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Introduction[modifier | modifier le wikicode]

Le XVIIème siècle restera, dans toutes les mémoires, celui que l'on a appelé le GRAND SIECLE, En 1600, Henri IV régnait depuis onze ans sur la France. Il avait signé en 1598 l'édit de Nantes, apaisant les conflits religieux. Il fut assassiné en 1610. Cette mort subite, ajoutée à la bonhomie et à la générosité naturelle du Béarnais en fit pour la postérité l'un des rois français les plus populaires.

Après lui, le XVIIème siècle se poursuivit par la régence de Marie de Médicis, son fils Louis XIII étant encore trop jeune. Quand celui-ci commença véritablement son règne, il fut aidé par Richelieu qui prit rapidement de l'ascendant. Richelieu voulait établir la monarchie absolue: il combattit à l'extérieur la maison d'Autriche et à l'intérieur les protestants. Il fonda l'Académie française en 1635 et fit bâtir le Palais-Cardinal, futur Palais-Royal. Dans sa politique, Louis XIII le soutint toujours, malgré les complots et cabales noués autour d'eux par sa mère, sa femme Anne d'Autriche ou son frère Gaston d'Orléans. L'absence de dauphin favorisait d'ailleurs cette atmosphère de trouble et de suspicion.

On comprend alors pourquoi la naissance du futur Louis XIV, le 5 Septembre 1638, fut accueillie dans tout le pays avec une joie incommensurable. Quand son père Louis XIII mourut en 1643, un an après le cardinal de Richelieu, la régence revint à Anne d'Autriche, mère de Louis XIV et de son jeune frère Philippe. Elle choisit pour ministre Mazarin, qui était le parrain de Louis XIV, et à qui Richelieu avait donné le titre de cardinal. La régence fut marquée par des événements militaires (victoire française contre les Espagnols en 1643 à Rocrol), et diplomatiques (Traité de Westphalie qui mit fin à la guerre de Trente ans en 1648, garantissant à la France la possession des trois évêchés Metz Toul Verdun).

C'est durant la régence que sévirent sur la France les troubles de la Fronde, qui devait rester cruellement gravée dans la mémoire du jeune roi. Celui-ci fut déclaré majeur à 13 ans comme le veut la tradition française depuis Charles V. Il fut sacré roi à 16 ans, mais son véritable règne ne débuta qu'en 1661, date de la mort de Mazarin. Commença alors l'un des plus grands règnes de l'Histoire de France, durant lequel tout serait placé sous le signe de la grandeur et subordonné au bon plaisir de celui qui allait devenir le Roi-Soleil.

Première époque[modifier | modifier le wikicode]

Légère, tournoyante, Marie s'affaire dans sa chambre, virevolte de tous côtés, émue comme une jeune fille à la veille de son premier bal. Pour elle qui vient d'avoir vingt-trois ans, la vie ne fait que commencer. Ce soir est précisément celui de sa première sortie dans le monde depuis son veuvage. C'est pourquoi elle veut être belle et oublier sa retraite loin des divertissements. Dans quelques instants, sa femme de chambre Francinette viendra l'aider à se préparer. Marie calme son impatience en regardant ses longs cheveux blonds qui ne sont pas encore coiffés; pour en mesurer la splendeur et la grâce naturelle, elle les admire dans la lourde et majestueuse glace à fronton, ornée de motifs de bronze représentant des feuilles d'acanthe entrelacées, qui occupe une place de choix au-dessus de sa commode. Marie rêvasse un moment et sourit en se souvenant que cette glace lui a été offerte par sa marraine, la marquise de Broussac qui, à quarante ans et malgré ses huit maternités est encore si belle que de nombreux courtisans viennent lui rendre quotidiennement leurs hommages. Dieu! comme Marie aimerait ressembler à sa marraine à qui tout semble avoir réussi! Marie est prête, elle aussi, à se battre pour trouver le meilleur en tout, et connaître le bonheur. Nous sommes en 1661. Le roi Louis XIV, alors âgé de vingt-trois ans, va inaugurer son règne. Déjà, les regards des courtisanes se tournent avec envie et admiration vers ce jeune roi à l'allure noble et élégante; de taille moyenne, le roi a des yeux bruns veloutés qui charment son auditoire; il semble qu'il ait un air hautain, mais s'il porte la tête en arrière, c'est pour se grandir; il parle peu, rit rarement, mais la rumeur publique lui attribue déjà, sous son apparent manque de sensibilité, le débordement de sensualité qui en fera l'une des cibles des appétits féminins. En 1658, on a beaucoup parlé de la jeune nièce de Mazarin, Marie Itancini, qui fut aimée du roi. Celui-ci avait même décidé de l'épouser. Hélas, les destins royaux ont quelquefois des impératifs auxquels il faut obéir, et Louis XIV savait ce qu'était la raison d'Etat. Il épousa donc, comme le voulaient Anne d'Autriche et Mazarin, l'infante Marie-Thérèse, fille du roi Philippe IV d'Espagne. Le mariage eut lieu en juin 1660 à Saint-Jean-de-Luz.

En pensant à Louis XIV, Marie pousse un profond soupir: depuis qu'elle l'a vu, l'année précédente, faire une entrée triomphale à Paris avec sa jeune épouse, elle pense souvent à lui. Ce jour-là, le 26 Août 1660, fut une journée mémorable: tout Paris était venu acclamer son prince; il y avait également plus de cent mille provinciaux et étrangers qui s'étaient installés un peu partout tant bien que mal, sur les arbres, les balcons et même sur les toits. Au Marché-Neuf et au faubourg Saint-Antoine, la voie que devait suivre le cortège royal était enjambée d'imposants arcs de triomphe. Le pont Notre-Dame offrait un spectacle étonnant: entre les motifs en haut relief qui séparaient les quelques cent vingt maisons qui le bordent avaient été placés des médaillons contenant les portraits de tous les rois de France, Marie avait alors pensé à l'enfance de Louis XIV. On disait que, chaque soir avant de s'endormir, le jeune roi se faisait lire par son valet de chambre Pierre de La Porte quelques passages tirés de "L'histoire de France" de Mézeray, habitude que la reine trouva de bon ton mais qui depltlt fort au cardinal Mazarin. Le jeune roi avait, à travers ces lectures auxquelles il prenait grand plaisir, découvert les plus généreux des rois ses ancêtres. Son éducation avait été complétée dans ce sens par son précepteur Beaumont de Péréfixe, qui lui avait enseigné le culte de son grand-père Henri IV. Louis XIV avait assurément appris à se conduire en prince fier et ambitieux, tel qu'il apparaissait ce jour là, vêtu d'un habit brodé d'argent et de soie incarnat. Il montait un 43 cheval bai, précédé de l'immense cortège de son Ecurie, de ses grands officers, du Chancelier de France, des Mousquetaires et des chevau-légers en plein apparat. Chacun pressentait combien l'ambition allait guider le destin de Louis XIV.

Marie possède la même soif de pouvoir et de grandeur. Belle et volontaire, elle comprend l'avantage qu'elle peut tirer de sa situation actuelle. Elle a été mariée il y a deux ans à un vieillard, le marquis de Fontenay. Celui-ci, qui aurait pu être son grand-père, était d'une distinction telle qu'il s'était engagé à ne pas avoir avec elle les relations amoureuses que permet le mariage. Durant deux années, elle a donc été la marquise de Fontenay, comblée et enviée; quelques jeunes gens venaient régulièrement lui rendre visite, mais elle savait user avec eux de sa coquetterie. Se sachant désirable, elle entendait demeurer inaccessible. Quand son vieillard de mari eut la galanterie de quitter discrètement la vie, il laissa à sa jeune veuve une confortable rente de plus de douze mille livres par an et un superbe hôtel dans le quartier du Marais.

Marie aime l'Hôtel de Fontenay. Le rez-de-chaussée est occupé par la cuisine et ses dépendances. Elle prend plaisir à se faufiler parmi les marmites et les tourtières, les chaudrons et les poêlons; cela lui rappelle son enfance, passée dans une ferme de la campagne poitevine, Elle n'ose pas s'attarder aux cuisines quand paraît le maître d'hôtel, personnage taciturne qui semble ennuyé lorsque sa maîtresse vient bavarder avec les cuisinières parmi la vaisselle d'étain. Alors, Marie monte vite à l' étage, en passant par l'entresol oi3 sont installés les domestiques. Au premier, les grands salons présentent aux visiteurs, dans une élégance soignée, leurs rideaux de taffetas blanc et leurs murs tendus de lambris à fleurs; c'est là qu'avaient lieu, quand feu le marquis vivait encore, des soirées mondaines qui réunissaient les noms les plus prestigieux de la noblesse parisienne, dans un déferlement de couleurs, de causeries et de musique. Il y eut là, Marie s'en souvient, la duchesse de Chevreuse éternellement rayonnante, les jeunes ducs d'Epernay et de Montenoy qu'une amitié singulière semblait maintenir loin des beautés féminines. Il y eut aussi les quelques gentilshommes qui papillonnaient autour de la jeune femme comme des abeilles attirées par le parfum prometteur du pollen: messieurs de Choisy, de Mayenne et de Soissons. Les efforts conjugués qu'ils prodiguaient pour lui être agréables faisaient sourire Marie, l'agaçant quelquefois. Généralement, elle ne demeurait pas insensible à leurs politesses, et elle s'en montrait intérieurement flattée.

Pour l'heure, Marie apprécie la calme atmosphère de sa chambre. Celle-ci est un vaste cabinet, dont elle a surveillé avec soin l'ameublement. Tout y est somptueux et tendre, d'une harmonieuse discrétion, qui bannit à la fois l'extravagance des salons mondains et l'austère nudité des couvents. La pièce possède, outre la glace à fronton, de nombreux miroirs de plus ou moins grandes dimensions: ces miroirs sont un grand luxe, mais Marie en affectionne particulièrement la présence car ils égaient la pièce et rendent toutes choses plus belles. Le trumeau à bordure de bois doré, placé sur la cheminée, semble augmenter la largeur de la chambre. Dans un coin de la pièce est dressé le grand lit à baldaquin avec ses piliers de bois de chêne et ses deux grands rideaux de taffetas bleu à petits carreaux. Le ciel de lit, ainsi que le soubassement, sont garnis du même taffetas aux couleurs douces qui donnent à l'ensemble un aspect charmant et féérique. Les murs sont ornés de panneaux de menuiserie et, au plafond, est peinte une grande fresque décrivant toute l'histoire de Psyché, légende qui est le support de nombreuses aventures galantes. La chambre, d'assez grande dimension, possède également, le long du mur opposé à la cheminée, un petit bureau à mettre des livres, sorte de bibliothèque et secrétaire que Marie peut fermer à clef. Ce meuble, en bois de cèdre, est d'une couleur rougeâtre qui se détache sur le fond plus sombre des boiseries. Il y a là aussi deux grands fauteuils de peluche d'un bleu qui rappelle celui du lit, ainsi que deux petits tabourets en chêne revêtus d'un satin de même couleur. L'un de ces tabourets trouve sa place devant la commode où Marie s'est installée pour commencer sa toilette. Un léger bruit derrière elle lui fait tourner la tête: -"Est-ce toi, Francinette? Hâte-toi donc, mon amie! Sais-tu que je ne voudrais pas manquer aux règles de la bienséance en arrivant en retard ce soir..."

Francinette ferme la porte sans bruit et se dirige vers sa maîtresse en souriant. Marie, généralement douce et patiente avec Francinette, trouve en elle une confidente discrète. Marie porte une chemise de toile fine, ornée de dentelle d'Alençon, par-dessus laquelle elle a enfilé une robe de chambre de satin à fond bleu rempli de bouquets. Le bleu s'harmonise avec le gris bleuté de ses yeux et avec la blondeur argentine de ses longs cheveux. Francinette dépose sur le rebord de l'un des fauteuils les vêtements que sa maîtresse revêtira tout à l'heure. Aujourd'hui, la toilette ne sera pas très longue, car ce n'est pas le jour du bain, pour lequel Marie loue d'ordinaire vingt sous une baignoire en cuivre. Francinette commence par coiffer sa maîtresse en passant dans ses cheveux un peigne que les précieuses appellent le "dédale", pendant que Marie se regarde dans le "conseiller des grâces" qu'est son miroir. Elle se coiffe, à la manière de Madame de Sévigné, avec deux groupes de frisures encadrant le visage et tombant sur les épaules, laissant le front légérement dégagé.

Une fois la coiffure terminée, Francinette propose à sa maîtresse du fard et des parfums. Sur la commode s'étalent des boîtes et des pots de poudre de Chypre, de pommade de Florence, de cire d'Espagne, et toutes sortes de parfums: musc, ambre, cannelle, marjolaine et lavande. Habituellement, Marie se parfume à l'eau de lavande, dont elle apprécie la senteur douce et discrète. Mais ce soir, pour sortir, elle préfère user d'un parfum plus recherché dont les essences subtiles ont été mélangées avec soin par l'un des parfumeurs parisiens les plus réputés. Ensuite, Francinette aide Marie à passer ses bijoux d'or, bracelets riches et pesants, et ajuste ses pendants d'oreilles. Puis voici venu le moment de s'habiller, travail long et minutieux. Par dessus la chemise de toile, il faut superposer trois jupes: les deux jupes de dessous sont en taffetas; la première appelée la "secrète", est un jupon de fine étoffe décorée de broderies; la jupe intermédiaire, la "friponne", est légérement découverte et s'évase en plis souples. Quant à la jupe de dessus, appelée "la modeste", Marie la choisit aujourd'hui en satin bleu vif avec des reflets bleu tendre ornementé de petites fleurs jaunes. L'ensemble a un aspect gracieux et retenu qui souligne à merveille la jeunesse de Marie. Sur le buste, elle passe un corsage de même couleur terminé en pointe à la taille et maintenu rigide par un busc de bois. Des manches courtes du corsage sort un triple volant de dentelles fines.

Enfin prête, Marie court s'admirer devant le trumeau: satisfaite, elle retourne vivement vers la commode et sort d'une petite boîte parfumée une mouche qu'elle applique sur son nez. -"Comment me trouves-tu Francinette? Ne dirait-on pas une demoiselle qui court se perdre dans les bras de son premier amour?" -"Madame, plût au ciel que cela se réalise vite, car, pour moi, je trouve que la retraite dans laquelle Madame s'est complue depuis son veuvage a déjà bien trop duré..." -"Nous verrons cela, mon amie! mais, pour l'heure, laisse-moi car j'aimerais rester un moment seule encore..."

Francinette quitte la pièce et Marie pousse un profond soupir. Désoeuvrée, mais trop agitée pour entreprendre quelque ouvrage, elle s'assied dans l'un des fauteuils qui, tourné vers la fenêtre, lui offre une perspective plongeante sur les toits des hôtels voisins. Un tel spectacle nourrit son imagination et la voilà transportée dans un monde de rêveries et de souvenirs. Elle se rappelle alors une soirée donnée à l'hôtel de Chevreuse. Plus d'une centaine de personnes étaient présentes. La soirée avait débuté par un bal auquel presque tous les invités avaient pris part. Marie se souvient même avec un certain agacement de la cour peu délicate que lui fit ce soir-là le jeune fils du marquis de Soissons, l'invitant sans arrêt à la danse. Mais ensuite, la soirée était devenue plus intime, car la plupart des invités avaient pris congé de leur aimable hôtesse. Seuls étaient restés quelques uns de ses amis les plus familiers. C'est ainsi que Marie fit la connaissance du vieux comte de Montmorency, homme cultivé et fin parleur, qui attirait vite l'attention sur lui en se lançant dans d'interminables récits que les auditeurs avait coutume de fuir au plus vite. Ce soir-là il avait entrepris de parler des années qui furent dominées par les troubles de la Fronde. Marie fut extrêmement attentive à ce récit, car ces événements qu'elle n'avait pas directement vécus l'intéressaient. Née en 1638, elle n'avait que dix ans au 45 début des troubles. Par ailleurs, eût-elle été intéressée par les remous politiques, elle n'aurait pas eu le loisir de s'en passionner car elle venait d'être mise au couvent par sa marraine qui voulait lui donner une bonne éducation.

C'est donc avec une attention soutenue que Marie avait écouté le comte, qui parlait avec volubilité, tout en gardant la voix légére et enjouée. Assis sur un fauteuil bas garni de velours rouge, il parlait en accompagnant son récit de grands tourniquets de la main, ce qui donnait une vivacité particulière à ses propos. Voici ce qu'il avait raconté: "De 1648 à 1652 se déroula en France une période de révolte qui fut de triste mémoire. La Fronde que nous vécûmes alors tirait son nom d'un jeu d'enfant, ce qui me parut toujours une sorte de sottise du langage: il n'y avait en effet rien d'enfantin dans cette révolte dirigée principalement contre la politique de Mazarin dès 1648 pendant la minorité de Louis XIV. L'impopularité du ministre était due en partie à ses exigences financières. En 1648 le Parlement de Paris rédigea les 27 articles, déclaration qui tentait de limiter le pouvoir royal. La régente fit alors arrêter trois auteurs des 27 articles dont le vieux conseiller populaire Pierre Broussel. Aussitôt après, les parisiens s'insurgèrent et formèrent des barricades dans les rues qui jouxtaient le Palais Royal. Quelques uns menacèrent même de forcer les gardes. De partout surgissaient des mousquetons, des hallebardes et des arquebuses; la foule courait aux armes en criant: "Broussel! Liberté!". Devant cette agitation populaire Anne d'Autriche ne s'inquiétait pas outre mesure, car elle pensait que le tumulte allait s'apaiser comme il avait commencé. L'émeute dura cependant toute la nuit, et plus de douze cent barricades surgirent dans les rues de Paris. Le Parlement, apeuré par l'ampleur de la révolte, envoya une délégation auprès de la reine pour obtenir la libération de Broussel, mais la reine s'obstinait. Par chance, le cardinal Mazarin avait compris la gravité de la situation, et il réussit à persuader la reine; l'odre fut enfin donné de libérer Broussel. Deux heures après, suivant un arrêt du Parlement, les barricades étaient abattues et les esprits calmés. Mais la reine, blessée dans son orgueil, était mécontente du tour qu'avaient pris les événements. En Septembre 1648, elle quitta Paris avec le roi, le cardinal et le prince de Condé. Après des négociations difficiles qui aboutirent à une ordonnance acceptant certaines revendications du Parlement, la régente et le jeune roi purent rentrer à Paris où ils furent accueillis par d'immenses clameurs de joie de la part des habitants qui semblaient avoir oublié les troubles passés.

Cependant, les parisiens n'étaient pas apaisés pour autant. Le peuple comme le Parlement étaient décidés à assouvir leur haine encore vivace contre celui qui était appelé "le Mazarin". Chaque jour naissaient des pamphlets qui prirent le nom de nazarinades. Dans tout Paris, ces mazarinades étaient chantées, dites à voix haute, ou bien encore placardées dans les rues et en particulier sur le Pont-Neuf, centre bruyant et mouvementé de la vie parisienne. Si Mazarin avait des raisons de se sentir menacé, la reine mère de son côté en voulait encore au peuple et au Parlement pour l'affront qu'ils lui avaient fait subir. Décidée à se venger, elle prit la résolution, d'un commun accord avec le ministre raillé, de quitter Paris une nouvelle fois, d'affamer la ville et de la réduire à la soumission.

