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Villes/Nice/Université populaire/CR/443 mars - L'esprit antidémocratique des fondateurs de la démocratie moderne

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Compte rendu de l'atelier sur L'esprit antidémocratique des fondateurs de la "démocratie" moderne De Francis Dupuis-Deri[modifier | modifier le wikicode]

443 mars (17 mai 2017)

Présentation[modifier | modifier le wikicode]

Dans la présentation il s'agit essentiellement de citer le livre qui est déjà suffisamment concis pour servir de base à une présentation d'atelier.

Introduction[modifier | modifier le wikicode]

Aujourd'hui, presque tous les acteurs et les penseurs politiques se réclament de la démocratie. Or, les fondateurs de nos démocraties représentatives étaient ouvertement antidémocrates, utilisant le mot « démocratie » pour désigner et dénigrer leurs adversaires trop radicaux. Ce paradoxe – des antidémocrates qui fondent les soi-disant « démocraties » modernes – apparaît très clairement lorsqu’on se plonge dans la lecture des discours, des pamphlets, des articles de journaux, des lettres personnelles ou des poèmes de l’époque révolutionnaire, tant américaine que française. En fait, la force quasi incantatoire que possède le mot « démocratie » aujourd’hui nous fait oublier que, pendant plus de deux mille ans, le terme « démocratie » eut un sens très négatif pour pratiquement tous les penseurs politiques, et qu’aucun acteur politique ne s’en est fait le champion.
Depuis Athènes, on entendait par « démocratie » le gouvernement direct d’un peuple assemblé à l’agora pour proposer des lois, en débattre et les voter. Bien sûr, la démocratie athénienne n’était pas parfaite, les femmes, les esclaves et les métèques en étant exclus. Mais ce problème d’exclusion – qui mérite d’être pensé – n’eut que peut de résonance pendant deux mille ans, puisque les régimes monarchiques, impériaux ou soi-disant « démocratiques » pratiquaient presque toujours eux-mêmes l’esclavagisme et l’exclusion des femmes de la sphère publique. La définition de la démocratie s’intéressait donc peu à ces problèmes, qui n’en étaient pas aux yeux des penseurs et des acteurs politiques. Ils se concentraient plutôt sur la forme du gouvernement direct de la démocratie, considérée comme incompatible avec toute espèce de représentation. Cette définition descriptive se doublait d’un sens normatif péjoratif : la démocratie était un régime faible car le peuple est facilement manipulable par des démagogues et se laisse aisément entraîné par ses passions. Pire encore, ce peuple foncièrement irrationnel est incapable de discerner le « bien commun » – expression qui fait l’impasse sur les conflits inhérents à la vie en commun – et risque d’imposer des politiques égalitaires puisqu’à l’agora les pauvres seront toujours plus nombreux que les riches. Bref, la démocratie tendrait inéluctablement vers une de ses deux formes pathologiques : la tyrannie de la majorité ou le chaos. Les pères fondateurs des premières « démocraties » modernes partageaient cette vision de la démocratie.
Nous nous trouvons donc devant une situation des plus paradoxales : nos régimes « démocratiques » ont été fondés par des individus profondément et ouvertement antidémocrates. Cet antidémocratisme, que nous nous proposons ici d’explorer, est un des éléments fondamentaux de nos systèmes représentatifs contemporains. Lors de sa formation, notre régime représentatif n’est pas connu sous le nom de « démocratie » mais plutôt sous celui de « république », deux termes qui ne sont pas synonymes, loin s’en faut. Pourtant, un changement d’étiquette survient, tant aux États-Unis qu’en France, vers la fin de la première moitié du XIXe siècle [1]. Dès lors, des régimes ouvertement antidémocratiques adoptèrent, pour des raisons que l’on appellerait aujourd’hui de marketing politique, l’appellation de « démocratie ». Comme l’antidémocratisme inhérent à notre régime représentatif, cet antidémocratisme des pères fondateurs nous semble s’expliquer sur les plans à la fois sociologique, politique et économique, philosophique et linguistique.


