne éducation. L'amant devait mériter sa dame par des épreuves extérieures à l' amour
  • CRENEAUX: Dans un château fort, maçonnerie dentelée au sommet d'une tour et ouvertures dans un mur ou un parapet pour observer ou tirer des coups de l' ennemi
  • CROISADES: 8 expéditions armées des catholiques contre les infidèles menées à l'instigation du pape Urbain II qui, en 1095, conçut l'idée d'un pélerinage destiné à conquérir Jérusalem

E[modifier | modifier le wikicode]

ECHANSON: Ecuyer chargé de servir à boire aux chevaliers et au souverain ECHAUGUETTE: Guérite en pierre, placée en encorbellement, de distance en distance, en haut des murailles d'un château fort ECOBUAGE: Culture sur brûlis largement répandue sur les sols pauvres au Moyen-Age ECU: 1- Ancien bouclier oblong ou quadrangulaire 2- Ancienne monnaie d'argent, valant 3 livres ECUYER: Gentilhomme qui accompagnait un chevalier et portait son écu C'était également le titre donné aux jeunes nobles non encore armés chevaliers BHCORBBLLBMBHT: En architecture, construction établie en porte-à-faux sur le nu d'un mur et supportée par des consoles, beaucoup utilisée en Moyen-Age BPIEU: Long bâton garni de fer que l'on utilisait à la chasse

F[modifier | modifier le wikicode]

FABLIAU: Petit conte français polulaire en vers des XIIè et XIIIè siècles FARIAH: Précepteur de Lancelot FBODALITE: Ensemble des lois et coutumes qui régirent l'ordre politique et social fondé sur l'institution du fief au Moyen-Age FIEF: Nom de la concession qu'un vassal noble tenait d'un seigneur FRANCHISES: Nom des avantages que les bourgeois unis réussirent à obtenir de leur seigneur FROLUS: Roi d'Allemagne, allié du roi Claudas de Petite-Bretagne

G[modifier | modifier le wikicode]

GALEHAUT: Sire des Iles lointaines, que Lancelot rallia à la cause du roi Arthur GAUVAIH: Un des quatre fils de Lot; ami de Lancelot GRAAL: Vase sacré qui aurait recueilli le sang du Christ (ou dans lequel le Christ aurait bu pour la dernière fois durant la Cène, dernier repas qu'il prit avec ses disciples). La légende du Graal commence avec son arrivée en Grande-Bretagne (ramené de Palestine par Joseph d'Arimathie) et elle finit. avec la découverte du Graal par le très pur Galaad. GREEMBHT: Sur un navire, ensemble des cordages et poulies qui servent à l'établissement, à la tenue et à la manoeuvre des voiles GUENIEVRE: Femme du roi Arthur pour laquelle Lancelot accomplissait ses exploits GUICHE: Courroie qui servait à suspendre le bouclier au cou pendant la marche

H[modifier | modifier le wikicode]

HAUBERGEON: Chemise de mailles portée par les écuyers, plus courte que le haubert HAUBERT: Chemise de mailles portée par le chevalier; descendant jusqu'à mi-jambes, elle était garnie de manches et d'un camail HEAUME: Casque des chevaliers et hommes d'armes vers 1220

J[modifier | modifier le wikicode]

JACHERE: Méthode de culture qui laisse reposer la terre sans la cultiver JADIS: Signifie "dans le passé"; s'oppose à "naguère" qui signifie "il y a peu de temps" JOUTE: Combat à cheval avec la lance

L[modifier | modifier le wikicode]

LANCELOT: Fils de Ban de Benoïc; recueilli par la fée Viviane; père de Galaad. LIGE: Champ clos sur lequel avait lieu le tournoi LIONEL: Fils de Bor de Gannes; frère de Bor LIVRE: Monnaie d'argent. Au Moyen-Age, une livre valait 20 sous de 12 deniers en France alors qu'en Angleterre on utilisait la livre sterling qui valait 20 shillings de 12 pence (au sing: penny). LOT: Frère d'Arthur; père de gauvain, Gareth, Agravain et Gherrier. XALANDRIN: Vient de l'italien "malandrino" qui signifiait "voleur de grand chemin". Au Moyen-Age, c'est le nom donné à des bandits qui ravagèrent la France. XARECHAL: Chargé du soin des chevaux; puis ouvrier qui ferre les chevaux (appelé alors "maréchal-ferrand) XATINES: Première partie de l'office divin, dite avant le jour IBHESTREL: Au Moyen-Age, poète musicien qui chantait ses vers dans les châteaux. Avait alors pour synonyme "jongleur" xERLIL: Enchanteur vivant auprès du roi Arthur, Il s'éprit de Viviane et tomba en son pouvoir XORDRAH: Vieux chevalier, devenu aveugle pour s'être trop approché du Saint-Graal MORGANE: Soeur du roi Arthur; vit dans la Vallée sans Retour

N[modifier | modifier le wikicode]

NEF; Au Moyen-Age, grand navire à voiles aux formes arrondies destiné à naviguer sur les grands océans. Vient du latin "navis" qui signifiait "vaisseau" NONE: 4ème partie du jour, commençant u la neuvième heure, c'est-à-dire vers trois heures de l'après-midi; partie de l'office divin célébré à ce moment-là, avant vêpres.