C'est ainsi que, durant la nuit du 5 au 6 janvier 1649, à trois heures du matin, le duc de Villeroy, gouverneur du jeune Louis XIV, le réveilla ainsi que son jeune frère Philippe. Il les pria de rejoindre rapidement le carrosse de la reine qui les attendait près d'une petite porte du Palais-Royal. A ces fuyards vint se joindre le carrosse de Mazarin, puis celui du prince de Condé, du prince de Conti, du duc d'Orléans, enfin de toute une partie de la Cour qui allait, encore endormie et grelottant de froid, rejoindre le château de Saint-Germain-en-Laye en pleine nuit. Après un premier mouvement de stupeur les parisiens réagirent. Sur ordre du Parlement ils s'armèrent et défilèrent au son du tambour. On criait de partout: "A bas le Mazarin! Nous voulons notre roi!". Contre toute attente, le prince de Conti rallia le premier la Fronde en rentrant précipitamment de Saint-Germain. La duchesse de Longueville, sa soeur, se déclara elle aussi ouvertement du parti des frondeurs. Puis ce fut le tour du duc de Beaufort, petit-fils bâtard de Henri IV. Il avait été l'un des chefs de la Cabale des Importants, faction politique qui tenta d'éliminer

Mazarin en 1643. Il avait des manières assez familières qui plaisaient à la foule, ce qui lui valut le surnom de "roi des Halles". Aux côtés de Paul de Gondi, devenu en 1651 Cardinal de Retz, le duc de Beaufort prit la tête des rebelles dans Paris. A l'extérieur, le prince de Condé et ses troupes encerclaient la ville et empêchaient tout approvisionnement. L'hiver 1649 fut rude: la Seine déborda, et les parisiens mouraient de faim. A Saint-Germain, tout allait mal aussi et chacun était bien las de cette fronde. Dans les deux clans, on était prêt à négocier pour que tout rentre dans l'ordre. La paix fut alors signée à Rueil au mois de mars 1649, par l'entremise de Mathieu Xolë, premier président du Parlement de Paris, qui joua un rôle modérateur. Le Traité de Rueil mettait ainsi fin à la première fronde que l'on appela Fronde parlementaire. Le 18 Août 1649 la cour rentra à Paris où le jeune roi reçut un accueil triomphant. Mais cette trêve fut de courte durée. La deuxième fronde, que l'on appela Fronde des Princes, débuta en janvier 1650 lorsque le cardinal Mazarin donna l'ordre à ses gardes d'arrêter le prince de Condé qui, depuis quelque temps, devenait trop insolent et voulait obtenir le pouvoir. Avec lui furent arrêtés son frère Conti et son beau-frère Longueville. A cette nouvelle, seule la province bougea à l'instigation des femmes des captifs: la duchesse de Longueville agita la Normandie, et la princesse de Condé souleva la Guyenne. Mazarin, accompagné de la Cour et de quelques troupes, entreprit de pacifier ces provinces. Mais, à peine furent-elles neutralisées et la Cour rentrée à Paris que l'agitation reprit dans la capitale. Le cardinal de Retz influença le Parlement qui réclama la liberté des trois princes emprisonnés. Mazarin prit alors la route du Havre, déguisé en cavalier, et les délivra lui-même. En 1651, craignant un nouveau soulévement, il s'exila en Rhénanie chez son allié l'électeur de Cologne. Anne d'Autriche demeurait seule à Paris pour régner. Mazarin la conseillait en lui envoyant des lettres. C'est à cette époque que Louis XIV fut déclaré majeur. Hélas, cet événement ne fit pas perdre à Condé son arrogance: il prit la tête de la fronde des princes en allant soulever quelques provinces. La reine et le roi quittèrent Paris avec des troupes, et Mazarin vint les rejoindre à Poitiers avec quatre mille mercenaires. La guerre civile fit rage quelque temps sur les bords de la Loire; puis Condé remonta sur Paris. Le 2 Juillet 1652 eut lieu, devant la porte Saint-Antoine, une bataille mémorable, entre l'armée rebelle commandée par Condé et l'armée royale commandée par Turenne. Après des combats acharnés le sort des rebelles semblait perdu lorsqu'un coup de théâtre eut lieu: la Grande Mademoiselle, fidèle frondeuse, fit ouvrir la porte Saint-Antoine aux troupes de Condé et fit tirer le canon de la Bastille sur les troupes royales. Durant trois mois, Paris fut alors aux mains de Condé, mais celui-ci se rendit odieux en terrorisant les parisiens et en insultant le Parlement. Ce prince rebelle indésiré quitta alors Paris et, vendit son épée à l'Espagne. Le départ de Condé marqua ainsi la fin de la fronde des princes. Louis XIV fit une nouvelle entrée triomphante dans Paris. Mazarin réapparut bientôt, lui aussi accueilli favorablement par le peuple lassé de la Fronde, et tout rentra dans l'ordre." Marie se souvient que, lorsque le comte eût fini son récit, la plupart de ceux qui l'écoutaient au début s'étaient déjà éclipsés. D'autres, contraints par la politesse et le respect des convenances, n'avaient pas osé quitter la pièce mais s'ennuyaient beaucoup. Seule, Marie avait écouté l'ensemble du récit avec la plus vive attention. Elle avait pressenti, d'une façon encore confuse, que ce passé aurait une influence durable sur l'avenir: elle avait pensé que le jeune roi ne pourrait pas oublier ces cinq années de guerre civile qui avaient marqué cruellement son enfance. Marie était encore songeuse lorsque le comte s'était dirigé vers elle avec un sourire. Il lui avait pris délicatement le bras et l' avait entraînée à l'écart, dans l'embrasure d'une fenêtre. Là, il lui avait dit: "Chère amie, ne soyez pas intimidée par ma conduite, mais J'ai remarqué l'interêt que vous semblez avoir trouvé dans mon discours, et cela me laisse à penser que vous ne serez pas indifférente à la proposition que je vais vous faire ici. Mais tout d'abord, êtes-vous prête à agir pour sauver la réputation d'un gentilhomme?" Intriguée par tant de mystères, Marie n'avait pas su que répondre. Gyl Cependant, la curiosité l'avait emporté sur la prudence et elle avait fait au comte un signe d'assentiment de la tête, l'invitant à lui en dire plus: "Vous vous souvenez sans doute que j'ai nommé tout à l'heure le duc de Beaufort. Il s'était précipité dans la rébellion avec une impétuosité et une inconscience qui étaient justifiables en ces temps de troubles. Or, il s'avère aujourd'hui que ce cher duc, qui est l'un de mes amis, voudrait réparer une erreur qu'il a commise autrefois. A l'époque où les mazarinades fleurissaient dans tout le pays, notre duc a lui-même écrit l'un de ces pamphlets qui s'est malheureusement égaré. Vous comprenez combien un tel document pourrait être compromettant s'il arrivait qu'il tombât entre les mains d'un ami du cardinal. Un tel événement serait fatal à l'avenir du duc qui, depuis, a offert ses services au roi. Vous avez certainement deviné ce que j'attends de vous: retrouver cette mazarinade. Cette mission est difficile mais je vois en vous suffisamment d'intelligence et de vivacité pour penser que vous serez à même d'en venir à bout." Marie se souvient qu'elle était restée trop indécise pour répondre au comte. Il l'avait saluée avec un sourire où se lisait la confiance qu'il mettait en elle puis avait discrétement quitté la pièce. C'est seulement trois jours après cette soirée que Monsieur de Fontenay avait rendu l'âme, d'une brutale attaque d'apoplexie. Marie avait alors vécu des journées entières de tristesse et d'égarement, durant lesquelles elle avait appris à vivre seule, malgré la gentillesse des amies qui venaient lui rendre visite pour la tirer de son mortel isolement. Finalement, elle avait décidé de reprendre goût à la vie. C'est ainsi que, il y a quelques jours, elle s'était souvenu du récit du comte de Montmorency. . Marie est aujourd'hui impatiente d'agir pour retrouver la mazarinade. L'heure est venue de quitter l'hôtel de Fontenay pour se rendre à celui de la Roche-Guyon, où doit se donner une fête en l'honneur des vingt et un ans de la belle Angélique, amie de Marie. Le carrosse à housse jaune aux armes de la maison de Fontenay ayant été apprêté, Marie descend le grand escalier qui donne dans la cour intérieure. Elle est à peine installée sur la banquette que le cocher fouette hardiment ses chevaux, élançant l'équipage dans la rue qui se trouve fort heureusement libre à ce moment-là. Marie n'est jamais très rassurée lorsqu'elle monte dans son carrosse, car Jacques, le cocher, se laisse trop souvent emporter par l'impétuosité de sa jeunesse. S'il n'hésite pas à descendre de sa caisse, l'épée à la main, pour défendre l'honneur de sa maîtresse et se frayer un passage dans les rues, il prend aussi un vif plaisir à lancer ses chevaux au grand trot, en rasant les murs et en éclaboussant les piétons. Marie préfère cependant mettre sa vie entre les mains de son cocher plutôt que de risquer de se faire agresser ou voler par quelque vide-gousset ou coupe-jarret, comme il en existe beaucoup dans les rues de Paris, lorsque le soir tombe. Le carrosse arrive sans incident devant le majestueux hôtel de la Roche-Guyon qui présente à la rue un grand portail ouvert dans un mur entre deux pavillons. La cour intérieure est suffisamment grande pour qu'un carrosse à deux fonds, c'est-à-dire à deux banquettes se faisant face, et tiré par quatre chevaux, puisse y entrer et y tourner en arc de cercle sans encombre. La façade principale de l'hôtel, élevée au fond de cette vaste cour d'honneur, prend ainsi de la grandeur: elle est faite d'un corps de logis à étage surmonté d'un gigantesque fronton, et de deux ailes attenantes construites de part et d'autre du bâtiment principal. Enfin, au-delà de la cour, et bordant l'allée qui mène au corps du logis, un superbe jardin présente aux visiteurs ses parterres faits de buis taillés et agrémentés de caisses de lauriers-thyms. Marie respire l'odeur des chevaux et du foin qui envahit la cour d'honneur. Elle descend du carrosse et renvoie Jacques. Marie devra se contenter tout à l'heure, pour rentrer chez elle, des services d'un fiacre. Elle monte les degrés de l'escalier qui conduit à l'étage. Sur le seuil se tient Angélique, qui, souriante dans sa splendide robe de satin blanc ornée de passements de couleur, l'accueille à bras ouverts: "Chère Marie! Comme je suis contente que tu viennes te joindre à nous. Ce soir, j'aimerais que tu te divertisses!" Marie espère qu'Angélique dit vrai sans se douter que cette soirée lui dévoilera une partie du secret qui la préoccupe. Laissant son amie accueillir 48 les autres visiteurs qui commencent à affluer derrière elle, Marie se faufile parmi les premiers arrivés et s'insére dans un groupe ou la conversation est déjà animée. On y parle de l'arrestation de Nicolas Fouquet. Celui-ci, surintendant des finances en 1653, connut une promotion exceptionnelle qui lui fit de nombreux ennemis, parmi lesquels Colbert, nouveau contrôleur des finances. Nicolas Fouquet est excessivement riche: il possède une résidence à Saint-Mandé, un hôtel particulier rue Croix-des-Petits-Champs à Paris, ainsi que le magnifique château de Vaux. C'est là qu'il a eu la malencontreuse idée d'inviter le roi Louis XIV, les deux reines, le duc d'Orléans, Henriette d'Angleterre, Colbert, ainsi qu'une partie de la Cour. A cette occasion tant de richesses furent déployées que le roi, blessé dans son orgueil, en fut vertement jaloux. De plus, il surprit au bras de Fouquet Louise de la Vallière, jeune femme qui allait devenir sa favorite. Fouquet et Louis XIV sont ainsi devenus, en quelques heures, non seulement ennemis à cause de leur fortune, mais aussi rivaux d'amour. Dans cette lutte, Louis XIV ne pouvait pas se permettre d'être battu sans flétrir l'éclat de son soleil. C'est pourquoi il le fit arrêter par d'Artagnan, sous-lieutenant des mousquetaires gris. Cette nouvelle inquiète d'ailleurs Marie dont le frère, secrétaire général de Fouquet, risque également la disgrâce. Les langues vont bon train dans le salon, ou chacun reste prudent, n'osant dire tout haut ce qu'il pense tout bas. Les derniers invités sont arrivés maintenant, et l'on voit le maître de céans, le duc François de la Roche-Guyon, veuf quinquagénaire, et père de la charmante Angélique, s'avancer avec un gracieux sourire vers ses hôtes et inviter chacun à prendre place autour de la table, pour assister au souper. Les convives sont au nombre de trente, et les couverts ont été disposés de part et d'autre de la longue table faite de tréteaux, dressée dans la vaste antichambre. Le maître d'hôtel, imposant personnage aux manières raffinées, préside le service, l'épée au côté parce que nous sommes dans une maison ducale. Autour de la table s'affairent aussi une dizaine de laquais portant la livrée bleue et argentée de la maison. Marie s'est assise auprès de Nicolas, jeune frère d'Angélique, qui étudie encore à la faculté des Décrets, et deviendra un jour notaire. C'est un jeune homme poli mais réservé, qui semble davantage intéressé par la conversation de son voisin, vieillard féru de chasse dont il donne des descriptions détaillées, que par la présence à ses côtés de Marie. Celle-ci se tourne alors tout naturellement vers son voisin de droite, Philippe de Villotret, conseiller du Roi et trésorier général de l'extraordinaire des guerres et de la cavalerie légère. C'est un homme d'une quarantaine d'années, la face un peu rouge, la moustache provocante, qui parle haut et fort, racontant à qui veut l'entendre des récits de guerre. Il a lui-même participé à celle qui vient d'opposer la France à l'Espagne et qui s'est terminée en 1659 par le Traité des Pyrénées par lequel la France obtenait deux provinces: l'Artois et le Roussillon. Monsieur de Villotret raconte avec force détails la fameuse victoire de Turenne sur Condé à la tête des Espagnols, bataille à laquelle il participa lui-même avec éclat. Marie n'est que très moyennement intéressée par les propos bruyants de son voisin. Elle profite cependant d'un moment de silence et lui demande s'il connaît suffisamment les convives de ce soir pour lui indiquer une personne capable de la renseigner sur la Fronde. Interloqué, Philippe de Villotret est mécontent d'avoir été interrompu. Il fait néanmoins preuve de courtoisie et répond en désignant discrètement de la tête un vieillard qui, assis quelques mètres plus loin, semble méditatif, "Voyez-vous cet homme, chère Madame? Il s'agit de l'Abbé de Châteauneuf. Malgré ses soixante-quatorze ans il a encore toute sa raison. Je pense que vous trouverez en lui un astucieux conseiller, et je peux vous assurer qu'il sait se montrer discret en toutes circonstances..." Monsieur de Villotret a mis une intonation mystérieuse dans sa dernière phrase et cela agace Marie; se doute-t-il de quelque chose? Mais non, Marie a trop d'imagination! D'ailleurs, un homme comme son voisin peut-il s'intéresser A autre chose qu'à ses exploits personnels? Marie remercie d'un signe de tête, se promettant d'engager la conversation tout à l'heure avec l'abbé. En attendant, elle est décidée à profiter du repas. Tout est d'ailleurs prévu pour que les convives fassent bonne chère: le premier service du dîner a été composé d'un potage de perdrix, puis de plats d'hors-d'oeuvre faits de saucisses, de tourtes de pigeons, de