UNE SOCIALISATION ÉLITISTE[modifier | modifier le wikicode]

Dupuis-Deri nous dit que les pères fondateurs de nos républiques (qu'il appelle les patriotes) ont reçu une éducation qui les a poussé à se croire supérieurs. Par exemple il nous dit qu' :

Aristote et Cicéron sont sans nul doute les deux penseurs politiques de l’ère classique qui exercent la plus grande emprise sur l’esprit patriotique. Or ces deux penseurs prônent un régime mixte où les trois ordres – le monarque, les aristocrates et le peuple (ou demos) – se neutraliseraient au sein d’institutions telles que le sénat, la chambre basse, etc. Pareille constitution est dite « républicaine » et, plutôt que de favoriser les intérêts d’un seul ordre au détriment des autres, elle prétend tendre vers le bien commun. C’est d’ailleurs l’étendard républicain que vont brandir les patriotes. Quant à la démocratie, Aristote comme Cicéron s’en méfient, méfiance qu’ils ont transmise aux jeunes patriotes déjà bien disposés à croire que les gens du petit peuple sont dépourvus de discernement politique.
Outre cette méfiance à l’égard d’un régime politique démocratique, les membres de l’élite patriotique sont socialisés à se considérer comme supérieurs. Ils répètent ce qu’ils ont appris : de chaque société émergerait une sorte d’« aristocratie naturelle »
on la retrouve chez Thomas Jefferson [3ème président des Etats Unis] : « Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement »
Selon les membres même de cette aristocratie naturelle, eux seuls détiendraient les compétences pour identifier, défendre et promouvoir le bien commun, alors que les gens du [petit] peuple ne sont motivés que par leur intérêt personnel et immédiat. Cet élitisme des patriotes s’exprime d’ailleurs sans gène dans les discours, pamphlets et lettres personnelles : le peuple est synonyme de « foule », de « populace », de « mob », de « crowd », de « vermine »… bref, d’attributs qui dénotent autant leur antidémocratisme qu’un véritable dédain des gens du peuple.
  
  

UTILISATION POLITIQUE DU MYTHE DE LA « SOUVERAINETÉ »[modifier | modifier le wikicode]

Dupuis-Deri nous explique la nature de la notion de souveraineté populaire :

D’un point de vue politique, les patriotes vont bien sûr s’efforcer de discréditer la légitimité du pouvoir du roi ou de l’aristocratie. Mais ils vont aussi insister sur l’incapacité politique du peuple à se gouverner lui-même. Méprisant les gens du peuple, il est bien normal que les leaders du mouvement patriote ne rêvent pas d’instaurer une démocratie directe. Mais s’ils refusent que l’agora soit le siège du pouvoir, c’est aussi, et surtout, qu’ils veulent le pouvoir pour eux-mêmes.
Jean-Jacques Rousseau dira de l’idée de représentation qu’« elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée [6] ».

Il nous dit ensuite que les patriotes en organisant la révolution voulaient simplement le pouvoir pour eux :