O[modifier | modifier le wikicode]

OUTLAWS: Hors-la-loi; en Angleterre au XII? siècle, Saxons révoltés contre les Normands et l'oppression féodale. Les outlaws eurent pour chef le personnage historique de Robin Hood (Robin des Bois) devenu héros légendaire.

P[modifier | modifier le wikicode]

PAGE: Jeune noble placé au service d'un prince, d'uun seigneur PALADIN: 1- Seigneur de la suite de Charlemagne 2- Chevalier errant du Moyen-Age, toujours en quête d'actions d'éclat et d'aventures héroïques où manifester sa bravoure, sa générosité et sa courtoisie PARLEMENT: Au XIIIème siècle, nom donné à la cour du roi d'Angleterre qui réunissait les conseillers ordinaires du roi, les hauts barons et les prélats. Par le Parlement anglais, le pouvoir était aux mains de la noblesse, qui nommait les hauts fonctionnaires. En 1265 ceopendant, ce parlement fut élargi à la bourgeoisie avec deux chevaliers par comté et deux bourgeois par ville. NB: En France, à la même époque, le mot Parlement désignait le tribunal royal PELLETIER: Artisan qui prépare, travaille ou vend des fourrures. PERCEVAL: Jeune homme'qui abandonna sa mère pour devenir chevalier et s'initier au mystère du Graal; dans le cycle de la Table Tronde, il était l'ami de Lancelot. PIGNON: En architecture, partie supérieure d'un mur qui se termine en triangle et qui porte un toit•à deux pentes PORTULAH: Carte marine dressée au Moyen-Age POTERNE: Porte dérobée des fortifications donnant sur le fossé d'un • château fort

Q[modifier | modifier le wikicode]

QUINTAINE: Mannequin servant à entraîner les jeunes gens à la joute et servant de cible dans l'exercice de la lance. On suppose qu'il était nommé ainsi parce qu'il était composé de cinq pièces (casque, cuirasse, bouclier, lance et épée)

R[modifier | modifier le wikicode]

ROMAN: Langue parlée au Vè siècle. Dérivée du latin, elle a précédé le français ROIKAN DE RENART: Oeuvre satirique dépeignant la société médiévale à travers les animaux, avec Renart le goupil, Ysengrin le loup et Chantecler le coq. ROMANS: Autrefois, récits vrais ou faux, en prose ou en vers, écrits en langue romane RODAIS BRETONS: Récits du Moyen-Age, dont la plupart furent inspirés par 1' "Histoire des Rois de Bretagne", écrite en 1135 par Goeffroi de Monmouth: cette histoire a pour centre la légende du roi Arthur et pour cadre l'Armorique (actuelle Bretagne) et les Cornouailles, le Pays de Galles et l'Irlande (en Grande-Bretagne).

S[modifier | modifier le wikicode]

SEIGNEUR: Possesseur d'un fief, d'une terre SEHECHAL: Officier féodal ou royal qui était chef de la justice. Dans le midi de la France, ce nom était donné aux baillis. SERF: Paysan attaché à la terre qu'il cultivait et qui devait des redevances au seigneur SHERIFF: Fonctionnaire royal chargé de contrôler les circonscriptions en Angleterre. Au XIIè siècle, les sheriffs venaient faire les comptes de rentrées en déposant à la Chambre des Comptes (appelée "Cour de Justice des Finances" en 1178) leur "rouleau" (pipe roll). Ils acquirent de l'influence au cours de "tournées" (turns) parmi les justices locales. SURCOT: Vêtement de dessus porté par les hommes et les femmes au 37 Moyen-Age SUZERAIN: Seigneur qui possédait un fief dont dépendaient d'autres fiefs.

T[modifier | modifier le wikicode]

TABLES: Jeu de trictrac ou de dames, joué au Moyen-Age TORCHIS: Mortier composé de terre grasse et de paille hâchée, utilisé pour la construction des maisons médiévales TOURNOI: Combat courtois et fête militaire du temps de la chevalerie TROUVERE: Poète du Moyen-Age qui composait en langue d'oïl par opposition au troubadour qui composait en langue d'oc

V[modifier | modifier le wikicode]

VALLER SANS RETOUR: Domaine de la fée Morgane, où celle-ci détenait prisonniers les chevaliers infidèles VASSAL: Personne liée à un suzerain par l'obligation de foi (loyale fidelité dans ses engagements) et hommages (reconnaissance de ces engagements tant militaires que fiscaux) VENEUR: Ecuyer chargé, â la chasse, de diriger les chiens courants VEPRES: partie de l'office divin qu'on célèbre l'après-midi après none et avant complies VILAIN: Paysan qui était un homme libre VIVIANE: Devenue fée grâce au savoir de Merlin, elle recueillit Lancelot; surnommée la Dame du Lac.

Y[modifier | modifier le wikicode]

YVAIH: Chevalier de la Table Ronde, qui instruisit Lancelot des usages de la cour d'Arthur