cailles, et de pâtés de volailles truffés. Le second service vient de commencer par trois grands plats de rôt de poulets, de chapons gras et de perdrix. Puis l'on sert les plats d' entremets: pieds de porc à la gelée, oeufs et artichauts. Marie apprécie ces délicates nourritures dégustées au son de l'orchestre de flûtes et de hautbois engagé à cette occasion. Le repas se termine par le troisième service, composé d' une bassine de fruits crus, une bassine de confitures sèches et un assortiment de compotes. A la fin du repas, quelques divertissements sont prévus. Dans le grand salon, l'antichambre et le petit salon, les invités se sont dispersés: là, on va jouer à l'hombre, jeu favori de la reine Anne d'Autriche; ici, de jeunes poètes déclameront leurs vers devant des dames attendries; ailleurs, quelques hommes s'affairent autour de la table de billard; enfin, dans une des pièces les plus retirées de l'hôtel, quelques amateurs de musique s'apprêtent à écouter avec ferveur un petit orchestre dont les échos favoriseront les méditations intérieures. C'est là que Marie a retrouvé l'abbé de Châteauneuf, petit homme alerte dont le doux regard appelle les confidences. Marie a tout de suite confiance en cet homme, à qui elle va, sans hésiter, expliquer la raison de sa démarche: "Cher Abbé, permettez-moi de me présenter: je suis la marquise de Fontenay; mon mari Monsieur de Fontenay a quitté ce monde, Dieu ait son âme, il y a quelques mois seulement. Depuis, me voilà bien seule, prête à rendre service pour occuper mes journées. C'est pour cette raison que j'ai accepté de mener à bien une mission pour le duc de Beaufort qui est actuellement au service du Roi, mais qui, vous ne l'ignorez pas, a fréquenté d'un peu trop près les beaux esprits frondeurs. Le duc aimerait que je cherche pour lui certaine mazarinade qu'il aurait écrite en ces temps de troubles et qui lui porterait, ma foi, bien tort si elle tombait en de mauvaises mains. Comprenez donc mon embarras: je dois retrouver cet écrit fâcheux et je ne sais malheureusement pas où orienter mes recherches..." Marie a débité ce discours tout d'une traite, sous l'oeil attentif et intéressé du vieil abbé. "Chère enfant, votre désarroi me touche et votre sollicitude me va droit au coeur. Ainsi, vous pensez que je pourrais vous renseigner sur ce papier égaré... L'affaire est banale, car les mazarinades furent écrites par centaines. Je sais que beaucoup furent détruites mais celle que vous cherchez fut sans aucun doute précieusement gardée, à cause de sa célèbre signature. Voyez-vous, il me vient une idée: il se peut que cette mazarinade ait été déchirée, ou bien coupée volontairement en plusieurs morceaux pour que ceux qui la détiennent puissent en faire usage quelles que soient les circonstances. Mais il se peut aussi qu'elle soit tombée entre les mains d'une personne qui serait davantage intéressée par sa valeur historique que par sa portée politique: je pense à quelqu'une de ces dames du grand monde qui tinrent naguère salon, à l'hôtel de Rambouillet par exemple..." Ayant dit, l'abbé reste pensif quelques instants puis reprend: "Il serait sage de vous rendre là-bas. L'hôtel de Rambouillet n'est plus le célèbre rendez-vous d'hommes et de femmes férus de littérature qu'il a été durant vingt ans. Mais je sais qu'y habite encore une vieille dame, la vicomtesse de Raconis, parente de Madame de Rambouillet. Elle fut l' une des habituées des réunions qui se tenaient à l'hôtel. Je connais personnellement cette vicomtesse et je vais vous laisser un petit billet que vous lui porterez et qui vous servira d'introduction. Vous ne serez pas déçue, car cette vieille dame possède une mémoire fabuleuse, et elle pourra vous raconter tout ce que vous voudrez savoir sur le passé de l'hôtel ainsi que sur les gens qui fréquentèrent ce haut lieu de la vie littéraire." L'abbé sort de la poche intérieure de son pourpoint un billet sur lequel il griffonne à la hâte quelques mots, "Tenez!" dit-il. "Je vous souhaite bonne chance." L'abbé s'incline galamment devant Marie, puis sort de la pièce, dans une sorte de sautillement enfantin qui la fait sourire. Vraiment, cet abbé est un personnage hors du commun! Son humeur joyeuse, sa finesse d'esprit ont plût à Marie qui est maintenant elle-même pleine d'entrain, comme si ce diable de petit homme lui avait insufflé à l'instant l'énergie et le pouvoir nécessaires pour accomplir le reste de sa mission. Ayant décidé qu'elle se rendrait à l'hôtel de Rambouillet dès le lendemain, Marie se dirige vers le grand salon. 50 Les petits divertissements sont terminés, et quelques personnes sont déjà rentrées chez elles. D'autres, au contraire, viennent d'arriver, car le bal va s'ouvrir: une bonne partie de la jeunesse parisienne est au rendez-vous, et la soirée promet d'être animée... Le lendemain matin, Marie se réveille d'humeur joyeuse: elle a passé, la veille, un agréable moment à danser menuets, sarabandes et rondeaux. Elle a retrouvé, l'espace d'une soirée, la compagnie des jeunes gens de son âge qui aiment les plaisirs. Mais la fête ne lui fait pas oublier sa mission, et c'est avec empressement qu'elle appelle Francinette dès son réveil. La matinée va passer très vite: Marie s'installe devant sa commode pour sa toilette en compagnie de Francinette à qui elle raconte certains détails de la soirée, le repas et le bal en particulier. Puis elle s'occupe de la bonne marche de la maison, donnant ses ordres aux domestiques, vérifiant les comptes, complimentant ou morigénant au passage les filles de cuisine et les valets. C'est ensuite l'heure du repas, qu'elle prend léger car elle est seule aujourd'hui. Enfin, vers trois heures de l'après-midi, Marie décide qu'il est temps de rendre visite à Madame de Raconis. Le carrosse parcourt à vive allure la rue des Petits Champs, passe devant l'hôtel de Lude et oblique dans la rue neuve Saint-Honoré pour contourner le Palais-Royal, demeure de la reine-mère Anne d'Autriche. On tourne ensuite à gauche pour emprunter la rue Saint-Thomas du Louvre qui offre à la vue des passants les façades somptueuses des hôtels de Rambouillet et de Chevreuse placés côte-à-côte. L'hôtel de Rambouillet est le deuxième bâtiment de la rue Saint-Thomas, du côté de la place du Palais-Royal et à proximité des Quinze-Vingts, qui occupe le coin de la rue. L'extérieur de l'hôtel est caractérisé par son fameux escalier placé en angle au fond de la cour, construit selon l'idée de Madame de Rambouillet. Cet agencement original permet d'avoir une grande suite de chambres en enfilade, avec des portes et des fenêtres hautes et larges vis-à-vis les unes des autres. Cela donne à l'hôtel une belle ordonnance symétrique que Marie admire pour la première fois. Ayant gravi le grand escalier, elle pénètre dans une antichambre où se tient un majordome impassible. Marie lui tend le billet de l'Abbé de Châteauneuf. L'austère majordome disparaît silencieusement et revient quelques instants plus tard en priant Marie de bien vouloir le suivre. Après avoir traversé de nombreuses pièces qui, malgré leur somptueux décor, paraissent tristes et abandonnées, elle arrive dans un grand salon dont les murs sont tendus de tapisseries bleues à fond d'or. Au sol, un tapis d'orient couvre le parquet et affaiblit le bruit des pas. Des cabinets chinois et des bahuts catalans décorent les murs de la pièce, dont l'un des coins est occupé par un lit de repos de satin rouge broché d'or. Partout se dressent des fauteuils et des escabeaux pliants de velours rouge également. Sur l'un des fauteuils, au centre de la pièce, est assise une très vieille dame, qui tend la main à la nouvelle arrivée et lui dit avec bienveillance: "Pardonnez, chère amie, cet accueil, mais je ne peux malheureusement plus marcher. J'ai lu le billet de l'Abbé de Châteauneuf qui vous présente à moi comme l'une des femmes les plus intelligentes et les plus spirituelles de Paris. Je vois aussi que vous possédez d'autres qualités... Je suis heureuse de vous recevoir ici, dans cette "chambre bleue" où la marquise de Rambouillet, ma cousine défunte, aimait à se tenir." Marie comprend tout de suite que cette vieille dame, habillée, fardée et parfumée selon la mode du début du siècle, ne vit plus dans le présent et que, par conséquent, elle ne se fera pas prier pour raconter le temps de la Fronde vécu à l'hôtel de Rambouillet. Cependant, Marie a suffisamment d'esprit pour comprendre aussi que Madame de Raconis n'accepterait pas de l'aider ouvertement. Elle en apprendra plus en incitant son hôtesse aux bavardages qu'en la questionnant d'une façon trop directe. "Chère vicomtesse, je vous remercie de votre accueil. Voyez en moi une jeune femme ignorante de tout ce qui a pu être le passé de notre beau pays, et croyez qu'il ne tient qu'à vous de m'instruire davantage sur un sujet qu'il me serait indigne de méconnaître plus longtemps..." Marie a vu juste: à peine a-t-elle fini de parler que Madame de raconis reprend la parole, en lui 51 désignant de la main un fauteuil sur lequel elle l'invite à s'asseoir: "Eh bien, puisque vous vous montrez si aimable, je veux bien, de bonne grâce, jeter quelque lumière sur ce que vous ignorez." Ayant dit, Madame de Raconis tourne légërement le buste en direction de la porte et ordonne au majordome: "Gaspard, faites-nous apporter quelque décoction de café avec du miel de Narbonne, afin que je fasse goûter à mon invitée cette boisson nouvelle qui déplaît si fort à notre roi..." Puis la vicomtesse se retourne vers Marie et, avec toute l'énergie que lui permet encore ses quatre-vingts ans, elle commençe un récit qui promet d'être long: "Voyez-vous, chère madame, c'est donc dans cette pièce que se déroulèrent bien des séances présidées par ma défunte cousine Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet. C'est elle, par ailleurs, qui dessina l'ordonnance de ce salon, et c'est elle qui décida d'y recevoir des gens du monde et des lettres. J'ai eu l'honneur d'assister à presque toutes ces réunions depuis leur début: ma cousine recevait ses hôtes, étendue sur le lit que vous voyez là. Elle était assistée fréquemment dans sa tâche d'hôtesse par ses deux ravissantes filles. Des divertissements de salon étaient prévus lors de ces réunions. On chantait des mélodies nouvelles au son de la harpe ou du théorbe dont jouaient quelques uns des participants. J'aimais beaucoup ces instants où chacun écoutait en un silence émouvant le poête inspiré du moment. Tous, dans l'assemblée, appréciaient la musique qui, à tout instant, peut nous emporter vers le royaume enchanteur de la poésie et des muses." Après cette envolée lyrique de la vicomtesse, Gaspard refait son apparition avec un plateau chargé de tasses et de friandises. Il s'apprête à servir lui-même le café lorsque Marie lui dit: "Laissez cela; je pense que Madame ne sera nullement désobligée si je me charge moi-même du service." La vicomtesse, amusée, regarde Marie: "Soyez certaine que je ne vois là aucune désobligeance, mais une marque de bon goût. Gaspard, laissez-nous, maintenant..." Madame de Raconis reprend son discours. Marie se lève et sert le café en tournant à demi le dos à la narratrice, qui est par ailleurs trop occupée par son récit pour manifester la moindre attention à sa visiteuse. Marie verse délicatement dans la tasse de la vicomtesse quelques grains d'une poudre dont elle connaît les vertus soporifiques. Cette poudre, versée dans le breuvage noir, passera inaperçue, et aura pour effet d'assoupir peu à peu la vieille dame, sans pour autant porter la moindre atteinte à sa santé. Marie lui présente la tasse d'un geste gracieux, tout en écoutant attentivement le récit qui se poursuit et dont elle n'a pas perdu la moindre goutte: "A l'hôtel, on avait également coutume de s'amuser à des petits jeux de salon, qui sont encore en vogue aujourd'hui. Mais le plus grand plaisir, que nous goûtions tous avec assiduité, était celui de la conversation. Il fallait savoir parler de tout, sans pédanterie et cependant sans vulgarité d'aucune sorte. Nous parlions bien un peu de la vie politique, et de certains événements qui nous touchaient de près; mais les questions de littérature étaient surtout à l'honneur. Le salon de Rambouillet était l'occasion pour maints écrivains de soumettre leurs oeuvres nouvelles à la critique. Souvent le public participait en faisant rimer de petits vers: c'est ainsi que fut écrite, par exemple, la "Guirlande de Julie" que le duc de Montausier offrit à l'une des filles de Madame de Rambouillet quelques années avant de l'épouser." La vicomtesse goûte un peu du café que lui a servi Marie, puis reprend: "A ses débuts l'hotêl fut fréquenté par des écrivains comme Malherbe, Racan, Segrais, Vaugelas, Chapelain, et surtout le grand animateur de cercle qu'est Voiture. C'était un homme amusant que ce Vincent Voiture: il était petit et maladif, mais néanmoins excessivement coquet et fier de sa moustache. Il avait le talent de badiner avec une aisance toujours égale. Autour de lui, de nombreux petits poètes habitués de l'hôtel faisaient des vers élégants et galants, mais ils n'eurent jamais autant d'esprit que ce cher Voiture. Plus tard les habitués du salon furent des poètes comme Scudéry, Ménage, Godeau que l'on appelait "le nain de Julie". A ceux-là venaient se joindre parfois des écrivains comme Rotrou, Pierre Corneille et Scarron, qui épousa en 1652 la 52 future Madame de Maintenon. Les divertissements littéraires devenaient ainsi plus fréquents: Voiture lisait souvent quelques unes de ses lettres et Corneille y a présenté toutes ses tragédies, du "Cid" à "Rodogune". D'innombrables textes ont été lus ici: la marquise de Rambouillet aimait tant la littérature qu'elle demandait d'ailleurs souvent aux différents auteurs de laisser leurs manuscrits, pour que de secondes lectures en puissent être faites. C'est ainsi que nous avons gardé quelques centaines d'écrits, lettres, poèmes ou pièces de théâtre. Je pense que nous avons bien fait, car une bonne partie de ces oeuvres auraient aujourd'hui disparu..." Marie, qui a dressé l'oreille depuis que la vicomtesse parle des manuscrits, voit avec un déplaisir extrême que la poudre versée dans le café produit son effet: Madame de Raconis commence à s'assoupir, mais trop tôt malheureusement. Pressentant qu'il faut agir vite, Marie la questionne, la secouant un peu, sans trop de cérémonie: "Mais dites-moi, madame, d'autres manuscrits n' ont-ils pas été écrits par la suite, et gardés dans ce salon?" La vicomtesse, reprenant un peu ses esprits, poursuit lentement son récit: "Vous avez raison. Après 1645 de nouvelles dames sont devenues des habituées du salon: Madame de Sévigné, Madame de La Fayette et Mademoiselle de Scudéry qui organisa elle-même des "samedis" dans son hôtel de la rue de Beauce. Hélas, la violence des événements politiques mit fin aux réunions habituelles. En effet, la Fronde a profondément troublé la vie de l'esprit. Et l'on ne se réunissait plus que pour parler des mazarinades. Ainsi, ce sont ces pamphlets que nous avons collectionnés à partir de ce temps-là. Les mazarinades étaient quelquefois écrites par de simples roturiers, mais nous en avons connues certaines qui, écrites par des gens de talent, pouvaient être considérées comme des pièces de valeur..." A ces mots, Madame de Raconis penche la tête sur le dossier de son fauteuil, et s'endort doucement. Mais Marie en sait suffisamment: la vicomtesse lui a confirmé l'existence de manuscrits datant de la Fronde et lui a désigné, tout en parlant, un meuble dressé dans un coin de la pièce. Il s'agit d'un secrétaire d'assez vastes dimensions, dans lequel sont rangés plus d'une dizaine de coffrets de taille moyenne, ornés de serrures. Marie prend l'un d'eux dans ses mains, et s'aperçoit avec soulagement qu'il n'est pas fermé à clé. Elle en fouille rapidement le contenu, découvrant des écrits datés de 1642 et 1643, et parmi eux le manuscrit de "Polyeucte", de Corneille. Ce n'est pas le coffret qu'elle recherche: il faut fouiller encore. Quelques minutes plus tard, elle a entre les mains celui dans lequel sont rangées les mazarinades. A-t-elle encore le temps d'agir? Ne court-elle pas le risque de voir la vicomtesse se réveiller ou bien encore un domestique pénétrer dans la pièce et la surprendre ainsi, un coffret à la main? Marie ne veut pas trahir sa réputation et passer pour une vile voleuse: elle n'est intéressée que par une seule des mazarinades, et elle est décidée à ne s'emparer que de celle-là. C'est pourquoi elle sort un à un les petits feuillets, à la recherche du texte écrit par le duc de Beaufort. Enfin, après plusieurs minutes de recherches fébriles, elle tient le fameux pamphlet entre les mains. Bien que le temps presse, elle prend soin de glisser le papier dans une manche de son corsage, remet les coffrets en place avant de retourner vers son hôtesse, toujours assoupie. Elle se penche vers elle, lui tape doucement les joues pour tenter de la réveiller. Comme Madame de Raconis ne réagit pas, Marie se dirige vers la porte pour appeler le majordome et lui dit: "Madame s'est endormie. Je crains qu'elle n'ait été épuisée par le trop long discours qu'elle avait entrepris de me faire... Peut-être vaut-il mieux que je me retire et que vous la laissiez prendre quelque repos." Gaspard, considérant que la proposition de Madame de Fontenay est en effet celle qu'il convient d'adopter. Il envoie une femme de chambre au chevet de sa maîtresse et sort pour faire appeler le carrosse de la visiteuse. Marie écrit à la hâte un petit billet dans lequel elle prie Madame de Raconis de bien vouloir accepter ses remerciements pour la bonne journée qu'elle a passé auprès d'elle. Puis elle sort de l'hôtel, accompagnée du majordome qui accomplit son devoir comme si de rien n'était. Elle monte dans son carrosse, indiquant à son cocher qu'elle désire se rendre sans tarder au Louvre pour 53 rencontrer le duc de Beaufort. Marie va sur l'heure remettre la mazarinade au duc de Beaufort.


Deuxième époque[modifier | modifier le wikicode]

I EuxrF-i' E EPc uE Z6~ L-16 Le temps a passé: nous sommes au début du mois d'Octobre 1678. Ce matin, Marie se lève de bonne humeur; elle lit pendant plus d'une heure le dernier roman de Madame de La Fayette, mis en vente depuis le dix sept mars de cette année. Ce livre, qui s'intitule "La Princesse de Clèves" a dejà obtenu un franc succès. Il raconte la passion qui naît et se développe entre Madame de Clèves et le duc de Nemours, à la cour d'Henri II. Marie admire le courage de l'héroïne luttant contre'cet amour interdit. Le renoncement final lui semble digne d'éloges et la fait rêver. Mais il est temps pour elle de se lever: elle fait rapidement sa toilette, et se fait habiller par Francinette, qui lui est toujours fidèle, bien qu'elles aient quitté l'hôtel de Fontenay. Etant amenée à suivre la reine dans tous ses déplacements Marie occupe actuellement un appartement dans la résidence royale de Saint-Germain.