Dans l’Amérique coloniale britannique, les assemblées exercent un très grand pouvoir et nombreux sont les leaders de la guerre d’Indépendance qui siégeaient déjà dans les assemblées coloniales [8]. En France, ce sont les représentants du Tiers États siégeant aux États généraux et bientôt à l’Assemblée nationale qui seront les leaders des mouvements révolutionnaires – ceux-ci ne sont donc pas des exclus qui du passé cherchent à faire table rase. Participant déjà aux institutions politiques, les révolutions vont leur permettre d’augmenter le pouvoir politique de l’institution où ils siègent et par conséquent leur propre pouvoir politique – puis de s’assurer une très avantageuse carrière.
Il n’est donc pas question pour ces représentants de fonder une démocratie – régime qui ne se conçoit encore à l’époque que sous sa forme directe. Le discours des patriotes, s’il condamne bien évidemment l’Ancien régime, dénigre également la démocratie. L’idée qu’ils fondaient des « démocraties » n’a jamais traversé leur esprit, n’utilisant le mot qu’en de très rares exceptions. En fait, l’étiquette de « démocrate » n’est accolée qu’aux plus radicaux pour les discréditer, tandis qu’on insiste sur l’incapacité du peuple à se gouverner lui-même sans l’intermédiaire de représentants.
selon John Adams, un patriote de la première heure qui sera vice-président de George Washington puis président des États-Unis : « L’idée que le peuple est le meilleur gardien de sa liberté n’est pas vraie. Il est le pire envisageable, il n’est pas un gardien du tout. Il ne peut ni agir, ni juger, ni penser, ni vouloir [12] ». On peut difficilement imaginer un antidémocratisme et un mépris du peuple plus clairement exprimés et assumés.
Ne pouvant que difficilement se référer à Dieu ou au sang, leur légitimation sera le peuple. Mais un peuple étrangement désincarné. Car, on l’a vu, le peuple est déclaré politiquement taré, fruit d’un mépris politique, économique, culturel et psychologique. Politiquement taré, le peuple a donc besoin de représentants, comme le lui expliquent d’ailleurs ses représentants…
Ainsi Brissot [un révolutionnaire français influent], suivant cette idée très partagée, déclara que le « peuple seul a le droit de se constituer, mais il n’en a pas le talent ; il doit donc confier une partie de son droit à ceux qui en ont le talent » [16] – un talent dont Brissot, bien sûr, se croit doté. De l’autre côté de l’Atlantique, le pasteur de Nouvelle Angleterre James Belknap dira pour sa part [17] : « Tenons comme principe que le gouvernement tire son origine du peuple, mais qu’on enseigne au peuple qu’il n’est pas apte à se gouverner lui-même ». (Là encore, les exemples abondent qui reflètent un état d’esprit généralisé, la même idée se retrouvant sur les lèvres ou sous la plume de presque tous les chefs révolutionnaires, qui tentaient tout autant de convaincre le peuple qu’eux-mêmes…)
Enfin, plus lucide ou, à tout le moins, plus honnête, le représentant Lambert rappelle au Comité de salut public que le « peuple [qui est souverain…] n’est qu’un être purement métaphysique ». Quelle belle expression pour dire ce que personne n’entend voir : que le discours autour de la souveraineté populaire est un leurre ; que, pour n’être plus ni esclave ni sujet, le peuple reste aliéné car dépossédé du véritable pouvoir. Le peuple n’est souverain que sur le plan métaphysique. Sur le plan politique, il n’est rien.
Les débats étaient virulents, se transformant parfois en véritables coups de force – comme la rébellion de Shays en Amérique ou celle des sans-culottes en France. Toutefois, aux États-Unis, les tensions entre partisans de la représentation et démocrates sont presque inexistantes [22], l’utilisation péjorative du mot « democracy » servait à miner la crédibilité de constitutions plus radicales, comme l’unicaméraliste de Pensylvannie [23]. En France, certains révolutionnaires radicaux comme les sans-culottes, s’inspirant notamment de Rousseau, voulaient contrer le régime représentatif, lui préférant le pouvoir direct des sections, préférant les mandataires aux représentants. (Contrairement au représentant, le mandataire ne fait qu’exprimer la volonté de ses commettants, il doit taire sa propre volonté [24].)
Ce fut finalement le discours de la souveraineté populaire représentée qui l’emporta sur celui de la souveraineté populaire exercée. John Adams et James Madison en Amérique, Sieyès, Brissot et Robespierre en France seront parmi les plus importants propagandistes du système représentatif, qu’ils entendent légitimer, mais aussi contrôler. Voilà une belle brochette de représentants du peuple dont les efforts sont surtout consacrés à justifier leur propre fonction. Faite de membres autoproclamés de l’« aristocratie naturelle », cette élite serait nécessaire, estime Sieyès faisant écho à Brissot, car les représentants sont « bien plus capables [que le peuple] de connaître l’intérêt général » ; et de conclure que « la France n’est point, ne peut pas être une démocratie » car le « peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. [25] » Doit-on s’étonner que Sieyès soit lui-même un représentant et que ces déclarations soient faites à l’Assemblée nationale ?
Pourquoi cette négation de la compétence du peuple ? Les patriotes savaient pourtant que, dans une démocratie directe comme Athènes, les citoyens appelés à combler des postes officiels ne détenaient presque aucun pouvoir décisionnel et, surtout, qu’ils étaient le plus souvent désignés par tirage au sort. On tirait au sort précisément parce qu’on accordait à chaque citoyen un jugement politique et la capacité d’exprimer sa volonté politique. L’élection était au contraire considérée comme aristocratique car supposant des citoyens plus à même que d’autres de prendre des décisions politiques [26]. Mais les patriotes ne retiendront pas le tirage au sort – qui rendrait inutile leur rôle de représentants –, l’idée d’aristocratie naturelle venant parfaire le principe de représentation, qui, selon Thomas Jefferson, « a rendu inutile presque tout ce qui a déjà été écrit au sujet de la structure du gouvernement [27] ».