Depuis le jour où Marie, en 1661, a adroitement dérobé la mazarinade écrite par le duc de Beaufort, tout a changé pour elle. Ce jour-là, elle s'était rendue au palais du Louvre où devait se trouver le duc. Celui-ci, s'étant rangé aux côtés du roi après les troubles de la Fronde, avait obtenu le commandement d'une flotte et servi sa majesté avec ardeur et loyauté. Le roi lui en avait été reconnaissant, et le duc, quand il n'était pas en mer, fréquentait le Louvre, demeure traditionnelle des rois de France. Lorsque Marie y était entrée, on l'avait priée d'attendre dans une antichambre où deux mousquetaires montaient la garde. Ceux-ci étaient des mousquetaires du Roi, vêtus d'une soubreveste bleue galonnée d'or, et ornée devant et derrière d'une croix fleurdelisée de velours blanc. Ils portaient une rapière au côté. Une fine moustache se dessinait sur la lèvre supérieure de chacun d'eux, et leurs têtes étaient couvertes d'un feutre orné d'une superbe plume blanche. Ils appartenaient à la compagnie des mousquetaires qui, supprimée en 1646, avait été rétablie par Louis XIV, qui avait voulu qu'on n'y reçût dès lors que des gens de condition. Les deux mousquetaires présents dans l'antichambre étaient sans doute des cadets, jeunes gentilshommes venus de leurs provinces natales pour débuter dans la carrière des armes. Marie commençait à s'impatienter lorsqu'un laquais entra et la pria de le suivre. Ils longèrent un étroit couloir que la lueur des chandeliers fixés aux murs ne parvenait pas à rendre accueillant. Ayant tourné à droite, le laquais souleva une tapisserie et pénétra dans un vaste cabinet, éclairé par de larges fenêtres qui donnaient, d'après ce que Marie put en juger, sur l'arrière du bâtiment. Marie reconnut le toit lointain du couvent des Pères de l'Oratoire, surplombant celui de l'hôtel de Clèves. Alors qu'elle pénétrait plus avant dans la pièce, elle aperçut, dans le coin opposé à la porte, un personnage qui se tenait debout, accoudé à la seconde fenêtre, le dos tourné à la visiteuse, et qui semblait regarder avec une attention soutenue au-dehors. Il était plongé dans une intense rêverie qui le rendait indifférent à ce qui se passait autour de lui. Marie vit surgir devant elle, de derrière la porte que le laquais venait de refermer en s'éclipsant, le comte de Montmorency en personne. Elle le reconnut tout de suite, cependant que lui, aussi aimable que lors de leur première entrevue, lui serrait avec effusion les deux mains. "Permettez-moi de vous féliciter, avant même que vous n'ayez dit un mot, car je présume que votre présence ici témoigne de la réussite de votre mission... Approchez-vous sans crainte, et laissez-moi vous présenter." Disant cela, le comte désigna à Marie le personnage qui se tenait toujours à la fenêtre, et en direction duquel ils se dirigèrent. Comme ils étaient arrivés à sa hauteur, l'inconnu se retourna. C'était un homme d'une 55 quarantaine d'années, au port altier, démenti cependant par un regard dans lequel se lisait, malgré une certaine lassitude, une sorte de bienveillance. "Monseigneur, dit alors le comte en s'inclinant respectueusement, permettez-moi de vous présenter la marquise de Fontenay, entre les mains de qui j'avais mis une partie de votre destin." L'homme mystérieux salua d'un bref signe de tête. Comme Marie restait muette et indécise, le comte vint à son secours en disant: "Madame, vous avez l'honneur de vous trouver devant le duc de Beaufort. Peut-être pourriez-vous à l'instant nous délivrer d'une incertitude et nous montrer le document que vous avez certainement en votre possession." A ces mots, Marie rougit. Emue, elle chercha fébrilement le papier qu'elle avait glissé dans sa manche avant de quitter l'hôtel de Rambouillet. Lorsqu'elle eut la mazarinade entre les mains, elle la tendit au duc qui était demeuré impassible. Il prit le document, y jeta un rapide regard, replia le papier et le glissa dans la poche de son pourpoint. Puis il se ravisa, et, appelant le laquais qui gardait la porte du cabinet, lui demanda d'apporter l'un des flambeaux du couloir. Le valet obéit prestement. Le duc, retirant la mazarinade de son habit, la présenta à la flamme qui dévora le papier compromettant. Durant cette opération, le duc avait arboré un sourire de contentement, et avait murmuré: "Il est des choses qu'il n'est pas bon de conserver. La mazarinade était de celles-là." Quand le laquais eut de nouveau disparu, l'attitude du duc envers Marie changea agréablement. Il fut soudain très galant, la priant de s'asseoir sur l'un des fauteuils qui occupaient une place de choix dans le cabinet, de chaque côté de la cheminée, et légérement tournés vers les fenêtres. Puis il congédia le comte, qui obtempéra servilement. Resté seul avec Marie, le duc de Beaufort prit place sur le second fauteuil et demanda aimablement à sa visiteuse ce qu'il pouvait faire pour elle. Marie était intriguée par ce changement d'attitude. Décidément, l'importance de cette mazarinade devait être bien grande pour que sa destruction mette le duc dans un tel état de contentement. Marie aurait pu penser que le geste qu'elle avait accompli pour le duc, ce que le comte avait appelé sa "mission", était inestimable et qu'elle serait en droit de demander à être chèrement payée. Mais c'était mal la connaître. Elle ne voulait pas d'une récompense en espèces sonnantes et trébuchantes. D'ailleurs, elle n'avait aucunement besoin de la moindre aide financière. Comme elle pensait à tout cela, elle n'avait pas encore répondu au duc et celui-ci, impatienté, reprit la parole: "Je suppose que, étant donné votre situation sociale, vous ne désirez pas d'argent... Mais je me suis laissé dire, par Monsieur de Montmorency, que votre vie actuelle vous faisait souffrir d'ennui. Cette monotonie ne sera plus jamais vôtre si vous acceptez la charge que je vous propose. Je sais que la reine Marie-Thérèse est mécontente des services actuels de sa dame d'atours. Je sais aussi que la reine est très pointilleuse sur bien des choses; mais trouver une dame d'atours qui soit convenable, ni trop sotte, ni trop attirée par l'appât du gain, n'est pas chose facile. C'est pourquoi je pourrais parler de vous à la reine qui, je pense, serait charmée de voir une nouvelle personne auprès d'elle. Cela la changerait de toutes les péronnelles qui papillonnent autour d'elle à longueur de journée. Que pensez-vous de ma proposition?" Pendant qu'il parlait, Marie était tombée sous le charme du duc qu'elle n'allait pas tarder à considérer comme son bienfaiteur. Elle avait répondu que son plus grand plaisir serait de servir Sa Majesté. A peine avait-elle accepté, que le duc s'était levé, invitant du regard Marie à faire de même. Puis il l'avait saluée, et lui avait promis d'agir en sorte que sa requête fût exaucée dans les plus brefs délais. Ayant ainsi parlé, il avait de nouveau salué Marie et il était retourné sans plus de cérémonie à sa fenêtre, le dos tourné à la porte. Marie avait fait une révérence au duc qui ne la regardait déjà plus, et elle avait quitté la pièce. Dans le couloir le laquais l'attendait. Il l'avait reconduite et elle s'était retrouvée seule, la joie au coeur. Ce n'est que trois jours plus tard qu'elle avait reçu un billet de l'intendance de la reine, la priant de bien vouloir accepter la charge de dame d'atours qu'on lui offrait. 56 1t lu J s it Ls 5Lu le me Etre dame d'atours était une charge enviée, et la plupart des courtisanes rêvaient d'accéder à ce poste. D'ordinaire, la charge consistait à présider à la toilette de la reine. Marie avait été profondément touchée par la faveur qu'on lui avait faite mais elle ne trouvait là rien de bien distrayant. La reine Marie-Thérèse était une personne d'un naturel froid, sans doute à cause de sa timidité. Elle avait le même âge que le roi son époux, et le même âge que Marie. Or, depuis que Marie était devenue sa dame d'atours, le comportement de la reine avait changé: d'abord très effacée, elle s'était peu à peu montrée plus gaie. Marie elle-même se plaisait davantage en sa compagnie. Elle avait un emploi du temps immuable: à dix heures chaque matin (ou à neuf heures les jours où la reine devait communier), Marie assistait au lever royal, en compagnie de la dame d'honneur qui s'occupait de l'entretien de la reine. Certains jours, les princesses de sang se trouvaient là, alors que les duchesses ne venaient qu'à l'heure du cercle. Marie aidait la reine à sa toilette, lui présentant sa robe de chambre, sa chemise ou ses jupes, exactement comme le faisait Francinette pour sa maîtresse. Tout cela se faisait généralement dans le plus grand remue-ménage, car de nombreuses personnes arrivaient alors: certaines dames venaient parler à Sa Majesté des aumônes de charité qui étaient à faire, quelques officiers et gentilshommes venaient lui dire leurs affaires de coeur, d'argent ou d'honneur dont ils remettaient généralement le sort entre ses mains. Marie écoutait avec intérêt, mais ne se permettait pas de donner son avis. Un jour pourtant, la reine, embarrassée par une affaire que venait de lui conter le vicomte de Hauteville, s'était tournée vers sa dame d'atours et lui avait demandé, d'une façon tout à fait inattendue, son avis personnel sur la question. Marie avait alors trouvé, avec sa vivacité d'esprit, une réponse qui avait immédiatement satisfait la reine et le vicomte. Dès lors, on lui demandait souvent conseil pour ce genre d'affaires auxquelles elle apportait toujours une solution rapide et logique. Petit à petit, Marie-Thérèse s'était mise à lui parler davantage. De temps en temps, elle lui demandait de rester auprès d'elle plus longtemps, et l'entretenait de choses et d'autres. Tant et si bien que Marie devint peu à peu sa dame de compagnie. Il s'agissait pour elle d'être auprès de la reine presque à tout moment, de vivre comme elle, partageant ses repas, ses audiences ou ses prières, l'accompagnant aux spectacles ou aux visites qu'elle daignait faire, la suivant lors des voyages qu'elle entreprenait. C'est ainsi que Marie occupa une place de choix, quoique discrète, à la Cour. Elle était hautement considérée par les nombreux courtisans que sa position de jeune et belle veuve ne laissaient pas indifférents. Elle était bien un peu jalousée par les autres dames de haut rang qui lui enviait sa réussite sociale, mais, somme toute, ces dames étaient trop attirées par le Roi pour se soucier d'elle. Marie se souvient que les années passèrent agréablement dans l' entourage de la reine. Après le lever, Marie-Thérèse faisait sa prière, déjeunait, puis se faisait habiller, tout en donnant audience. Ensuite, c'était l'heure â laquelle elle recevait la visite de ses enfants. Elle en eut six, dont un seulement survécut: Louis, que l'on appela plus tard le Grand Dauphin. Il lui rendait visite chaque jour, en compagnie de sa gouvernante. Il était né en 1661, et fut toujours un bel enfant, mais aussi timide et secret que sa mère. Marie le prit rapidement en affection, et elle eut quelque chagrin lorsque, à l'âge de raison, il fut confié aux soins de Jacques Bossuet, qui devint son précepteur, et au duc de Montausier, qui fut son gouverneur. A la même époque, en 1668, on apprit à la Cour que Jean de La Fontaine venait de dédier son recueil de fables à "Monseigneur le Dauphin" à qui il écrivait: "Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Esope." La Fontaine, qui signait "votre très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur" montrait à quel avenir glorieux ce tout jeune prince était alors destiné. Après la visite de ses enfants, Marie-Thérèse avait coutume d'assister à la messe, qui était dite soit directement dans l'antichambre des appartements royaux, soit dans une chapelle attenante. A cette époque la cour se déplaçait, suivant le bon plaisir du roi: on avait quitté le Louvre en 1666, pour laisser le champ libre aux ouvriers, qui devaient exécuter de nombreux travaux. On s'était alors installé aux Tuileries, puis Louis XIV avait voulu quitter Paris 57 pour Vincennes, célèbre prison d'état, où Le Vau avait fait construire des pavillons pour le roi et la reine. Les travaux du Louvre, trop lents, ayant été arrêtés en 1676, la cour était venue s'installer à Saint-Germain-en-Laye, où l'on séjournait encore aujourd'hui. Dans ce château, Louis XIV avait emmené naguère sa jeune maîtresse Louise de la Vallière. Il y avait également emmené, à partir de 1667, celle qui fut sa favorite pendant dix ans, la belle et frivole Madame de Iiontespan. La reine Marie-Thérèse se résignait en silence et acceptait sans murmure les infidélités du roi. Cependant, Marie savait qu'elle en souffrait. Elle avait compris que, lorsque la reine débitait de longues tirades en espagnol -cette langue natale qui lui revenait en mémoire lorsqu'elle était en colère- c'était signe d'une grande tension et d'une jalousie trop longtemps contenue. Au début de son séjour en France, Marie-Thérèse vivait souvent dans le voisinage de sa belle-mère Anne d'Autriche, qui lui parlait espagnol. Mais celle-ci étant morte en 1666, Marie-Thérèse avait pris l'habitude de parler espagnol avec Marie qui avait appris quelques mots d'espagnol: et rep (le roi), la rein (la reine), et camarero (le valet), et marques (le marquis), et tonde (le comte>, el duque (le duc). Elle savait aussi un hombre (un homme) et una muter (une femme), el perdre (le père) et la madre (la mère), et hermano (le frère) et la hermana (la soeur), La reine lui avait appris également quelques mots courants, qu'elle nommait en espagnol dans des moments d'étourderie: et libro (le livre>, el espejo (le miroir), la ,mess (la table), la ailla (la chaise), ou bien encore des mots qu'elle employait quand elle était de sortie: et caballo (le cheval), el teatro (le théâtre), la casa (la maison), la calIe (la rue), la puerta (la porte), la have (la clé>, et castillo (le château), la carroza (le carrosse), el arbol (l'arbre). Il y avait également quelques mots que Marie-Thérèse employait lors des repas: pan (pain), Nuevo (oeuf), un cuchillo (un couteau), cor (manger) ou beber (boire). La reine, très pieuse, l'encourageait souvent à réciter sa prière (oracion>• avec elle, ce qui était une grande marque d'honneur pour Marie, et elles allaient souvent ensemble à la chapelle (capilla) qui se trouvait auprès des appartements de la reine. Celle-ci portait constamment à son cou une belle croix (cruz) d'or, qu'elle regardait avec respect en priant Dieu (Dias), Elle avait d'ailleurs beaucoup d'estime pour les femmes pieuses, et elle pardonna à Louise de la Vallière d'avoir été la maîtresse du roi lorsqu'elle appris que celle-ci se retirait dans un couvent (convento). Marie-Thérèse montrait rarement sa joie (alegria) qui restait intérieure. Elle aimait jouer (jugar> mais seulement en petit cercle; c'est pourquoi elle n'aimait pas danser (ballai-) et prendre part aux grands bals de la cour. Elle aimait peu parler (hablar) et, pour marquer son assentiment ou son mécontentement, elle avait coutume de faire (hacer) des signes de la tête (cabeza) ou de la main (mana). Elle n'avait jamais (nunca) pu s'habituer au climat français, et elle regrettait toujours (siempre) le temps chaud (cahiente> et le soleil (sol) de son Espagne natale. Le temps froid (trio) qui régnait souvent la nuit (noche), notamment à Saint-Germain où le château manquait de confort, la rendait mélancolique et taciturne. Le jour (dia), quand Marie-Thérèse sortait, il y avait constamment près d'elle un garde (guai-dia) que Marie trouvait beau (hermovso) et qui était prêt à sortir son épée (espada) pour protéger sa maîtresse en toutes occasions. Cependant, Marie-Thérèse était gênée par la présence de cet homme, car son tempérament plein de douceur lui faisait craindre toute violence. Elle priait avec ferveur pour la paix (paz) et réprouvait en silence la guerre (guerra), occupation favorite de Louis XIV qui, entraîné par une politique d'orgueil, voulait imposer à l'extérieur la prédominance française. En 1665, Marie-Thérèse fut très peinée par la mort de son père, Philippe IV d'Espagne. Or, cette mort fut l'occasion pour Louis XIV de déclarer sa première guerre de conquête, qui fut connue sous le nom de Guerre de Dévolution. La dot de Marie-Thérèse, conclue lors du Traité des Pyrénées, n'ayant pas été versée, le but de cette guerre était de faire valoir les droits français sur les Pays-Bas espagnols. Louis XIV avait pour cela prétexter un "droit de dévolution", reconnu dans certaines provinces belges, favorisant les enfants d'un premier lit. En 1666, eut lieu la déclaration de guerre à l'Angleterre qui refusait les prétentions de Louis XIV. Un an plus tard ce fut la déclaration de guerre à l'Espagne, suivie de victoires françaises. La même année, la paix fut faite 58 avec l'Angleterre, et Turenne envahit la Flandre. En 1668, naquit la Triple-Alliance, qui réunissait Angleterre, Hollande et Suède contre la France. Devant de tels adversaires, Louis XIV dut parlementer, et, le 2 mai fut signé le Traité d' Aix-la-Chapelle. Louis XIV, sous la pression de la Triple-Alliance, faisait la paix avec l'Espagne. Ce traité, qui mettait fin à la Guerre de Dévolution, permettait à la France de conserver la Flandre, mais l'obligeait à abandonner la Franche-Comté, que les armées françaises commandées par Condé venaient de conquérir. Louis XIV ne fut jamais consolé de la perte de cette province. En avril 1672, débuta la Guerre de Hollande: les Hollandais, rapidement vaincus par les Français, sollicitèrent la paix. Mais, devant les exigences de Louis XIV, ils rétablirent le stathoudérat en Hollande, en faveur de Guillaume III d'Orange. Celui-ci sauva sa patrie de l'invasion française en ouvrant les écluses afin d'inonder le pays et ménagea d'habiles alliances. Cependant, malgré les contre-attaques étrangères, l'hég€'monie française gagnait du terrain: Turenne fut victorieux en Alsace, Condé à Senef, et Du Quesne à Stromboli, Agosta et Palerme. Aujourd'hui, en cette fin d'année 1678, Louis XIV a triomphé. Après six années de guerre, on pense à signer la paix. Le 10 Aoflt, le Traité de Nimègue a été signé entre la France et la Hollande: Louis XIV a rendu Maëstricht et les villages environnants, et il a donné satisfaction à Guillaume III pour sa principauté d'Orange qu'il avait confisquée. Ce traité politique a été accompagné, dit-on, d'un traité de commerce. Puis, la nouvelle s'est répandue à la cour que, le 17 Septembre, la France et l'Espagne ont signé la deuxième partie de ce traité: Louis XIV y rend à Charles II Charleroi, Apt, Binch, Gand, Courtrai et quelques autres villes, mais il obtient en échange la Franche-Comté qu'il convoitait depuis longtemps. La France est animée par de grands hommes de guerre: Turenne, maréchal de France mort en combattant durant la Guerre de Hollande; Louvois, qui réorganisa l'armée après 1675; et Vauban, nommé commissaire des fortifications en 1678. En quelques années, Louis XIV est devenu l'arbitre de l'Europe, et le bruit court que le Roi-Soleil est maintenant partout appelé Louis le Grand. Pensive, Marie est tracassée par des rumeurs qui parviennent à la Cour, et qui ne peuvent laisser indifférente son âme sensible. Elle qui n'a pas eu à se plaindre de la dureté de la vie ne peut supporter la misère et la souffrance d'autrui. Or, elle sait à quel prix se font ces guerres. Hier, dans un des salons de Saint-Germain, un jeune officier ému et boulversé par les horreurs qu'il avaient vues, a raconté devant ces dames de la cour épouvantées comment furent massacrés les francs-comtois qui luttaient désespérément contre les soldats français afin de préserver l'indépendance qu'ils avaient jusque là. Même si l'on parle peu de cela à la Cour, Marie a conscience de cette espèce d'ivresse qui secoue la France en lui donnant des idées de grandeurs au détriment des faibles. Ainsi s'explique-t-elle les révoltes paysannes qui ont sévi, ces dernières années, dans les provinces. Récemment elle a rencontré Madame de Montauban, une des dames patronnesses qui viennent régulièrement aux audiences matinales. Celle-ci, accompagnant un prêtre dans les rues de Paris a découvert que des centaines de gens meurent de faim. Ce prêtre lui a raconté que la vie dans les campagnes n'est guère plus réjouissante: les paysans, accablés d'impots, subissent le froid et les mauvaises récoltes. Madame de Montauban vantait l'action bénéfique de Vincent de Paul: il s'était occupé des malades à Paris, et avait commencé des missions d'apostolat et de charité auprès des pauvres dans les campagnes. Il avait fondé la Charité de l'hôtel-Dieu et l'oeuvre des Enfants trouvés. Il était mort en 1660 et, presque vingt ans après, on se souvenait de son extrême bonté. Madame de Montauban se réclamait de l'esprit de cet homme aux qualités sans pareilles, et avait demandé à la reine de bien vouloir faire oeuvre de charité envers tous les deshérités du royaume que l'on pouvait encore sauver de la misère. Marie pense encore à cela alors qu'elle se rend à l'audience matinale. Ce matin on parle d'un inconnu incarcéré au château de l'île Marguerite. On ne sait rien de lui si ce n'est qu'il porte en permanence un masque de velours noir, attaché sur le visage et maintenu derrière la tête par un ressort. Il est gardé avec tant de précautions que chacun s'interroge sur son identité. On 59 )orle aussi beaucoup d'expéditions coloniales. Depuis quelques années déjà les sossessions françaises ne cessent d'augmenter à travers le monde, Marie sait aeu de choses du mouvement de colonisation qui commence à se répandre dans les ays lointains, car la Cour a d'autres distractions que de s'occuper i' Indigènes ou d'indiens chevelus, qui passent un peu pour des bêtes. Un iairal, qui revient d'une expédition dans les Amériques, raconte que, dès L641, une quarantaine de colons, venus des campagnes du Maine, de l'Anjou et le la Normandie, ont quitté La Rochelle pour une longue expédition vers L'Ouest. Deux ans plus tard, ils ont débarqué à Ville-Marie, sise à l'embouchure d'un immense fleuve, et ils ont nommé cette ville Montréal. Des Français se sont également établis sur l'île canadienne de Terre Neuve en 1662, en chassant les Anglais qui s'y étaient déjà installés. Le narrateur ajoute que, au Canada, il y a plus de deux mille trois cent colons qui se battent contre les indiens Iroquois. L'amiral fait alors passer dans l'auditoire une gravure représentant un homme à moitié nu, le torse et le visage peints de couleurs diverses, portant sur le bassin une sorte de pagne fait de feuilles ou de branches d'arbres, et arborant sur la tête une coiffure pour le moins étrange: les cheveux de l'indigène sont complétement dégagés sur les côtés, formant une crête sur la sommet du crâne couronné par deux ou trois plumes de couleurs. Une telle gravure amuse beaucoup les courtisans, tout en les effrayant un peu, il faut bien l'avouer. On parle également des colonies africaines, surtout à cause du pétun, qui assure la prospérité des colons des îles Caraïbes, et qui est devenu un tabac fort apprécié à la Cour. En fait, Louis XIV et Colbert ont une politique orientée surtout vers les Indes, vaste péninsule encore partiellement inexplorée. Colbert a créé la Compagnie des Indes Orientales. Quelques comptoirs furent alors fondés, parmi lesquels Pondichéry en 1674. Cependant, malgré le génie de l'organisation de Colbert, la majeure partie des Français se désintéresse de la colonisation, car tout cela concerne des pays trop lointains. A la Cour on est davantage occupé à commenter les aventures galantes du roi et à imiter son exemple. Marie se souvient que, en 1664, le roi fit donner à Versailles un divertissement grandiose en l'honneur des deux reines, Cela dura presque une semaine, du 7 au 13 mai, et tout y fut conçu avec un faste extraordinaire. Les divertissements, répartis sur plusieurs journées, eurent xur titre commun: "Les Plaisirs de l'Ile Enchantée", Le tout fut joué dans le parc de Versailles, au coeur même des bosquets et des jardins. Le thème général de la fête évoquait le palais de la magicienne Alcine, qui retenait prisonniers Roger et ses compagnons. Le roi jouait le rôle de Roger. Il était superbement vêtu, d'une cuirasse de mailles d'or, d'où pendaient des guirlandes de diamants; il portait un casque empanaché de plumes couleur de feu. Marie, comme de nombreuses courtisanes, avait été emerveillée par l'éclat et le maintien du roi. La journée avait continué par une représentation du "Ballet des Saisons", monté par la troupe de Molière. Les quatre saisons étaient jouées par des artistes dont les noms commençaient à devenir célèbres: Mademoiselle Du Parc, montant à cheval, représentait le printemps; Monsieur Du Parc l'été, monté sur un éléphant; Monsieur de la Thorillère représentait l'automne, monté sur un chameau, et Monsieur Béjart terminait la marche, monté sur un ours. Tout cela, joué dans de somptueux costumes colorés, avait une allure exotique. Cette première journée s'était achevée par un festin servi à l'extérieur. Les tables étaient éclairées par des flambeaux, portés par des serviteurs masqués, ce qui donnait à la fête un aspect féérique et irréel. On avait mangé au son des violons et des flûtes, dans une gaité un peu folle à laquelle avaient pleinement participés les six cent invités de Sa Majesté. Marie a quelque peu oublié les journées suivantes qui furent elles aussi un déferlement de joie et d'amusement variés. L'événement principal en fut sans aucun doute la représentation de la nouvelle pièce de Molière: "Tartuffe ou l'Hypocrite". C'était une sorte de farce, où le personnage principal, nommé Tartuffe, était représenté comme un faux dévot, dont la sensualité faisait scandale. Le roi sembla apprécier cette pièce, bien qu'il n'en dît mot. Cependant elle fut ensuite si controversée que Louis XIV se vit contraint de l'interdire. Et ce n'est que cinq ans après sa création, que "Tartuffe" fut enfin autorisée et remporta un succès mérité. .1 Aux côtés de la reine Marie a assisté à de nombreuses représentations des pièces de Molière. Celui-ci, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, né en 1622, était le fils aîné d'un tapissier qui aurait aimé que son fils prît le même métier que lui. Mais Molière en décida autrement: en 1643, il fonda l'Illustre Théâtre. Il s'était marié avec la jeune comédienne Armande Béjart. Il avait toujours bénéficié du soutien particulier de Louis XIV, parrain de l'aîné de ses enfants. Cela faisait un an que les acteurs de la troupe de Molière avaient reçu l'autorisation de jouer en alternance avec les Italiens au Petit-Bourbon quand ils connurent leur premier grand succès, en 1659, avec "Les Précieuses ridicules". Molière avait de l'esprit et faisait rire en dénonçant les travers et les vices des autres. Ainsi, dans "L'Ecole des Femmes", il fait le portrait d'un bourgeois nommé Arnolphe, qui veut épouser sa jeune pupille Agnès. Marie a beaucoup ri, à l'époque, de ce personnage d'Arnolphe, qui voulait se marier coûte que coûte, mais elle a surtout aimé la fin de la pièce lorsque le père d'Agnès, qui revient d'Amérique, unit sa fille à Horace, le jeune homme qu'elle aime. Arnolphe, vieux barbon, reste alors seul, maudissant l'inconstance des femmes. Cette pièce fait triompher l'amour, chose rare dans la réalité, car, le plus souvent, les jeunes filles sont mariées par leurs parents à des hommes qu'elles n'ont jamais vus avant les noces. Le duc de La Rochefoucauld n'écrit-il pas dans ses célèbres maximes: "Il y a de bons mariages, mais il n'y en a point de délicieux."? L'époux de Marie, Monsieur de Fontenay, n'était pas un homme outrecuidant mais doux, calme et raffiné. Il n'était pas bourru à l'humeur chagrine comme le personnage principal du "Misanthrope" qui, chez Molière, s'appelle Alceste. Il n'était pas maniéré comme Trissotin, le personnage trois fois sot dont les écrits tournent la tête des Femmes Savantes. Il ne ressemblait pas non plus â Don Juan, le personnage de séducteur pour lequel Molière s'inspira d'une légende espagnole; Don Juan, suivi de son fidèle valet Sganarelle qu'il prend pour confident, possède tant de cynisme dans ses manières qu'à la fin, il en devient odieux. Il affiche un mépris des lois divines et humaines qui est de bon ton chez les adeptes du libertinage. Quant à Harpagon, personnage principal de "L'Avare", il est si dévoré par son vice qu'il en devient inhumain et grotesque. Tel n'est pas le cas de Léandre dans "Les Fourberies de Scapin", pièce dont l'intrigue se déroule à Naples. Celui-ci a la chance d'être le maître de Scapin, valet débrouillard et efficace. Marie a beaucoup ri des ruses ingénieuses que Scapin trouve pour sauver et épargner son maître. L'année précédente, elle avait d'ailleurs aussi apprécié Le "Bourgeois Gentilhomme", turquerie commandée par Louis XIV à Molière après la venue en France d'un envoyé du sultan qui avait eu le mauvais goût de ne pas paraître ébloui par les splendeurs de la Cour qui l'accueillait. Dans cette pièce, le bourgeois gentilhomme nommé Monsieur Jourdain, marchand enrichi, cherche avant tout à devenir un homme de qualité. Molière est mort il y a cinq ans d'une manière bien tragique, alors qu'il venait d'achever de donner la quatrième représentation au Palais-Royal de sa dernière pièce, intitulée Le Malade Imaginaire. En ce mois de février 1673, les comédiens étant excommuniés, on refusa à Molière une sépulture chrétienne. Il fallut l'intervention du roi lui-même pour obtenir des funérailles nocturnes. Molière, dans ses pièces, faisait rire de toutes choses: dans "Le Médecin malgre lui", comédie inspirée d'un fabliau du Moyen-Age, il avait pris pour cible les médecins; dans "Les Femmes Savantes", il avait fait la satire du pédantisme. Durant sa vie, il avait eu bien des ennemis: les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne et du Marais, qu'il avait en quelque sorte détrônés, les précieuses, les mondains, les bigots, les médecins, les jaloux et bien d'autres. Le théâtre de Molière a aidé Marie à porter un nouveau regard sur la société dont elle fait partie. Elle est contente de pouvoir, de temps en temps, rester à l'écart du monde, et passer quelques heures ou quelques jours loin des fêtes, des réceptions et des spectacles. Justement, sa cousine Isabelle, fille de sa marraine Madame de Broussac, l'a invitée à venir se reposer dans son château. Isabelle est mariée depuis plus de quinze ans avec Henry-François de Lancé, baron de Varay, qui fut d'abord premier gentilhomme du duc de Nemours, puis lieutenant général de ses gardes et enfin, depuis peu, gouverneur d'Auxerre. Leur propriété, le château de Varay fut bâti au xvème siècle. Il s'élève au rii fond d'une vallée dominée de collines boisées. C'est un bâtiment imposant, flanqué de deux tours qui dominent des jardins, des parterres et des bassins, harmonieusement disposés tout alentour. Une des ailes du château est entièrement réservée aux visiteurs. Marie, qui y a déjà séjourné, sait que sa cousine lui réserve une chambre spacieuse de couleur rose, décorée avec goût par une série de portraits de dames en costume d'apparat. Les fenêtres donnent sur l'arrière du château, et s'ouvrent sur une terrasse. De là, la vue s'étend sur le coteau avoisinant, ombragé de marronniers aux dimensions imposantes. Marie aime séjourner là-bas, car elle peut, en toute tranquillité, faire d'agréables promenades dans la solitude des grands arbres et de leurs feuillages fournis. Après l'audience, de retour à son appartement Marie décide d'écrire à sa cousine pour la remercier de son invitation: elle se rendra à Varay à la fin du mois. Le voyage dure de deux à trois jours, selon le temps, la fatigue des chevaux et l'état des voitures. Mais les inconvénients du voyage importent peu pour Marie qui retrouve toujours avec joie sa cousine. Marie soupire en pensant à l'hôtel de Fontenay qu'elle a dû quitter depuis qu'elle est au service de la reine. Un gentilhomme de ses amis, s'y connaissant en affaires, lui a conseillé de le louer, pour mille livres par an. Mais elle hésite encore. Elle y retourne rarement, et il lui semble alors que l'hôtel est une grande maison froide et sans âme, car peu de domestiques sont restés là-bas. Cependant, Marie se dit que peut-être, un jour, elle n'aura plus cette charge auprès de la reine. Dans ce cas, elle ne voudrait pas acheter une gentilhommière en province, comme le font parfois les nobles parvenus à la tète d'une petite fortune. Elle préférerait de beaucoup vivre de nouveau à l'hôtel de Fontenay, et redonner vie à cette vieille bâtisse. Pour l'heure, Marie apprécie la vie mondaine dominée par certaines personnes de qualité comme le fut la jeune Henriette d'Angleterre, première épouse de Philippe, frère du roi. Coquette, pétulante, celle que l'on appelait Madame régnait sur la Cour avec toute l'insolence de sa jeunesse. Elle avait beaucoup d'esprit et rayonnait de vie. Pourquoi faut-il qu'elle soit morte si jeune, empoisonnée dit-on? Marie l'avait beaucoup regrettée. Parmi les grands noms qui brillent à la Cour il y a Madame de Sévigné, marquise connue pour ses mots d'esprit et sa correspondance régulière avec sa fille Madame de Grignan. Marie se souvient du grand savant Blaise Pascal qui, avant de mourir, se retira à Port-Royal des Champs et dont "Les Pensees", oeuvre posthume, affirmèrent la notoriété, Il y a aussi des hommes comme Charles Perrault, secrétaire de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres depuis 1663; et puis Racine et Boileau qui viennent d'être nommés historiographes du roi: ils ont pour tâche de décrire les faits militaires et politiques du roi-soleil et de ses officiers, charge dont ils s'acquittent tous deux avec zèle. Soudain, au milieu de ces réflexions, Marie sursaute. "Mon Dieu! J'allais oublier!" et elle se précipite vers la porte du salon dans lequel elle se tenait. Elle traverse l'antichambre, prenant en passant devant la commode un châle de cachemire dont elle se drape les épaules. Elle n'a pas besoin de s'habiller davantage car elle ne va pas sortir du château de Saint-Germain. Quittant son appartement, elle se dirige, à travers un large couloir, vers l'escalier central dont elle descend rapidement les degrés. Ayant tourné à gauche sur le palier, elle avance, d'un pas précipité, vers l'appartement de Madame de Montespan. Celle-ci bénéficie d'un fastueux appartement s'ouvrant sur la cour par deux grandes terrasses. L'une d'elles est aménagée en volière et des centaines d'oiseaux y pépient en coeur, faisant un vacarme assourdissant, L'autre terrasse est destinée à devenir un jardin, mais rien n'a encore été fait dans ce sens. En bas des terrasses ont été construites des fontaines. Depuis quelques jours loge dans cet appartement le jeune duc du Maine, âgé de huit ans, premier fils naturel de Louis XIV et de Madame de Montespan. Il est venu accompagné par sa nourrice, la vieille Ninon, qui l'a élevé jusqu'à l'âge de cinq ans. L'avenir du jeune duc est incertain car sa dernière gouvernante a rendu l'âme quelques jours auparavant. Il avait bien , depuis un an déjà, un précepteur, mais Madame de Montespan tient à ce que son fils ait une gouvernante qui s'occupe de lui quelques années encore. Or, cette gouvernante n'a pas encore été choisie et le duc reste chez sa mère jusqu'à nouvel ordre. Cet après-midi, il n'a pas accompagné la Cour qui se déplaçait 62 jusqu'à Sceaux, sur l'invitation de Colbert. Marie s'est proposée pour rester auprès du jeune duc. C'est pour cette raison qu'elle vient précipitamment le rejoindre dans les appartements de sa mère. Essoufflée, elle gratte à la porte puis l'ouvre doucement, n'ayant perçu aucune réponse. Elle pénètre dans l'antichambre, et se dirige rapidement vers la chambre du duc. Elle l'aperçoit qui attend sagement, assis dans un fauteuil si grand pour lui que ses pieds ne touchent pas terre. Il a les yeux bien ouverts, et sans doute est-il en train de rêver car c'est un enfant dont on vante l'imagination. Marie aperçoit également, assise sur un tabouret près de la fenêtre, la vieille Ninon, occupée à un ouvrage de broderie. Ninon se lève et dit en saluant: "Si Madame le permet je reviendrai tout à l'heure." Ayant dit, Ninon fait une révérence à son jeune maître, puis s'éclipse. Marie se retrouve seule avec le jeune duc. C'est un bel enfant aux boucles blondes, et aux grands yeux bruns: Marie y reconnaît avec attendrissement la couleur des yeux de Louis XIV. Mais les yeux de l'enfant ne réflètent que de la candeur et de la fraîcheur, alors que ceux de son père trahissent son âme passionnée. Marie sourit au duc, et lui propose de se rendre tout de suite chez elle, oÜ elle a préparé une surprise. Amusé, le duc saute de son fauteuil et quitte sa chambre pour suivre Marie. Chemin faisant, ils s'attardent devant une série de portraits accrochés au mur du couloir, et auxquels le duc s'amuse à donner des noms imaginaires. Accommodante, Marie n'ose pas le contredire. Ils arrivent enfin dans son appartement. Marie, dès l'entrée s'écrie: "Nous voilà, Francinette. Apporte-nous ce que tu sais dans le boudoir". Elle fait signe au duc de la précéder Jusqu'à la dernière pièce de l'appartement, celle qui donne sur l'arrière du château et offre aux regards un doux paysage verdoyant. L'un des angles de la pièce est occupé par un lit en alcôve dont les rideaux ont été soigneusement tirés. Le reste de la pièce est meublé par plusieurs fauteuils placés face à la cheminée, comme pour inviter à la causerie. Marie fait signe au duc de prendre place sur l'un d'eux. Francinette arrive, les bras chargés d'un immense plateau qui semble ployer sous le poids de fruits, de sucreries et de boissons, "Voici, cher enfant, quelques petites friandises préparées tout spécialement en votre honneur par ma brave Francinette." La servante rougit un peu en posant son plateau sur le guéridon placé tout près du duc. Puis, ayant salué, elle sort rapidement. Le jeune duc a tapé des mains quand il a vu la surprise que lui réservait Marie. Ses yeux brillent de contentement. C'est un enfant charmant qui a besoin de ne pas être considéré tout le temps comme une grande personne, selon l'éducation qui lui a été donnée. Prenant dans sa main une poire jaune et charnue, il l'entame à pleines dents. En faisant apporter ces friandises au jeune garçon, Marie manque à l'usage qui impose des repas à heure fixe chaque jour. Elle possède un esprit suffisamment frondeur et espiègle pour sortir des chemins battus. Mais elle n'en use pas trop, car elle sait qu'il est grave, à la Cour, de ne pas suivre les usages! On risque, pour cela, d'être disgrâcié et de se voir contraint de retourner dans sa province pour y végéter loin de la société. Un léger bruit venu de la pièce voisine distrait Marie de ces pensées et lui fait tourner la tête vers la porte: un laquais lui annonce la visite du baron de Riverolles qui est affecté à l'armée navale, commandée par l'amiral comte de Tourville. Marie sourit, car c'est la seconde partie de la surprise qu'elle réservait au duc. Infatigable voyageur, de Riverolles a navigué sur toutes les mers connues; intarrissable conteur, il aime faire revivre par ses récits les aventures des marins, ou les moeurs des indigènes qu'il a rencontrés. Il entre dans la pièce, accueilli par Marie dont il serre les mains avec empressement. Ce sont là les retrouvailles de deux amis qui se connaissent depuis longtemps et qui s'apprécient mutuellement. Le baron n'est pas vraiment bel homme: de petite taille, il fut victime lors d'une de ses campagnes d'un accident qui l'a rendu boiteux. De plus, étant resté longtemps absent de France, il est ignorant des usages de la Cour, et apporte peu de soin à son habillement. Il est aujourd'hui affublé d'une sorte de redingote défraîchie recouverte d'une cape dont les longs pans le

gênent dans ses mouvements. Il porte des pantalons de toile brune, enfoncés dans des bottes à larges revers. Avec son chapeau à plumes au panache exubérant, il semble tout juste débarquer d'une expédition dans des terres lointaines, ou d'une course d'une semaine en chaise de poste. La confusion qui se lit sur ses traits montre bien qu'il ne se plaît guère dans un salon. Cependant, le laquais l'ayant débarrassé de sa gigantesque cape et de son chapeau, notre baron paraît soudain plus à son aise et, sur l'invitation de Marie, entre dans la salle où se trouve le jeune duc. Celui-ci regarde avec étonnement et inquiétude l'étrange visiteur qui vient troubler son goûter. Marie fait rapidement les présentations et le duc retrouve le sourire: il comprend qu'on va lui raconter des histoires, ce qui est un de ses passe-temps favoris. De Riverolles, par politesse, demande à Marie des nouvelles de la Cour. Mais celle-ci, devant l'impatience de l'enfant, prend la parole: "Cher ami, nous avons là un jeune garçon qui meurt d'envie d'entendre les récits de vos aventures. N'auriez-vous pas pour nous quelqu'histoire de corsaires ou de pirates, propre à faire frémir et à émerveiller ces jeunes oreilles?" L'homme sourit et, sans se faire prier davantage, commence à parler, d'une voix rauque, comme si elle venait elle-même d'au-delà des mers. Il parle avec lenteur, choisissant ses mots afin de donner à son récit le pouvoir de frapper l'imagination de ceux qui l'écoutent. "Il y a quelques années, je devais me rendre, pour une question de commerce, vers les Antilles françaises, et plus particulièrement à Saint-Domingue, située au Nord-Ouest des Petites Antilles. Or, il régnait à Saint-Domingue une agitation exceptionnelle. Nous avions croisé en allant là-bas plusieurs bateaux de corsaires, auxquels le gouvernement anglais a recours pour affaiblir la puissance coloniale espagnole dans cette partie du monde. Les capitaines sont munis d'une "lettre de course", d'où leur nom de corsaires. Ils avaient depuis peu de redoutables adversaires appelés boucaniers. C'étaient des pirates, hommes blancs d'origines diverses, qui avaient colonisé l'île de Haïti bien des années auparavant. Ils n'étaient au début que de simples chasseurs et des bergers. Mais les Espagnols vinrent et pillèrent tant et tant Haïti que les boucaniers ne trouvèrent plus assez de nourriture. Ils durent aller chercher leurs moyens de subsistance ailleurs: c'est ainsi qu'ils devinrent des pirates, c'est-à-dire de vulgaires bandits des mers. Ils étaient très rusés, et ils ont vite terrorisés toutes les peuplades alentour, ainsi que les bateaux qui croisaient au large des Antilles. Vous comprenez maintenant pourquoi les habitants de Saint-Domingue en avaient peur. J'ai moi-même échappé par miracle à une de leurs attaques. Ce sont des hommes effrayants. Ils portent une grossière chemise de toile, d'un blanc jauni et sale. Leurs pantalons sont de cuir, ou de tissu épais et rude. Ils ont la taille enserrée dans une écharpe rouge, et c'est là qu'ils mettent leurs pistolets et leurs sabres d'abordage. Leurs têtes sont couvertes de bouts d'étoffe dont ils se servent comme d'un turban. Les anneaux qu'ils portent aux oreilles, et surtout les tatouages qu'ils ont sur les bras et sur la poitrine, leur donnent un air encore plus sauvage et féroce. Ces boucaniers aux noms étranges, comme Rock le Brésilien, ou Barthélémy le Portugais sont très bien organisés, ayant acquis à la longue une technique d'abordage efficace. Durant la traversée, tous scrutent l'horizon, car le premier qui aperçoit un navire a droit à une prime de quatre cent piastres. Alors, quand la voile ennemie est en vue, les boucaniers se préparent à l'attaque. Ceux qui ont des mousquets se placent en proue, et les autres se couchent sur le pont pour ne pas servir de cible. Ils ont le sabre d'abordage entre les dents, comme de vrais sauvages. Le timonier lance alors le navire à toute vitesse, dans le sillage de sa proie. Quand ils sont à proximité de l'ennemi, les boucaniers lancent leurs grappins sur le bateau et, au cri de "A l'abordage!", ils se précipitent sur le pont. Ce sont alors de cruels combats, qui peuvent durer des heures, jusqu'à ce que leurs malheureux adversaires soient tous massacrés. L' attaque qu'ils avaient lancée contre nous menaçait de mal finir quand surgit à l'horizon un navire de la flotte royale qui força nos assaillants à prendre la fuite. De ces combats acharnés et sanglants, je ne ferai pas le récit devant un

si jeune garçon; -là, le baron se tourne vers Marie, et recueille son regard approbateur- mais je peux vous fournir quelques détails complémentaires, que je tiens d'un vieux corsaire. Les boucaniers obéissent à des règles écrites, qui constituent une sorte de charte maintenant entre eux une discipline de fer. Lorsque le combat a cessé et qu'ils sont devenus maîtres du navire ennemi, ils se répartissent équitablement le butin. Mais la part de chacun est augmentée en cas de blessures, par des primes qui peuvent aller de cent à six cent piastres, selon qu'ils ont perdu un oeil ou les deux, ou bien les jambes, ou simplement un doigt... Ils ont établi leur repaire dans l'île de la Tortue, située au nord d'Haïti; c'est une île qui est appelée ainsi parce qu'elle peut être comparée à une immense carapace. Elle ne possède qu'une seule voie d'accès, et elle est protégée par d'immenses falaises qui la rendent inaccessible, ce qui explique que les boucaniers demeurent, et demeureront peut-être longtemps encore, parfaitement invaincus..." Le jeune duc, qui a écouté tout du long en pâlissant quelquefois de frayeur, s'empresse de s'écrier: "Oh! non!, ne cessez pas! encore! encore!" de sa jeune voix où tremble un accent d'ingénue sincérité. Marie laisserait volontiers le baron de Riverolles reprendre un autre récit, mais l'heure a tourné, et, â certains mouvements d'agitation qui parviennent de l'extérieur, elle comprend que la Cour est rentrée maintenant. Il est temps de raccompagner le duc du Maine dans les appartements de sa mère. l/lor~ CSN NOUVELLEu~ LOU ISI/P Nouv<I,4Q1 E" D d', Î<rr<Nevv< \. uR~b e P Montréalqu elor .~~ 5~ b<rre P J E P~ PNntces Im ~aaa%f~ V'I~ ~ y4~e 9 `al // c=~*7Y1 ,~/ u J LALQLQ,GLpGG ~~10 P~~P Ô~Le f iris.,' . •I+ `, • 3~ ~ ~~1 ~l#I ~! t:: lQ~~ 2< ea,~on 1r--~—~ V< Joseph (./ ) 65 REBVS SVR LES MISERES DE LA FRANCE. QVI #VEVT ® DRE A VIF %f I r tj VN Â MERCY. VNE VN , EMB ROVILLÉ 0V X ORE•A,TOVTE GOMME = PARGE

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Troisième époque[modifier | modifier le wikicode]

En cette fin d'année 1699, il arrive à Marie de se sentir lasse. Beaucoup des personnes qu'elle connaissait ont quitté ce monde. En 1683 moururent deux pereoniniagas illustres qui laisse rerit, chacun à s m. nier e un grand vide autour d'eux: ce fut Colbert, qui, âgé de soixante-quatre ans, s'était en quelque sorte tué au travail; il avait été, sa vie durant, le bon génie de Louis XIV. C'était un travailleur acharné, à qui il arrivait de passer parfois seize heures d'affilée dans son bureau. Sa mort fut suivie de sentiments partagés sur son sujet car, si on lui était redevable du bon rétablissement des finances de la France, il l'avait fait à l'aide de divers expédients qui n'avaient pas été du goût de tout le monde. Il avait notamment mis bon ordre dans le train de dépenses de la maison royale, n'en ayant confié l'administration qu'à des personnes qui lui étaient entièrement dévouées.

Et puis, la même année, la reine Marie-Thérèse avait rendu l'âme: elle était morte prématurément, à quarante-cinq ans, le 30 juillet. Marie se souvient bien de cette date, car ce fut l'un des jours les plus tristes qu'il lui fut donné de vivre. Cette reine qui avait su s'effacer devant la majestueuse grandeur de son royal époux et qui avait tout supporté de lui, était morte des suites d'un abcès bénin, maladroitement soigné par des médecins qui n'acceptaient comme seuls remèdes que les purges et les saignées. Le roi, ce jour-là, avait été sincèrement désemparé; il avait prononcé ces mots, juste après avoir appris la nouvelle de la mort de sa femme; "C'est le premier chagrin qu'elle m'ait causé".