DISCOURS ANTIDÉMOCRATIQUE & PEUR DES PAUVRES[modifier | modifier le wikicode]

À cet antidémocratisme s’ajoutait une peur du pauvre et de l’égalitarisme. Selon une idée alors largement répandue, comme tous ceux qui n’étaient pas autonomes financièrement (esclaves, femmes et salariés), les pauvres ne pouvaient avoir de pensée autonome et rationnelle. John Adams écrit ainsi : « Telle est la fragilité du coeur humain que seulement quelques hommes qui n’ont pas de propriété possèdent un jugement qui leur soit propre [28] ».
À ce mépris qu’affichait l’« élite » patriotique quant aux capacités politiques du peuple, se doublait la peur que, une fois au pouvoir, celui-ci ne s’attaque à la propriété privée et n’instaure l’égalitarisme : comme les royalistes, les républicains craignaient la démocratie directe et l’aspiration égalitaire des pauvres – l’égalitarisme était alors clairement associée aux excès de la démocratie.

JUSTIFICATIONS PHILOSOPHIQUES[modifier | modifier le wikicode]

L’idéologie représentative sera enfin complétée par Benjamin Constant dans son célèbre et brillant discours De la liberté des anciens comparée à la liberté des modernes. Le système représentatif y est dépeint comme le seul respectant l’« esprit des modernes », c’est-à-dire une philosophie où l’individu moderne n’aurait comme perspective politique que le système représentatif. Selon Constant, les anciens concevaient la liberté comme la possibilité de participer aux décisions politiques. Les modernes, au contraire, se sentiraient libres lorsqu’ils pourraient se consacrer à leurs affaires privées… D’où l’intérêt pour les modernes du système représentatif, qui permet aux représentés de ne pas avoir à s’investir dans la sphère publique. Cette idée n’est pas nouvelle, qui avait déjà été exposée entre autres par Sieyès, pour lequel la grande majorité des Français n’ont pas « assez d’instruction, ni assez de loisir pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France » – ajoutant, non sans cynisme, que, « puisque c’est l’avis du grand nombre, les hommes éclairés doivent s’y soumettre comme les autres » [39].
Malgré ses qualités, Constant incarne bien ce délégué cynique et manipulateur qui dissimule son antidémocratisme derrière de belles paroles, cherchant à légitimer aux yeux des électeurs sa propre ambition politique. Sans vergogne, Constant présenta sa thèse en pleine campagne électorale alors qu’il était lui-même candidat : ses concitoyens doivent en effet rester chez eux pour lui permettre de les diriger en leur nom et à leur place. Bref, Constant a soif de cette liberté des Anciens car il veut gouverner, mais il refuse cette liberté à ses concitoyens.
La boucle est bouclée : 1. le représentant exprime ouvertement son mépris pour un peuple politiquement incompétent à discerner le bien commun ; 2. le représentant en déduit la nécessité pour la souveraineté populaire d’être représentée ; 3. il se désigne comme membre de l’élite éclairée qui saura discerner, défendre et promouvoir le bien commun ; 4. ainsi défini, le bien commun ne peut s’accommoder de l’esprit égalitaire et les revendications des pauvres doivent être jugulées ; 5. l’élite politique prend donc le parti de l’élite économique tout en expliquant aux citoyens qu’ils ne peuvent trouver leur bonheur que dans l’espace dépolitisé de la sphère privée.
Historiquement hérité du régime monarcho-féodal, le système représentatif moderne est philosophiquement légitimé par l’antidémo­cratisme de ceux qui l’ont instauré.