Ainsi, valait-il mieux être ambitieuse et intrigante plutôt que douce et aimante pour que le roi daigne s'intéresser à votre personne. Marie avait compris dès les premiers jours qu'elle avait passés à la Cour que seule l'ambition comptait et que, dans ce monde clos et soumis à des règles strictes, il fallait savoir profiter de toutes les situations. Après la mort de Marie-Thérèse, elle avait accepté une charge que, cinq ans auparavant, elle avait refusé par délicatesse pour la reine. Elle était devenue gouvernante des enfants naturels du roi et de Madame de Montespan. Une telle charge était un emploi qui, de par sa nature même, semblait bafouer les bonnes moeurs, mais il fallait se rendre à l'évidence: les liaisons amoureuses du roi n'avaient jamais été un secret pour personne. Madame de Montespan était restée sa favorite durant une dizaine d'années; elle était maintenant supplantée dans le coeur royal par Françoise d'Aubigné, devenue Marquise de Maintenon en 1673. Celle-ci était depuis de nombreuses années la gouvernante de la première fille naturelle de Louis XIV et Madame de Montespan, Mademoiselle de Nantes. Puis sa charge s'était accrue au fur et à mesure que les naissances se succédaient. L'enfant dont Madame de Maintenon s'occupait le plus, et qui devint vite son préféré, fut Louis-Auguste, duc du Maine, ce même jeune garçon dont Marie eut la garde un jour de l'année 1678. Madame de Maintenon appelait son protégé "mon cher enfant" ou "mon petit prince", et elle le considérait comme son fils. A dix ans, il avait eu pour gouverneur Monsieur de Montchevreuil, nommé par le roi sur les conseils de Madame de Maintenon. De cette façon, celle-ci continuait à exercer sa tutelle sur le jeune duc qui lui donnait toute satisfaction. Il passait de longues heures à ses côtés, et elle causait avec lui, essayant de lui inculquer le culte du roi son père. Marie, quant à elle, était gouvernante de la jeune duchesse de Chartres, née en 1677 et du petit comte de Toulouse, son cadet d'un an. C'était de beaux enfants aux boucles blondes, et aux grands yeux interrogatifs. Marie, qui ne savait pas grand chose de la charge de gouvernante, était allée voir Madame de Maintenon, qui aimait parler de l'art d'éduquer les enfants. Elle avait passé sa vie à s'occuper des enfants des autres et, eri 1886, elle avait fondé une maison d'éducation du nom de Saint-Gyr. Madame de Maintenon confia à Marie que l'éducation exigeait une longue patience, et qu'il convenait d'observer scrupuleusement son élève, pour suivre son humeur et ses capacités naturelles.

La marquise, plus tard, avait approuvé ce que faisait Fenelon: ce prélat avait professé des idées pédagogiques nouvelles par la tolérance qu'elles préconisaient. Lorsqu'il était devenu le précepteur du duc de Bourgogne, fils aîné du Grand Dauphin, il avait composé pour lui des Fables en prose sur des sujets édifiants. I1 avait aussi écrit "Les Aventures de Télémaque", récit qui retrace l'histoire du fils d'Ulysse, parti pour retrouver son père au cours d'un périlleux voyage. Fénelon voulait, par ce livre, non seulement initier son élève aux textes de l'antiquité, mais aussi lui apprendre son futur métier de souverain. Détestant autant la guerre que l'ambition, Fénelon enseignait qu'il existe plusieurs types d'autorité, qu'elle soit magnanime ou hypocrite, abjecte ou imprudente. C'était une leçon pour le jeune duc qui, d'un tempérament naturellement porté à la cruauté, fut ainsi assagi par la patience de Fénelon.

Tenant compte des conseils de Madame de Maintenon, Marie était devenue l'amie et la compagne de jeu de la princesse de Chartres et du comte de Toulouse. Elle les laissait jouer avec leurs petis canons d'argent et leurs soldats de plomb, ou bien avec leurs automates musiciens. Sa tâche principale consistait à concilier l'amusement et les études. Il faut dire que les enfants avaient de nombreuses occupations. L'équitation, la danse, l'escrime, complétaient leur formation qui devait leur permettre d'acquérir un savoir étendu et précoce. A dix ans, il est coutume qu'un enfant sache tout Homère par coeur! Les journées passaient vite avec des leçons entrecoupées de parties de cartes ou de dès, et des promenades dans les jardins, vers la ménagerie, la volière ou le potager. Les enfants aimaient apprendre en s'amusant, et c'était une joie pour Marie de leur faire découvrir, avec l'aide des jardiniers, le nom des fleurs et des arbustes qui poussaient abondamment dans les superbes jardins de Versailles.

Il faut dire que, depuis 1682, la Cour s'était installée définitivement à Versailles. Le petit pavillon de chasse construit par Louis XIII était devenu, grâce à de grands travaux qui avaient duré plus de vingt ans, un gigantesque palais entouré d'un parc aux dimensions imposantes. C'est en 1661 que l'architecte Louis Le Vau avait été chargé par Louis XIV d'en commencer la construction. Premier architecte du roi, il avait déjà montré son talent en construisant de nombreux hôtels pour les gens des finances dans l'île Saint-Louis. C'est également lui qui avait fait construire le Collège des Quatre-Nations, dont les majestueux bâtiments surplombent la rive droite de la Seine. Mais, surtout, c'était lui l'architecte du château de Fouquet à Vaux-le-Vicomte, château dont Louis XIV avait envié le faste et l'agencement. Dès la disgrâce de Fouquet, le roi avait engagé l'équipe qui avait travaillé a Vaux: il y avait là l'architecte Louis Le Vau, le décorateur Charles Le Brun et le jardinier André Le Nôtre qui dessina plus le parc de Versailles.

Selon le désir du roi, Le Vau avait gardé autour de la cour de marbre l'ancien bâtiment qu'il avait surélevé et agrémenté de balcons et de bustes. L'ensemble était fait de brique rose, d'ardoise bleue et de pierre blanche. Il avait fait édifier, à partir du corps central, deux bâtiments parallèles reliés par un portique orné de statues. Face au parc, il avait construit une terrasse dallée de marbre avec un jet d'eau.

Marie aime l'entrée fastueuse du château. La première fois qu'elle en a franchi la grande grille peinte en bleu et or, elle était accompagnée de nombreux visiteurs. En effet, depuis longtemps, un service plus ou moins régulier de voitures publiques a été improvisé entre Paris et Versailles. Les trajets se font dans des carrosses très incommodes ou la chaleur est insupportable en été et o l'on est entassé les uns sur les autres. Quelques visiteurs sont munis d'une "Explication de ce qu'il y a de plus important à voir dans la Maison royale de Versailles". On entre dans le palais en traversant la cour des ministres, bordée de deux gros pavillons; on franchit ensuite la seconde grille et on pénètre dans la cour royale, séparée de la cour de marbre par trois marches. C'est la cour de marbre dans laquelle Marie aime le mieux à se tenir: il y a là une magnifique fontaine, des volières, des orangers en nombre impressionnant, et, dans les angles, de grands jets d'eau sortant de la gueule de tritons sculptés.

L'oeuvre de Le Vau n'étant pas achevée à sa mort, c'est un de ses élèves qui avait repris l'exécution des plans dressés par son maître. Louis XIV avait suivi de près l'état des travaux, et s'était installé pour cela au Grand Trianon, petit château construit à proximité pour permettre au roi de diriger la construction du palais. Versailles achevé, Louis XIV s'était d'ailleurs lassé de ce Trianon et avait chargé l'architecte Jules Hardouin Mansart d'élever à sa place un veritable palais, édifice sans étage couvert d'une toiture à l'italienne tel qu'il est encore en cette fin du XVIIeme siècle.

En 1678, Louis XIV avait fait appel à ce même Nansart pour un agrandissement du château de Versailles. Il avait alors édifié les deux ailes du Midi et du Nord et réalisé la longue façade rectiligne du palais, en triplant la longueur par les ailes. Il avait complété cet ensemble par les ailes des Ministres, le Grand Commun, les deux Ecuries, la nouvelle Orangerie et les escaliers des Cent marches. En 1682, trente six mille ouvriers travaillaient à Versailles. Marie a ainsi vu, depuis qu'elle y demeure, de nombreux changements. Mansart avait supprimé la fameuse terrasse, qui était agréable en été mais bien trop froide en hiver. Il avait réuni les deux pavillons par une longue galerie d'apparat qui possède dix-sept baies cintrées ouvrant sur le parc et répondant à dix-sept grands panneaux de glaces. Dans cette Galerie des Glaces, les courtisans, depuis vingt ans, viennent deviser entre eux poliment, attendant le passage du roi ou l'heure d'une audience ou d'une messe. Marie n'est pas à l'aise dans cette grande salle, trop vaste, située entre deux salons. A l'extrémité nord, s'ouvre le salon de la Guerre et au sud le salon de la Paix, richement décorés, sous la direction de Charles Le Brun. Les murs en sont revêtus de marbres de couleur avec des ornements de bronze doré. Des masques et des guirlandes, figurant les quatre Saisons, surmontent les portes. Une grande sculpture en plâtre, due à Antoine Coysevox, représente Louis XIV à cheval sur un champ de bataille, entre deux esclaves en stuc bronzé. Des fenêtres de la Galerie des Glaces, on aperçoit l'ensemble du parc, et l'on reconnaît au centre le tapis vert et le bassin d'Apollon, bordés de part et d'autre de deux allées menant au Grand Canal dont la branche principale se perd dans le lointain.

Marie va souvent dans le parc; elle marche en direction du midi, sur le côté gauche du château: là, après deux grands parterres, elle descend vers l'Orangerie, construction dont les voûtes soutiennent la terrasse. Puis, au-delà des deux immenses escaliers de cent marches, elle descend vers la pièce d'eau des Suisses, appelée ainsi parce qu'elle fut creusée par des soldats suisses. Marie aime le décor de l'Orangerie qui peut abriter trois mille arbustes, parmi lesquels, outre les orangers, des grenadiers, des myrtes et des lauriers-roses aux effluves suaves. Près du lac des Suisses, qui s'étend sur environ douze hectares, le potager de La Quintinie comprend trente et un petits jardins, consacrés chacun à une culture différente. Marie se promène volontiers à cet endroit car elle s'y sent proche de la nature, loin des attroupements et de la cohue qui règne d'ordinaire à Versailles.

Dans le somptueux décor du château vit en effet une foule sans cesse grandissante. Alors que les courtisans n'étaient que quelques centaines en 1660, ils sont, depuis vingt ans, près dix mille. Marie consent quelquefois à se promener en compagnie jusqu'au grand canal où les courtisans sont nombreux. Il y a là plusieurs possibilités de distractions: sur le canal évoluent des barques à voiles ou à rames, des chaloupes, des gondoles, plusieurs galères aux pavillons multicolores. Ce matin, profitant d'un beau soleil de fin d'automne, Marie s'embarque sur la frégate en miniature qui tourne régulièrement sur le Grand Canal. Elle a été invitée par le duc de Choisy, qu'elle a connu il y a bien des années. Il lui faisait une cour assidue à laquelle elle n'avait pas cru bon de répondre. Mais, ce jour-là, elle est charmée de le retrouver, parmi tant de courtisans qu'elle salue sans bien les connaître. Le duc occupe maintenant une haute fonction, ayant obtenu le poste de président et trésorier général des Finances en Limousin. Marié à une jeune fille de haute noblesse dont la dot s'élevait à plus de cinquante mille écus, il a depuis lors une situation bien établie et nombreux sont ceux qui l'envient. En souvenir de leur passé, Marie et le duc s'entretiennent de choses et d'autres. Elle lui dit qu'elle est depuis de longues années, hantée par le désir de rencontrer le roi, de lui parler et, surtout, de lui plaire.

Car c'est là le secret de son coeur: depuis qu'elle a aperçu le roi en 1660 puis chaque fois que, à Versailles ou à d'autres endroits, elle a pu l'approcher, elle n'a jamais osé lui parler franchement. Devant une telle confidence le duc feint de s'indigner: -"Eh là! Tout doux, Madame! Je sais que vos charmes n'auraient aucun mal à faire s'ouvrir le coeur royal; mais ne craignez-vous pas d'arriver trop tard, dans un coeur qui fut tant de fois déjà accaparé. Sans compter que le roi a déjà bien du mal à cette heure pour choisir entre la belle Madame de Montespan qui est, dit-on, d'une gaité voluptueuse, et la sage Madame de Maintenon qui fait triompher la dévotion dedans l'amour... Ceci mis à part, vous semblez oublier comment se comporte le roi: chacun sait qu'il ne se cache point, et qu'il est aisé de le rencontrer. Il circule familièrement parmi la foule et reçoit, vous le savez comme moi, trois fois par semaines. En privé, Louis XIV est un homme simple: j'ai remarqué qu'il soulevait toujours son chapeau devant une dame, même devant une femme de chambre! Ainsi, je suis certain que vous auriez pu l'approcher aisément et j'avoue ne pas comprendre votre hésitation." -"Puisqu'il faut tout vous dire, Monsieur, je ne vous cacherai pas davantage qu'une affaire d'un autre ordre m'empêche de rencontrer le roi en toute liberté d'esprit. Je vais vous expliquer en quelques mots les faits: vous avez peut-être entendu parler de la disparition de mon frère, en 1661. Il était âgé de vingt cinq ans, et assumait la charge enviée de secrétaire général du surintendant Fouquet. Or, lorsque Fouquet fut arrêté cette même année, ce fut, si l'on peut dire, sur un coup de tête de Louis XIV, La gloire de Fouquet s'arrêtait là et il fut jeté dans l'ombre d'un cachot en pleine ascension sociale. Il possédait sur certaines personnes d'influence des renseignements que beaucoup auraient voulu détruire. Mon frère étant son bras droit, connaissait des détails susceptibles, s'ils étaient rendus publiques, de porter préjudice à des personnalités de haut rang. Vous comprenez alors la raison de sa disparition mystérieuse. Je ne pense pas que mon frère ait été tué: car il est des règles que l'on respecte entre gentilshommes, et mon frère n'avait commis aucun crime qui ait pu justifier sa mort. Les personnes qui l'ont fait enlevé, certainement sur ordre du roi, avaient donc tout intérêt à le maintenir prisonnier dans un endroit secret, afin que personne ne puisse connaître son identité et venir lui soutirer les précieux renseignements qu'il détenait. Or, un peu plus tard, il fut question à la Cour, de l'énigme de celui que l'on a appelé depuis le Masque de Fer. Vous devinez maintenant la suite de mon propos: ayant comparé les dates, je me suis aperçue que d'après les récits relatifs au Masque de Fer, son emprisonnement eut lieu la même année que la disparition de mon frère. J'ai alors pensé qu'il pouvait être ce prisonnier mystérieux et cette hypothèse s'est confirmée au fils des ans. D'après les détails que j'ai pu obtenir, le prisonnier est de taille moyenne, avec des cheveux clairs. Il est très doux et fait preuve d'une patience qui semble à l'abri de toute épreuve. Une telle description, si imprécise qu'elle soit, correspond à celle que j'aurais donnée de mon cher frère. J'ai tenté, à plusieurs reprises, d'aller le voir à la Bastille, o. il est emprisonné depuis 1690. Chaque fois, un refus catégorique m'était infligé. La dernière fois, le gouverneur de la Bastille est lui-même intervenu, me priant sèchement de bien vouloir renoncer à ces tentatives, sous peine qu'il en soit référé au roi. Voyez ma déconvenue, et considérez ma situation: si le prisonnier est bien mon frère, je ne peux pardonner au roi, vers qui penche mon coeur, d'avoir ordonné l'arrestation de quelqu'un qui m'est tout aussi cher que lui..." Le duc, impressionné, laisse quelques instants le silence s'établir entre eux. Puis il dit: "Je conçois que cette situation ne peut plus durer. En vérité, je doute fort que le Masque de Fer soit votre frère. Vous devez cependant dissiper le malentendu, et, pour cela, parler au roi sans plus tarder. Je vous conseillerais d'aller à sa rencontre dans le parc, et d'oser aborder avec lui ce délicat sujet. Lorsque vous serez rassurée sur le sort de votre frère, vous pourrez enfin laissez libre cour à votre coeur et briller dans la compagnie du roi."

Marie, écoutant les conseils du duc, apprécie la finesse de discernement de son ancien ami. Marie le remercie et ils décident tous deux de quitter la frégate à bord de laquelle ils viennent de traverser le Grand Canal. Ils débarquent sur la terre ferme et se dirigent vers la Petite Venise, endroit calme et ombragé oi. l'on peut s'asseoir et deviser tranquillement. Ils longent un moment le Grand Canal, en direction du château, puis, laissant sur leur gauche l'allée de Noisy, ils continuent jusqu'à celle de la Petite Venise, Ils trouvent sans difficulté un banc libre, car, en ce milieu de matinée, les courtisans sont peu nombreux.

Le duc, avec tact, engage la conversation sur un autre sujet et Marie lui en sait gré. Ils parlent longuement des divertissements donnés à Versailles, et en particulier de Jean Racine, poète qui a quitté ce monde l'année dernière. Marie a beaucoup apprécié la peinture d'un amour passionné dans "Andromaque", et elle se rappelle quelques vers déclamés dans les salons, Elle se sent pareille à Hermione, lorsque celle-ci s'écrie:

"Où suis-je? Qu'ai-je fait? Que dois-je faire encore?
Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore?
Errante et sans dessein, je cours dans ce palais.
Ah! que ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais?"

Marie est effectivement indécise, partagée entre l'amour et la haine: certes, elle aime le Roi-Soleil qui brille de tous ses feux à la Cour, mais ne déteste-t-elle pas sa soif de puissance qui va jusqu'à emprisonner des innocents? Un roi ne sait-il donc jamais s'arrêter? Marie en est là dans ses réflexions quand le duc de Choisy évoque _:cèdre", pièce qui fut l'un des sommets de la carrière de Racine. Cette pièce s_uleva de vives protestations de la part de détracteurs, et une cabale se développa à cette occasion. Mais l'incident fut clos car après les excès de la rature humaine dépeints dans "Phèdre", Racine se montra un chrétien repenti. :êjà membre de l'Académie française, c'est alors qu'il fut nommé historiographe du roi. Pendant plus de douze ans, il se consacra à sa nouvelle charge, sans plus produire pour le théâtre. Plus tard Madame de Maintenon lui demanda d'écrire des oeuvres théâtrales qui puissent être jouées devant les ±eux cent cinquante jeunes filles de Saint-Cyr. C'est pour elles que Racine écrivit "Esther" puis "Athalie", deux pièces tirées de l'Ecriture sainte. Les _courtisans accoururent à Saint-Cyr; le roi lui-même dit à Madame de Sévigné après la représentation d"'Esther": "Racine a bien de l'esprit". Un tel :•ugement de la part du roi était un beau compliment. Quelque temps plus tard, Rac ne fut nommé gentilhomme ordinaire du roi, ce qui montre combien il était apprécié. Sur les conseils de Madame de Maintenon, il prépara un plan de réforme et de législation pour soulager la misère du peuple. Cette initiative _e fut malheureusement pas prisée par Louis XIV, qui prononça la disgrâce du zcète.

Après cette conversation avec le duc, Marie décide de parler enfin au _c_. Cependant, il n'est pas encore temps, car c'est l'heure du Conseil. En a endant, Marie se rend au grand Trianon, où des courtisans ont l'habitude ='=changer des propos politiques et militaires. Remontant l'allée de la Petite ï_nise puis celle de Saint-Antoine, Marie s'engage sur l'avenue de Trianon. hein faisant, elle pense à la vie de la Cour; on rencontre à Versailles des gentilshommes qui attendent ou espèrent du roi une rente, une lettre de crédit ~.. cuelque obligation. Versailles grouille aussi de toutes sortes d'hommes de divers corps de métiers tirant profit de la Cour: les écrivains et poètes y sêRètent en s'y faisant applaudir ou en récoltant des bâillements; les :ai eurs attendent des commandes, tout comme les carrossiers ou les ét4nistes... Marie est gênée par la présence de cette foule qui peut rendre -1:ffl cile une entrevue personnelle et confidentielle avec le roi.

Ayant été gouvernante des enfants royaux et dame d'atours de la reine, ?f,ar_e est connue du roi, et elle est en général bien considérée par les _z_:rtisans. Bien que n'étant pas duchesse, elle a droit à un tabouret chez la Princesse Marie-Anne-Christine de Bavière, épouse du Grand Dauphin. On lui a aÉme proposé le poste de dame d'honneur de la dauphine, mais elle a refusé, ne se sentant pas le coeur à refaire avec cette jeune femme les mêmes gestes _ =lie avait accomplis avec la reine défunte.

Au Grand Trianon, elle se rend dans une salle où s'assemblent d'ordinaire ceux qui ne sont pas attirés par le jeu. Il y règne un vacarme indéfinissable, car les conversations fusent de toutes parts. Aujourd'hui, on parle de la dernière guerre qui a duré neuf ans, de 1688 à 1697. Ce fut la guerre de la ligne d'Augsbourg. Elle avait débuté lorsque Louis XIV avait essayé, en vain, de rétablir Jacques II sur le trône d'Angleterre: il y avait eu une expédition d'Irlande, puis une défaite de Tourville à la Hougue, qui avait fortement marqué les esprits. Louis XIV s'était souvenu de l'exécution de Charles ler, condamné à mort par le Parlement anglais comme "traître ett tyran" et il s'était alors appliqué à soutenir la monarchie anglaise. Jacques II qui-soutenait une politique absolutiste et catholique était monté sur le trône. Pour sauver le protestantisme les Anglais appelèrent Guillaume III d'Orange, alors stathouder de Hollande et époux d'une des filles de Jacques II. Guillaume III s'empara du trône, forçant Jacques II à s'enfuir en France. C'est à ce moment que Louis XIV choisit d'intervenir pour maintenir le catholicisme en Angleterre. Il dut faire face à "la ligue d'Augsbourg', coalition européenne qui s'était opposée dès 1686 à sa politique de puissance. Louis XIV avait des adversaires de taille; il n'abandonna pas pour autant la lutte, et lança une offensive sur le Rhin.