LANGAGE : L’ANTIDÉMOCRATISME DISSIMULÉ[modifier | modifier le wikicode]

Aux États-Unis, le mot « démocratie » acquiert un sens positif quand apparaissent les grands partis politiques. En France ce renversement de sens correspond à l’octroie du suffrage universel aux hommes et la montée des pressions socialistes. Un telle « manipulation langagière » ne s’est pas faite seule, mais fut orchestrée par l’élite politique ; son but, jouer sur l’imaginaire pour asseoir la légitimité des représentants. Désigner les républiques comme démocratiques ne fut qu’une manoeuvre pour faire croire que ce système répondait aux intérêts du peuple – du demos. Comme le révèlent les textes de l’époque, cette stratégie, que nous appellerions aujourd’hui du marketing politique, est clairement mise en place par l’élite politique. Ainsi, selon le Boston Quarterly Review (11 janvier 1839) « un parti qui ne serait pas perçu comme démocratique ne peut même pas devenir une minorité respectable [40] ». Ainsi, l’ancêtre du parti Démocrate américain, d’abord officiellement connu sous le nom de parti Républicain, adopte en 1828 le nom de Democratic Republican pour ne devenir finalement parti Démocrate qu’en 1840. Mieux encore, son opposant conservateur adopte un discours pro-démocratique, aussitôt dénoncé par les « démocrates » : les conservateurs « prétendent être démocrates seulement parce qu’ils savent que le peuple est si attaché à ce mot qu’il ne votera pas pour un parti qui ne le porte pas » (avril 1840, Quarterly Revier de Boston) [41].

L’« AGORAPHOBIE » COMME CONCEPT POLITIQUE[modifier | modifier le wikicode]

Pour sortir du piège de langage derrière le mot démocratie, Dupuis-Deri nous propose un autre concept :

Un nouveau concept politique pourrait nous permettre de penser ce qui ne semble pouvoir l’être : l’antidémocratisme de notre démocratie moderne. Nous proposons un concept emprunté à la psychologie : l’agoraphobie – « peur injustifiée, parfois accompagnée de vertige, que certaines personnes éprouvent lorsqu’elles se trouvent dans des lieux publics et de grands espaces découverts. L’agoraphobique, affolé à l’idée de devoir traverser une place ou d’être mêlé à la foule, préfère les éviter [42] ». L’agora, qui inspira le concept, est la place publique constituant le coeur politique et économique de la cité démocratique en Grèce antique, où se réunissaient les citoyens pour exercer directement leur pouvoir [43].
Passant en politique, l’agoraphobie décrit cette méfiance à l’égard d’un peuple se gouvernant seul, sans que sa volonté ne soit filtrée par des représentants. Le philosophe ou l’acteur politique qui souffre d’agoraphobie politique craint la démocratie directe, ce « chaos », cette « tyrannie de la majorité ». Peur du peuple au pouvoir, l’agoraphobie politique est aussi un mépris des capacités politiques du peuple.
Un tel concept n’aurait pas été utile lors de l’instauration de nos gouvernements représentatifs, les politiciens de l’époque se déclarant alors ouvertement antidémocrates. Mais depuis, nommant « démo­cratie » un système politique fondé sur des bases antidémocratiques, les politiciens se disant « démocrates » ont piégé la pensée à la manière du « Big brother » de 1984. Ce coup de force piège la critique de l’agoraphobie de nos républiques. Il fait de la naissance des « démocraties » modernes une rupture avec un ordre ancien où le peuple ne détenait pas le pouvoir. Rien n’est moins faux : suivant l’esprit des fondateurs, le système représentatif n’est qu’une forme raffinée d’incarnation de cette agoraphobie qui a toujours caractérisé la pensée et l’action politique. Il y eut quelques rares expériences dénuées d’agoraphobie – comme Athènes ou les communes anarchistes –, mais notre système représentatif n’en fait pas partie. 

Discussion[modifier | modifier le wikicode]

Audio de l'atelier[modifier | modifier le wikicode]

https://www.youtube.com/watch?v=o_gLOryfbbg