En 1689 il ordonna la destruction du Palatinat. Le frère du roi, Philippe, avait épousé en secondes noces Charlotte-Elisabeth, fille de l'électeur palatin. Elle avait toujours regretté les lieux de son enfance, notamment le château de Heidelberg, où elle avait été élevée. Celle que l'on appelait la Palatine avait beaucoup d'affection pour Louis XIV qu'elle décrivait comme un "brave et bon prince". A la mort de l'électeur, on apprit que le Palatinat devait passer par héritage à la ligue catholique de Neuburg. A cette nouvelle, Louis XIV décida de sauvegarder les droits de sa belle-soeur', et il ordonna à ses armées de ravager le Palatinat qui connut alors des jours bien difficiles. Les récits de soldats racontant l'immense incendie qui avait détruit la région étaient restés dans la mémoire de bien des courtisans.

Mais Louis XIV avait d'autres ambitions. Depuis le traité de Nimègue, il menait une politique qui avait pour but d'agrandir le territoire français: pour cela, le roi s'appuyait sur l'imprécision des traités précédents qui cédaient des villes et des territoires avec leurs dépendances. Le terme de "dépendances" n'étant pas précis, Louis XIV en avait profité pour annexer à la Couronne neuf villes parmi lesquelles Montbéliard, Sarrebruck, et Strasbourg. Les membres de la ligue d'Augsbourg n'entendaient pas se laisser déposséder ainsi sans broncher. Après neuf ans de guerre on signa, en 1697, le Traité de Ryswick par lequel Louis XIV abandonnait la ville de Luxembourg et toutes ses possessions antérieures à la paix de Nimègue; il ne conservait que Strasbourg. Cette nouvelle avait fait grand bruit à la cour. Evidemment, la guerre était enfin finie, mais Louis XIV avait dû s'abaisser devant ses adversaires. Toutes ces années de lutte avaient été vaines: le territoire français restait identique, ou peu s'en fallait, à ce qu'il était dix ans auparavant! Pendant que, à l'extérieur, la gloire du Roi-Soleil se ternissait, il se passait un événement important à l'intérieur du royaume. Le 18 Octobre 1685, le roi avait pris une grave décision politique, poussé, dit-on, par Madame de Maintenon. C'était la révocation de l'Edit de Nantes. Dans la salle du Grand Trianon, le silence se fait tout à coup. Un homme, d'allure revêche, scrute l'auditoire d'un regard noir et prend la parole. Marie, aussi étonnée que les autres, écoute attentivement cet étrange individu:

"Il y a quatorze ans Louis XIV a signé la révocation en proclamant ces mots: "Par cette épée que je tiens l'Eglise et la Foi je maintiens"

Il serait temps de considérer aujourd'hui les raisons et les conséquences de cet acte. Cette révocation stipulait le bannissement des pasteurs, l'interdiction à leurs fidèles de s'enfuir, la fermeture des écoles protestantes, le baptême des enfants des nouveaux convertis et la démolition des derniers temples. A l'époque, souvenez-vous: le texte avait été solennellement affiché à Paris et des messagers à chevaux avaient été envoyés dans les provinces. Les huguenots s'inquiétaient, mais la foule restait indifférente. Tous les beaux esprits français avaient applaudi à cette décision. Je pense à Racine, à Fontenelle, à La Bruyère, à La Fontaine, mais surtout à Madame de Sévigné qui avait dit: "Jamais aucun roi n'a rien fait de si mémorable." Eh bien, mémorable, cela l'était en effet! Vauban, plus lucide que les autres, s'était récrié, et avait considéré que cette révocation était une erreur. Malgré la menace de disgrâce, il avait raison de s'inquiéter."

Le conteur parle avec fougue. Marie se doute de ce qu'il va dire et l' écoute avec un mélange de curiosité et d'indignation anticipée:

"Il s'est passé bien des choses que l'on a voulu tenir secrètes parce que, finalement, personne n'avait à s'en réjouir. Avant cette révocation fatidique, on avait tenté d'imposer la religion catholique en forçant les huguenots à se convertir en les achetant. Une ordonnance royale allait plus loin, exemptant les convertis de l'obligation de loger les soldats qui n'avaient pas de caserne. On envoya intentionnellement chez les protestants des soldats appelés "dragons missionnaires" ou "missionnaires bottés", Ils obtinrent par la force un nombre impressionnant de conversions. Les protestants signaient leurs abjurations sous la menace d'un fusil. Le roi avait eu vent de tout cela et l'avait accepté parce qu'il considérait que c'était la volonté divine de remettre sur le droit chemin ceux qui ne connaissaient pas la foi catholique! C'est Louvois, alors secrétaire d'Etat à la guerre, qui a rendu ces dragonnades de plus en plus fréquentes. Apprenant les conversions en masse, le roi crut qu'elles se faisaient de plein gré, et il a estimé inutile le maintien de l'Edit de Nantes.

Sa révocation provoqua l'exode massive de ceux que les dragonnades avaient épargnés. Il y avait là des familles entières de négociants, notables pour leur fortune et l'étendue de leurs affaires. Il y avait aussi de riches artisans et surtout des négociants étrangers, suisses, hollandais et anglais. Ceux-ci furent accueillis hors des frontières, notamment à Potsdam par le Grand Electeur. J'ai entendu parler de près de soixante mille exilés volontaires! Imaginez-vous quelle ruine guette notre pays qui a perdu une grande partie de ceux sur qui reposaient le commerce et l'industrie! Je vous laisse à penser au désastre intérieur qui est en train de se produire dans notre royaume..." L'homme se tait et les courtisans restent pensifs.

La cour, dans la vie frénétique et dispendieuse qu'elle mène, semble peu se préoccuper des indigents et des miséreux qui sont cependant de plus en plus nombreux dans le royaume de France. Le peuple est sans cesse accablé de nouveaux impôts: une ordonnance royale créa la capitation, impôt par tête qui vient heureusement d'être supprimé. Les tailles et les aides sont arbitrairement levées. Dans certaines provinces il existe des impositions sur les denrées comestibles telles que le pain, le vin et les viandes, ce qui rend les consommations plus rares, et plus chères. Près de la dixième partie du peuple est actuellement réduite à la mendicité. Comment faire pour qu'il sorte de la misère? N'est-ce pas dans ses rangs que l'on trouve soldats et matelots, marchands et petits officiers de judicature, commerçants et ouvriers, paysans et vignerons? Les gens que la misère du peuple préoccupe, et particulièrement Vauban, pensent au rétablissement de la Dîme royale, impôt levé proportionnellement sur tout ce qui porte revenu... Mais les ministres sont trop accaparés par leur vie à la Cour pour s'occuper de ces souffrances.

A Versailles non plus, tout n'est pas aussi brillant que l'on peut le croire. Les courtisans recherchent les faveurs du roi dans une course aux privilèges: assister au lever du roi, tenir son bougeoir au coucher, se voir octroyer un "justaucorps à brevet" permettant de l'escorter dans ses promenades et bien d'autres choses encore... Les faveurs sont variées mais finement dosées par le roi qui estime d'autant plus un courtisan que celui-ci est servile et assidu.

Marie songe, à ce propos, à l'ouvrage de Jean de La Bruyère. Chargé de l'instruction du petit-fils du Grand Condé, il a observé le monde et les moeurs des courtisans. Il notait quotidiennement des maximes diverses et des portraits qui furent publiés en 1688 sous le titre de "Caractères". Marie en a lu avec intérêt des pages savoureuses. Elle a particulièrement apprécié la série de maximes écrites sur le thème de la Cour où La Bruyère montre que, sous des dehors brillants, se cachent l'interêt et l'égoïsme le plus farouche. Quelques passages reviennent à la mémoire de Marie: "Un homme qui sait la Cour est maître de son geste, de ses yeux, de son visage; il est profond, impénétrable; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son coeur, parle, agit contre ses sentiments."

La Bruyère note aussi: "L'air de Cour est contagieux: il se prend à Versailles, comme l'accent normand à Rouen ou à Falaise;". Les intrigues à la Cour ne manquent pas pour monnayer les services, pour obtenir un droit ou une edevance. Il existe tout un trafic de brevets, d'invitations, et de remises e placets. Chaque courtisan essaye par tous les moyens d'arriver à ses fins. ans l'antichambre du château tous ceux qui ont motif de se plaindre peuvent époser un placet sur une table dressée chaque lundi à cet effet. Après la esse, le roi se les fait lire par le secrétaire et donne des ordres en onséquence.

De plus, la vie matérielle à Versailles laisse â désirer: les ntichambres et les escaliers sont généralement malpropres, et il règne artcut et à tout moment une cohue faite d'incessants va-et-vient qui atiguent Marie. Elle a peur également des vols qui sont nombreux au château. es corridors et les escaliers sont souvent hantés par des badauds, des aquais, prostituées ou marchands ambulants, Tout cela se passe sous le nez es Cent-Suisses, des deux compagnies de Mousquetaires et des quatre ompagnies de Gardes du Corps qui ne font guère qu'un service d'apparat auprès u rci.

Les appartements sont inconfortables, et l'on gèle dans les grandes alles du château. Marie pense qu'il est d'ailleurs temps de rentrer chez lle.

Il est une heure. La matinée finie, les courtisans se dispersent apidement. Le roi est sans doute en train de dîner "au petit couvert": il ange seul dans sa chambre, sur une table près de la fenêtre du milieu et le epas se compose de trois services, sans le fruit. Marie, quant à elle, va mer dans son appartement, où Francinette lui a préparé une rapide collation, Depuis qu'elle n'a plus de charge officielle à Versailles, elle n'habite plus n grand appartement comme autrefois, mais une suite de trois pièces, ntchambre, salon et minuscule boudoir donnant sur l'aile du côté nord, ayant ue sur le boulevard de la Reine. Marie ne se plaint pas car elle est de toute açoo__ mieux lotie que beaucoup des courtisans qui.doivent se contenter d'une auvaise chambre sous les combles. La plupart d'entre eux préfèrent rester là, ivant dans des conditions déplorables, souffrant du froid, de l'étroitesse es :oraux et du manque total d'hygiène, plutôt que de retourner croupir dans eur province. Un courtisan n'affirmait-il pas récemment: "J'aime autant courir que d'être deux ou trois mois sans voir le roi!". Après le repas, Marie 'a s'occuper de son courrier et répondre à sa cousine qui vient de lui envoyer .ne charmante lettre.

Quand elle quitte son appartement, il est près de trois heures. Le roi st, dit-on, parti pour la chasse et Marie décide de le rejoindre. Depuis u' il fit une mauvaise chute à cheval, il se déplace dans une calèche conduite par quatre chevaux, dont le dessus se replie en manière de soufflet. Marie 'informe auprès d'un laquais pour savoir dans quelle direction sont partis la alèche et les équipages de la chasse à courre. Le laquais répond que le roi .'est pas allé courir le cerf mais qu'il s'est rendu à la Faisanderie. Tenté ,ar _a journée radieuse, il est allé faire une chasse à tir.

Marie hèle une chaise de poste qui attend sur la grande Place d'armes, ituée sur l'avant du château, Elle indique au cocher la Faisanderie. Pour s'y end.e, il faut emprunter la Route de Saint-Cyr, bordée par le Bosquet de la -eine, le Bassin du Miroir, puis le Jardin du roi, où les courtisans sont peu .ombreux. Sans doute se sont-ils rendus en masse à la Faisanderie que Marie tteint après avoir dépassé l'allée des Matelots.

Comme Marie s'en doutait l'agitation est considérable. La Faisanderie est sn vaste enclos dans lequel perdrix et faisans sont élevés. A l'heure de la ;à.asse, ils sont régulièrement lachés devant les tireurs aux aguets. Le roi rxce.Le généralement dans cet exercice. Marie, qui s'est approchée davantage .ans la foule des courtisans, comprend que la chasse est presque finie: le roi déjà tué une trentaine de pièces de gibier. A cause de la goutte qui le fait .ouffrir, il a imaginé une chaise à porteur dans laquelle il se montre aussi >cn tireur qu'auparavant. La chasse terminée, le roi distribue aux dames le ;ib4_er qu'il a tué: celles-ci le pendent à leur ceinture, et rentrent :ricmchalement au château. Marie, voulant gagner les grâces du roi, s'avance 'ers ui pour être aux premières loges durant la distribution. Le roi donne ives crodigalité les faisans morts. Il est vêtu d'un habit brun, sa couleur >référée. On voit sur son pourpoint quelques traces de la poussière de sable [ui recouvre le sol. Auprès de lui sont couchées ses chiennes favorites, Diane _t Blonde, jolies levrettes au poil lisse. Marie s'avance et le roi lui tend -une pièce de gibier. Puis, l'ayant reconnue, il lui fait un léger signe de tête. Profitant de la bonne humeur du roi, Marie salue avec la plus humble des révérences et dit: "Votre Majesté daignerait-elle m'accorder quelques minutes de son rrécieux temps? J'ai à l'entretenir d'une affaire secrète et confidentielle." Le roi esquisse un discret sourire. "Soit! Veuillez Nous attendre au carrefour de l'Etoile Royale. Nous serons content de deviser quelques instants avec vous."

Ayant dit, le roi salue Marie et se tourne délibérément d'un autre côté, =ntrant ainsi qu'il n'en dira pas davantage.

A Versailles, on sait que toutes les activités gravitent autour de celle du roi. C'est lui qui donne le ton: on pleure quand il est triste, on rit quand il sourit. Louis XIV, au centre de tous, propage son éclat: il possède une grande chambre, au centre du château et son lit est orienté dans le sens de la course du soleil. Lorsqu'il y a réception, il circule familièrement parmi ses invités auxquels il offre la danse, la musique et des jeux divers. Marie est particulièrement attirée par la musique et elle admire surtout celle de Jean-Baptiste Lully, qui mourut en 1687, mais qui a imprégné largement la Cour de son génie musical. En parfaite concordance avec les vues du Roi-Soleil, Lully a rendu vétustes les anciens poncifs de la préciosité du début du Grand-Siècle. Né à Florence en 1632, c'est cependant en France qu'il a tout appris; il entra, à quatorze ans, chez la Grande Mademoiselle qui désirait à son service un jeune page toscan pour converser dans la langue de Jante qu'elle étudiait. Devinant les dons de son page, la duchesse lui fit étudier la danse et le violon. Lully fut ensuite reçu parmi les vingt quatre Violons du Roy et se fit remarquer dans le "Ballet de la Nuit" comme danseur et mime. Dans ce ballet, Louis XIV tenait lui-même un rôle, et Lully le mettait constamment à la première place, flattant ainsi son orgueil. Lorsque le roi n'attrapait pas la cadence, Lully passait devant lui, improvisant un jeu de scène afin de lui montrer ce qu'il devait faire, puis s'écartait le plus naturellement du monde. Dès lors, le musicien connut une ascension fulgurante, étant protégé par le roi, Il fut successivement Compositeur puis Surintendant de la Musique instrumentale, fonda les Petits Violons du Roy, puis prit la direction de l'Opéra, étant nommé directeur de l'Académie royale de Musique en 1672. Pour le public de Versailles, Lully était un incomparable organisateur de spectacles. Il avait trouvé le ton juste pour présenter des divertissements raffinés. Il advint que Lully collaborât avec Molière. Les succès de leurs comédies-ballets furent tels pour Lully qu'on le louât souvent seul, passant Molière sous silence... Pourtant, Marie pense encore aujourd'hui que le succès du "Bourgeois gentilhomme" était autant dû à la verve comique de Molière qu'au style délicat de Lully!

Mises à part les réjouissances musicales, les journées sont rythmées selon les occupations des plus grands des courtisans: Madame de Maintenon attire autour d'elle une véritable cour. Mariée secrètement avec Louis XIV, probablement en octobre 1683, elle bénéficie des plus grands privilèges. Elle a un appartement entier au premier étage: deux antichambres, une chambre et un grand cabinet, le tout de plain-pied avec celui du roi qui donne sur l'escalier de marbre. Les appartements royaux sont d'ailleurs d'un luxe inouï: les peintures des plafonds se combinent avec les stucs dorés; aux murs, recouverts de marbres et de velours, sont accrochés les tableaux de la collection royale.

A la Cour, personne n'a rien à faire. Les "jours d'appartement" les courtisans se réunissent dans les salons de sept heures à dix heures du soir. On se restaure au salon de Vénus, on se désaltère dans le salon d'Abondance, on écoute de la musique au salon de Mars, on danse dans le salon d'Apollon. Le salon du billard ou salon de Diane, est une pièce spécialement aménagée pour ce jeu, avec deux estrades pour les dames. Dans le salon de Mercure les courtisans se livrent à une de leurs distractions favorites: le jeu. La politique royale est claire: plus les nobles dépensent, moins ils contestent et plus ils sont dépendants. Alors que les tripots sont fermés et les jeux de hasard interdits, au château les courtisans perdent des sommes folles. Au temps où Madame de Montespan était favorite, le roi avait coutume de jouer avec elle au jeu de trictrac ou au reversis, jeu de cartes dont les levées se font "à l'envers", Il y avait souvent avec eux monsieur Dangeau, célèbre joueur. On joue aussi au jeu de l'oie et au hoca. Ce jeu, venu d'Espagne, comprend un tableau de trente cases et trente boules de bois percées qui recoivent un billet roulé identique à l'une des cases du tableau. On remue ces boules dans un sac, on en tire une dont on fait sortir le billet qui indique ainsi le gagnant. Les courtisans raffolent de ce genre de loterie. Ils aiment toutes les sortes de jeu, dans lesquels ils misent souvent de grosses sommes. C'est un véritable événement quand le roi traverse ces salons: tout le monde cesse ses activités et se précipite pour apercevoir la personne royale, A Versailles, tout est marqué par l'étiquette, cet ordre des préséances, véritable cérémonial. Madame de Maintenon a dit un jour: "Il n'y a point dans les couvents d'austérités pareilles à celles auxquelles l'étiquette de la Cour assujettit les grands." L'étiquette est particulièrement remarquable lors des repas. Le dîner "au grand couvert", c'est-à-dire en public, débute par le cérémonial de l'Essai. Celui-ci consiste à s'assurer que rien n'est empoisonné. C'est le rôle des courtisans du service de la Bouche du Roy, comportant. sept offices parmi lesquels le Gobelet du Roy, l'Echansonnerie-bouche et la Paneterie-bouche. Les courtisans appartiennent à des catégories différentes: il y a ceux de la Maison civile du Roy, la Maison de la Reine, celles du Dauphin, de Monsieur, des princes et des princesses. Outre celui de la Bouche, les services principaux sont ceux de la Chapelle, de la Chambre, de l'Ecurie, de la Vénerie et de la Maison militaire du Roy.

Marie assiste rarement au dîner "au grand couvert" mais apprécie la compagnie du roi lorsque la foule se disperse. La promesse d'une rencontre avec lui, et peut-être d'une lumière faite sur l'incertitude du sort de son frère la réjouissent. Lentement, elle se dirige vers l'Etoile Royale. Elle passe devant la Ménagerie, qu'elle laisse sur sa droite. Il y a là des autruches, des gazelles, des phoques, un rhinocéros, un éléphant, et surtout une multitude d'oiseaux. A l'extrémité de la route de Saint-Cyr, elle pourrait prendre l'allée de Maintenon qui la conduirait directement au lieu de rendez-vous. Mais, comme elle a du temps devant elle, elle préfère obliquer sur la droite et emprunter un moment l'allée de Choisy. Elle tourne ensuite sur sa gauche, s'engageant sur la longue avenue des Tuileries, L'Etoile Royale est un vaste carrefour, où se rejoignent une dizaine de chemins parmi lesquels l'allée de Maintenon, l'avenue des Tuileries, le chemin du Grand Canal et l'allée de Fontenay. Pour attendre le roi, Marie choisit un emplacement discret, mais d'où elle peut voir toutes les allée et venues, nombreuses en cette fin d'aprè-midi. Après une demi-heure d'attente, elle entend des bruits confus venant du Grand Canal: ils annoncent l'arrivée du roi, assis dans sa chaise à porteur, et entouré d'une foule bruyante. Celui-ci, sur un signe, fait arrêter sa chaise, et, sur un autre signe, ordonne aux courtisans de s'éloigner. Marie peut alors s'approcher. Le roi lui sourit, se lève, et dit:

"Il Nous serait agréable de deviser avec vous à l'écart. Allons sur le banc que Nous apercevons là-bas,"

Désignant un emplacement peu éloigné, il s'y dirige avec Marie. Les courtisans, obéissants sont restés en arrière, et Marie peut parler en toute liberté. Elle raconte au roi comment, il y a si longtemps, son frère a disparu, puis les soupçons qu'elle a conçus depuis la nouvelle de l'emprisonnement du Masque de Fer. Le roi écoute, impassible. Les yeux fixés au loin, il semble penser à autre chose mais ne peut cacher une légère agitation intérieure lorsque Marie prononce le nom de Masque de Fer. Elle sent combien il est troublé maintenant. Avec hardiesse, elle ose tout de même lui demander:

-"Sire, enlevez-moi ce doute affreux dans lequel je vis depuis des années; dites-moi quel est ce prisonnier mystérieux que je ne puis dissocier du visage de mon frère disparu". Le roi fronce les sourcils et parait songeur, Fuis il répond;

-"Vous comprendrez, Madame, que je ne peux trahir pour vous un secret d'état; je vais néanmoins vous en dire plus que la nécessité ne m'y autorise. Ce prisonnier n'est pas votre frère et je suis bien étonné qu'une idée pareille vous soit venue. Si vous avez perdu sa trace c'est que, il y a bien des années, il bommit ce que l'on pourrait appeler une erreur de jeunesse. Il tomba follement amoureux d'une jeune et jolie personne qui, malheureusement, était mariée au plus abominable barbon qui soit. De plus, le mari possédait une haute charge dans l'administration et il était très influent. Il a usé de son pouvoir pour forcer votre frère à laisser là cette affaire et A ne plus penser à la belle dame. Mais le jeune amoureux n'entendit que les mouvements de son coeur et s'embarqua avec sa maîtresse sur un bateau qui devait les emmener jusqu'aux Amériques."

Le roi se tait. Marie comprend qu'il a autre chose à dire; elle le presse de poursuivre:

-"Je ne sais si je dois le faire" répond le roi, embarrassé.

Cependant, devant l'insistance de Marie, il reprend:

-"La suite de l'histoire vous sera, j'en ai peur, bien désagréable. Je me souviens que, peu de temps après la nouvelle de ce départ précipité, nous avons appris que le navire avait été attaqué par des brigands qui n'avaient laissé aucun survivant après leur forfait. Votre frère et l'élue de son coeur ont donc péri ensemble..." Marie baisse la tête, et deux larmes glissent lentement sur ses joues. Ainsi, telle est la vérité: elle qui aimait tant son frère ne le reverra plus jamais; cet être doux et rieur fut emporté par les flots au printemps de sa vie...

Marie est bouleversée; et ressent un poids immense sur ses épaules. Le roi, d'un geste plein de tendresse, lui prend la main.

-"Chère amie, ne pleurez pas, vos larmes ne pourront rien changer. La meilleure preuve d'amour que vous puissiez donner à votre frère, c'est de garder toujours au fond du coeur son souvenir, avec la certitude què, près de Dieu, il est heureux maintenant. Il est d'ailleurs grand temps que vous pensiez, vous aussi, à votre bonheur. Séchez vos larmes, et acceptez, s'il vous plaît, mon affection. Vous serez désormais la soeur que je n'ai pas eue. J'espère que la vie vous sera douce et agréable..."

Marie lève la tête, et sourit.

Au bras du Roi-Soleil, elle rentre alors au château.

Demain vont commencer les grandes fêtes qui marqueront le passage au XVIIIème siècle...

Conclusion[modifier | modifier le wikicode]

Après les somptueuses fêtes qui ont marqué l'année 1700, il reste encore à Louis XIV quinze ans à vivre. La fin de son règne s'oppose à l'apogée de puissance qu'il a connue jusqu'alors. Une époque funeste et désastreuse s'installe sur la France, marquée notamment par les révoltes des Camisards, protestants des Cévennes. Par ailleurs la guerre de Succession d'Espagne est déclarée. Louis XIV veut que son petit-fils Philippe V préserve ses droits sur l'Espagne. Cette guerre débutée en 1701, prend fin avec les Traités d'Utrecht signés en 1713, complétés l'année suivante par le traité de Rastadt. Philippe V garde l'Espagne et ses colonies. Louis XIV conserve les plus importantes conquêtes de son règne, c'est-à-dire l'Alsace, le Roussillon, l'Artois, la Flandre et la Franche-Comté. Mais la France est épuisée.

Jusqu'à ses derniers jours, Louis XIV se considère comme un monarque de droit divin. Un célèbre portrait, peint en 1701 par Hyacinthe Rigaud, le représente debout, couvert du manteau royal, l'immortalisant ainsi pour l'éternité. Cependant, le temps des épreuves est venu pour le roi, plus solitaire que jamais. Une série de deuils vont, au cours des quinze dernières années, assombrir sa vieillesse: en 1701 meurt son frère Philippe et Jacques II d'Angleterre. Puis, en 1711, le Grand Dauphin est emporté par la petite vérole ; l'année suivante, la duchesse et le duc de Bourgogne meurent de la même épidémie, suivis de leur fils aîné. Le trône revient au cadet, le duc d'Anjou, arrière-petit-fils de Louis XIV. Ces malheurs accablent le roi qui, avec lassitude, continue de travailler, présidant les conseils et les cérémonies.

Le 1er Septembre 1715, il meurt à Versailles.

Madame de Maintenon se retire définitivement à Saint-Cyr et meurt quatre ans plus tard.

Liste des personnages historiques du récit[modifier | modifier le wikicode]

A[modifier | modifier le wikicode]

  • ANNE d'AUTRICHE: 1601-1666. Reine de France. Fille de Philippe III Espagne. Femme de Louis XIII. Mère de Louis XIV et de Philippe d'Orléans. Régente de 1643 â 1661.
  • ARTAGNAN (Charles de Batz, comte de Montesquiou, seigneur d'): 1611-1673. _entilhomme gascon. Capitaine des Mousquetaires. Maréchal de camp en 1662.

B[modifier | modifier le wikicode]

  • BEAUFORT (François de Bourbon-Vendôme, duc de): 1616-1669. Petit-fils 3 tard d'Henri IV. Surnommé le Roi des Halles durant la Fronde.
  • BEAUNOHT de PEREFIXE <Hardouin de): 1605-1670. Prélat français. =récepteur de Louis XIV.
  • BEJART (Armande): 1642-1700. Commédienne. Femme de Molière.
  • BOILEAU (Nicolas): 1636-1711. Ecrivain français. Historiographe du roi en _t?7. Principal ennemi de Charles Perrault dans la "Querelle des Anciens et es Modernes" en 1693.
  • BOSSUET (Jacques): 1627-1704. Prélat et écrivain français. Evêque de :dom en 1669. Précepteur du Grand Dauphin de 1670 à 1680. Evêque de Meaux en
  • BOURGOGNE <Louis de France, duc de): 1682-1712. Fils du Grand Dauphin et Marie-Anne-Christine de Bavière. Petit-fils de Louis XIV. Père de Louis Â.

C[modifier | modifier le wikicode]

  • CHAPELAIN (Jean): 1595-1674. Critique et poète français.
  • CHARLES 1er: 1600-1649. Roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. Fils de a:-ques ler Stuart. Epoux d'Henriette de France. Ii fut décapité, sur ordre du Parlement.
  • CHARTRES <Mademoiselle de Blois, duchesse de): 1677-1749. Fille naturelle Louis XIV et de Madame de Montespan.
  • CHEVREUSE (Duchesse de): 1600-1679. Dame française. Prit part à la Cabale !_s Importants puis à la Fronde.
  • COLBERT (Jean-Baptiste): 1619-1683. Homme politique français. Recommandé zar Mazarin à Louis XIV. Intendant des Finances en 1661. Contrôleur général es finances en 1665.
  • CONDE (Louis de Bourbon, prince de, dit "Grand Conde"): 1621-1686. Cousin Louis XIV. Frère de la duchesse de Longueville et du prince de Conti. Sa _amine souleva la Guyenne lors de la Fronde des Princes.
  • CONTI (Armand de Bourbon, prince de): 1629-1666. Cousin de Louis XIV. Frère de la duchesse de Longueville et du Grand Condé.
  • CORNEILLE (Pierre): 1606-1684. Poète dramatique français.
  • COYSEVOX (Antoine): 1640-1720. Sculpteur et décorateur français.

D[modifier | modifier le wikicode]

  • DANGEAU (Philippe de Courcillon, marquis de): 1638-1720. Mémorialiste français. Aide de camp de Louis XIV. Gouverneur de Touraine. Connu pour son habileté au jeu.
  • DU PARC (Thérèse de Gorle, dite la): 1633-1668. Commédienne française. Femme du comédien René Berthelot, sieur Du Parc, dit "Gros-René", mort en 1664. Maîtresse de Jean Racine,
  • DUQUESNE (Abraham, marquis): 1610-1668. Marin français. F

F[modifier | modifier le wikicode]

  • FENELON (François de Salignac de la Mothe): 1651-1715. Prélat français. Précepteur du duc de Bourgogne de 1689 à 1694.
  • FONTENELLE (Bernard Le Bovier de): 1657-1757. Philosophe et poète français. Elu à l'Académie française en 1691, à l'Académie des Sciences en 1697.
  • FOUQUET (Nicolas): 1615-1680. Homme politique français. Surintendant des Finances en 1653. Arrêté en 1661, il fut emprisonné jusqu'à sa mort.

G[modifier | modifier le wikicode]

  • GASTON d'ORLEANS; 1608-1660. dit MONSIEUR. Frère de Louis XIII. Père de la Grande Mademoiselle.
  • GODEAU (Antoine): 1605-1672. Evêque et écrivain français. Surnommé le "nain de Julie" (Julie d'Angennes, fille de Madame de Rambouillet).
  • GRAND DAUPHIN (Louis de France, dit): 1661-1711. Fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche. Marié en 1679 à Marie-Anne-Christine de Bavière. Eut trois fils: Louis (duc de Bourgogne), Philippe (duc d'Anjou), Charles (duc de Berry).
  • GRANDE MADEMOISELLE (Anne-Marie-Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier, dite): 1627-1693. Cousine germaine de Louis XIV. Fille de Gaston d'Orléans.
  • GRIGNAN (Françoise-Marguerite, comtesse de): 1646-1705. Fille de Madame de Sévigné à qui celle-ci écrivit de nombreuses lettres devenues célèbres.
  • GUILLAUME III d'ORANGE: 1650-1702. Fils de Guillaume II et petit-fils de Charles ler d'Angleterre par sa mère. Stathouder de Hollande en 1674. Roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande en 1689.

H[modifier | modifier le wikicode]

  • HENRI IV: 1553-1610. Roi de France de 1589 à 1610. Roi de Navarre de 1572 à 1610. Fils d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret, reine ne Navarre. Epoux de Marguerite de Valois, puis de Marie de Médicis dont il eut quatre enfants: Louis XIII, Gaston d'Orléans, Elisabeth (femme de Philippe IV d'Espagne) et Henriette (femme de Charles ler d'Angleterre).
  • HENRIETTE d'ANGLETERRE <Duchesse d'Orléans): 1644-1670. Fille de Charles 1er d'Angleterre et d'Henriette-Marie de France. Première femme de Philippe d'Orléans (frère de Louis XIV).

J[modifier | modifier le wikicode]

  • JACQUES II: 1633-1701. Fils de Charles ler d'Angleterre. Roi de _rande-Bretagne et d'Irlande. Succéda à son frère Charles II. Eut pour gendre guillaume III d'Orange.

L[modifier | modifier le wikicode]

  • LA BRUYERE (Jean de): 1645-1696. Moraliste français. Précepteur puis secrétaire du duc de Bourbon (petit-fils du Grand Condé).
  • LA FAYETTE (Marie-Madeleine Pioche, comtesse de): 1634-1693. Femme de lettres française.
  • LA FONTAINE (Jean de): 1621-1695. Poète français.
  • LA PORTE (Pierre de): 1603-1680. Valet de chambre de Louis XIV.
  • LA QUINTINIE (Jean de): 1626-1688. Agronome français, Directeur des 4ardins fruitiers et potagers des maisons royales.
  • LA ROCHEFOUCAULD (François, duc de): 1613--1680. Ecrivain moraliste français.
  • LA THORILLIERE (François de, dit "Le Noir"): 1626-1680. auteur et acteur français. Joua dans la troupe de Molière.
  • LA VALLIERE (Louise Françoise de la Baume Le Blanc, duchesse de): :4 4-1710. Favorite du roi Louis XIV en 1661.
  • LE BRUN (Charles): 1619-1690. Peintre et décorateur français. Secrétaire, _--:s directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Premier -cintre du roi en 1662.
  • LE NOTRE (André): 1613-1700. Jardinier français, Jardinier du roi en Contrôleur des bâtiments royaux.
  • LE VAU (Louis): 1612--1670. architecte et décorateur français. Premier architecte du roi en 1654.
  • LONGUEVILLE (Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de): 1619-1679. Soeur _.rand Condé et du prince de Conti.
  • LONGUEVILLE (Henri II, duc de): 1595-1663. Epoux d' Anne-Geneviève de z-rbon, soeur du Grand Condé. Pair de France. Gouverneur de Picardie puis de Izr:landie .
  • LOUIS XIII <dit le Juste):v 1601-1643. Fils d'Henri IV et de Marie de ?^à iris. Roi de France de 1610 à 1643. Epoux d' Anne d'Autriche. Père de Louis 1:7 et de son frère Philippe.
  • LOUIS XIV (dit le Grand): 1638-1715. Fils de Louis XIII et d'Anne i'Autriche. Roi de France de 1643 à 1715. Epoux de Marie-Thérèse d'Autriche. père du Grand Dauphin.
  • LOUVOIS (François Michel Le Tellier): 1639-1691. Homme politique français. Fils du chancelier Michel Le Tellier. Secrétaire à la guerre.
  • LULLY (Jean-Baptiste): 1632-1687. Compositeur français d'origine :-alienne. Directeur de l'Académie royale de musique en 1672.

M[modifier | modifier le wikicode]

  • MAIRE (Louis-Auguste, duc du): 1670-1736. Enfant naturel de Louis XIV et Xadame de Montespan. Eut pour gouvernante Madame de Maintenon.
  • MAIHTEHOB (Françoise d'Aubigné, marquise de): 1635-1719, Dame française. Petite-fille du poète Agrippa d'Aubigné. Epoux du poète Scarron, Gouvernante des enfants de Louis XIV et de Madame de Montespan. Epousée secrètement par Louis XIV en 168:3.
  • MALHERBE (François de): 1555-1628. Poète français.
  • MAHCINI (Marie): 1640-1706. Nièce de Mazarin. Aimée de Louis XIV en 1659 Epouse du Prince Colonna en 1661.
  • MANSART (Jules Hardouin): 1646-1708. Adopta le nom de Mansart en 1668. Premier architecte du roi en 1681. Surintendant des Bâtiments royaux en 1689.
  • MARIE-AINE-CHRISTINE de BAVIERE: 1660-1690. Fille de l'électeur Ferdinand. Epouse du Grand Dauphin dont elle eut trois fils: Louis, Philippe et Charles.
  • MARIE de MEDICIS: 1573-1642. Reine de France. Fille du grand-duc de Toscane et de l'archiduchesse Jeanne. Seconde femme d'Henri IV. Régente en 1610.
  • MARIE-THERESE d'AUTRICHE: 1638-1683, Reine de France. Fille de Philippe IV d'Espagne. Epouse de Louis XIV en 1660. Mère du Grand Dauphin.
  • MAZARIN (Jules): 1602-1661. Cardinal et homme politique français d'origine italienne. Parrain de Louis XIV. Ministre de Louis XIV.
  • MEHAGE (Gilles): 1613-1692. Erudit et écrivain français, *ISEZERAY (François Eudes de): 1610-1683, Historien français. Historiographe du roi. Publia, de 1643 à 1651, une "Histoire de France".
  • MOLIERE (Jean-Baptiste Poquelin, dit): 1622-1673. Auteur dramatique et comédien français. Son ancienne troupe fusionna, en 1680, avec celle de l'Hôtel Guénégaud pour donner naissance à la Comédie Française.
  • MONTAUSIER (Charles de Sainte-Maure, duc de): 1610-1690. Gentilhomme français. gouverneur du Grand Dauphin. Epoux de Julie d'Angennes, une des filles de la marquise de Rambouillet.
  • MONTCHEVREUIL (Henri de Mornay, marquis de): 1622-1706. Page de Gaston d'Orléans. Gouverneur du duc du Maine. Témoin au mariage de Louis XIV et de Madame de Maintenon.
  • MDNTESPAN (Françoise Athènaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de): 1641-1707. Dame française. Favorite de Louis XIV à partir de 1667. Eut huit enfants de Louis XIV dont six survécurent.

N[modifier | modifier le wikicode]

  • NANTES (Mademoiselle de): 1673-1743. Fille naturelle de Louis XIV et de Madame de Montespan.
  • PALATINE (Charlotte-Elizabeth de Bavière, princesse): 1652-1722. Fille de Charles-Louis, électeur palatin. Seconde femme de Philippe d'Orléans (frère de Louis XIV). Eut pour fils le futur Régent.
  • PASCAL (Blaise): 1623-1662. Savant, penseur et écrivain français. PERRAULT (Charles): 1628-1703. Ecrivain français. Membre de l'Académie française en 1671.
  • PHILIPPE d'ORLEAHS (Du, Ir-YSIEUR à la mort de Gaston _.Isis XIV. Epoux d'Henriette
  • PHILIPPE IV d'ESPAGNE: Père de l'infante Marie d'Anjou, puis duc d'Orléans): 1640-1701. Appelé (frère de Louis XIII) en 1660. Fr-ère cadet de d'Angleterre, puis de la Princesse Palatine. 1605-1665. Roi d'Espagne. Successeur de Philippe Thérèse (femme de Louis XIV).
  • PHILIPPE V d'ESPAGNE: 1683-1746. Roi d'Espagne en 1700. Second fils du Grand Dauphin. Petit-fils de Louis XIV. Porta d'abord le titre de duc d'Anjou. Succéda à Charles II d'Espagne. Marié à Marie-Louise Gabrielle de Savoie, puis I Elisabeth Farnèse.

R[modifier | modifier le wikicode]

  • RACAN (Honorat de Bueil, marquis de): 1589-1670. Poète français. Académicien et soldat.
  • RACINE (Jean): 1639-1699. Poète dramatique français. Historiographe du roi en 1677.
  • RAIMOUILLET (Catherine de Vivonne, marquise de): l588-1655. Dame française. Connue pour les réunions littéraires qu'elle organisa dans son h3 te 1.
  • RETZ (Paul de Gondi, cardinal de): .1613-1679, Homme politique et écrivain français. Ecclésiastique sans vocation. Participa à la Fronde.
  • RICHELIEU (Armand du Plessis, duc de): 1585-1642. Cardinal et homme politique français. Evêque de Luçon en 1607. Secrétaire d'Etat de Marie de Médicis en 1616. Ministre de Louis XIII jusqu'à sa mort.
  • RIGAUD (Hyacinthe): 1659-1743. Peintre français. Portraitiste attitré de Louis XIV.
  • ROTROU (Jean): 1609-1650. Poète dramatique français.

S[modifier | modifier le wikicode]

  • SCUDERY (Georges de ): 1601-1667. Auteur dramatique français. Frère de Madeleine de Scudéry.
  • SCUDERY (Madeleine de): 1607-1701. Romancière française.
  • SEGRAIS (Jean Regnault de): 1624-1701. Poète français. Prête-nom pour les premières oeuvres de Madame de La Fayette.
  • SEVIGNE (Marie de Rabutin-Chantal, marquise de): 1626-1696. Femme de lettres française. Est connue pour ses Lettres qui ne furent publiées qu'à partir de 1725.

T[modifier | modifier le wikicode]

  • TOULOUSE (Louis-Alexandre de Bourbon, comte de): 1678-1737. Enfant naturel de Louis XIV et de Madame de Montespan.
  • TOURVILLE (comte de): 1642-1701. Amiral français.
  • TURBINE (vicomte de): 1611-1675. Maréchal de France en 1660. V

V[modifier | modifier le wikicode]

  • VAUBAN (Sébastien): 1633-1707. Maréchal de France. Commissaire des fortifications en 1678.
  • VAUGELAS (Claude Favre, seigneur de): 1585-1650. Grammairien français. Dirigea les travaux de l'Académie françase.
  • VILLEROY (Nicolas de Neufville, duc de): 1597-1685. Gouverneur de Louis XIV.
  • VINCENT de PAUL (saint): 1581-1660. Prêtre français.
  • VOITURE (Vincent): 1597-1648. Poète et épistolier français.