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Villes/Nice/Université populaire/CR/513 Mars - L'Ethique de Spinoza vue à travers Arne Naess

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L'Ethique de Spinoza vue à travers Arne Naess[modifier | modifier le wikicode]

513 mars (26 juillet 2017)

Son de l'atelier[modifier | modifier le wikicode]

https://www.youtube.com/watch?v=pclFk9uyb0w

Présentation[modifier | modifier le wikicode]

Présentation de L'Ethique de Spinoza selon Arne Naess par Jean-Luc[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 60/70 on considérait que les deux philosophes importants qui ont influencé Marx étaient Spinoza pour le matérialisme et Hegel pour la dialectique. (en guise de digression, le titre d'un roman de Jean-Bernard Pouy : "Spinoza encule Hegel", avec une suite en 80/90, qui s'intitulait "à sec").

L'Ethique n'est pas l'ouvrage le plus politique de Spinoza (il y a par exemple le traité théologico-politique), mais c'est sans doute le plus difficile. Il s'agit d'une analyse globale de la réalité, du cosmos.

L'éthique est bâtie un peu de manière géométrique, à la manière d'Euclide, avec des axiomes, théorèmes et. comme un ouvrage scientifique. Pour l'analyser précisément il faudrait entrer dans le détail des propositions, et par ailleurs s’appuyer sur le texte original latin. Ici il s'agit d'une présentation approximative qui s'appuie sur une version traduite.

Au début de l'Ethique, Spinoza donne 4 définitions essentielles :

  • Par substance j'entends ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être formé.
    • La substance c'est l'attribut fondamental. L'idée traditionnelle, libérale, c'est que la substance c'est l'individu.
  • Par attribut j'entends ce que l'entendement perçoit de la substance comme constituant son essence.
    • Les attributs sont les caractéristiques de la substance. Si on est religieux c'est l'âme, si on est matérialiste réductionniste c'est l'ADN, si on est matérialiste moins réductionniste, c'est un certain nombre d'éléments qui me constituent (date de naissance, contexte où je suis né, j'ai grandi etc.).
  • Par mode les affections de la substance, autrement dit ce qui est en autre chose par quoi il est aussi conçu.
    • Les modes sont les caractéristiques changeantes, accessoires de la substance. Par exemple je peux être calme, déprimé, enjoué par moments.
  • Par Dieu j'entends un être absolument infini, c'est-à-dire une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.
    • Dieu c'est... dieu, et il est aussi la substance toute entière. "Deus sive natura" (Dieu ou la nature) : qu'on dise dieu ou la nature, on désigne la même chose.

Depuis le 19ème siècle, on le comprend traditionnellement comme si les modes étaient des caractéristiques peu importantes, alors que la substance et les attributs sont vraiment les choses importantes. Les attributs de la substance selon Spinoza sont au nombre de deux : l'esprit et la pensée, et il ne reste plus que les modes changeants pour caractériser les individus singuliers que nous sommes.

Dans cette vision traditionnelle nous sommes donc des modes peu importants dont la substance pourrait tout aussi bien se passer. La substance est tout, chaque être particulier n'est rien... dans ce cas pourquoi se fatiguer à faire quoi que ce soit puisque nous ne sommes rien ? Ca donne une vision assez désespérante de notre condition.

Ca donne aussi une vision de la réalité complètement statique. Quoi qu'on fasse nous sommes des épiphénomènes et le réel se ferait sans nous comme avec nous. On comprend alors Spinoza comme un philosophe de la substance, de l'immuabilité du réel. Certains philosophes disaient alors que ce dont nous avons besoin c'est plutôt d'une philosophie du mouvement, du changement.

Et c'est là que Arne Naess apporte une vision totalement différente de Spinoza...

[Naess est un théoricien de l'écologie profonde qui est parfois mal comprise. Certains écologiste de droite disent "l'être humain menace la planète, donc comme il est peu important il faut le détruire pour sauver la planète". L'écologie profonde de Naess insiste sur le fait que c'est pour la réalisation de chacun que chaque être humain doit avoir conscience que le monde ne se limite pas à notre nombril. Le reste compte aussi. Tout ne doit pas être conçu par rapport à nous.]

La formule provocante de Naess c'est : sans mode pas de dieu ni de substance. Et ça se comprend bien : on peut bien dire que le fait que je sois triste, joyeux etc. ne soit pas important et que ce qui compte c'est que je sois moi, mais si on m'enlève toutes mes caractéristiques changeantes, mes états d'humeur, affections, qu'est-ce qu'il me reste encore de moi ? Le silence. Il ne reste rien.

En donnant une importance aux modes, Naess donne de l'importance aux singularités des êtres humains, et donc une importance à chaque individu. Mais en même temps la substance a une importance aussi, ce qui constitue une critique d'un individualisme extrême : selon la vision libérale il n'y a pas besoin de connaître les autres individus pour connaître un individu, mais si on fait partie de la même substance alors on n'existe pas seul mais à travers les relations qu'on a avec les autres. Chacun d'entre nous est donc unique dans son individualité, mais existe et se définit dans une interdépendance avec les autres.

Chaque individu est lui-même, mais pour autant les autres sont constitutifs aussi de nous et nous sommes constitutifs d'eux.

Discussion[modifier | modifier le wikicode]

  • Dans la vision traditionnelle de Spinoza nous ne sommes rien comme nous ne sommes rien pour Macron ?
    • Pour Macron il y en a qui ne sont rien, et d'autres qui sont quelque chose.
  • Nous n'avons pas beaucoup de durée. Qu'est-ce que 80 ans par rapport à l'infini ou l'éternité de l'univers ?
  • Mathieu : j'ai toujours pensé que tout était complémentaire. Ca formerait une unité globale.
    • Pas sûr que le terme complémentaire soit adapté (en mathématique en tout cas, dans la théorie des ensembles, le complémentaire d'un ensemble c'est tous les éléments qui sont en dehors d'un ensemble).
      • Il s'agirait de dire que c'est par la complémentarité que la multiplicité devient unité.
        • Oui si on remplace complémentarité par pluralité ça correspond bien à ce qu'on trouve chez Naess.
  • Sur l'aspect non libéral : est-ce que c'est Spinoza qui dit lui-même qu'on a besoin des autres pour former nos modes, ou est-ce que c'est ce qu'ajoutent d'autres gens comme Naess ou Jean-Luc ?
    • Jean-Luc : c'est la façon dont je le comprends après avoir lu Naess, je n'ai pas relu l'Ethique pour vérifier si ça résiste à une relecture de l'Ethique. Et par ailleurs, Naess dit qu'il ne prétend pas donner la réalité de la pensée de Spinoza que d'ailleurs personne ne peut connaître. Mais ce qui est intéressant avec un grand auteur c'est de voir ce qu'on peut faire de sa pensée, peu importe de savoir si parfois on lui est infidèle (d'ailleurs on ne peut jamais savoir exactement ce que la personne a voulu dire).
  • Naess dit que Spinoza a eu une éducation religieuse traditionnelle, selon la vision qui fait de Dieu un être transcendant, au dessus des hommes, et non pas immanent, présent en toute chose. La vision de Spinoza, même si par moments semble être celle d'un dieu au dessus du monde, est la plupart du temps celle d'un dieu immanent, où toute chose est dieu, c'est le panthéisme.
    • Mathieu : il me semble que c'est Jésus Christ ou Padre Pio qui a dit "Ne construisez pas de palais de pierre et de bois, mais soulevez la pierre et le bois et vous me trouverez", ce serait plus du panthéisme.
      • Jean-Luc : effectivement "transcendance = monothéisme et immanence = le reste" ne rend pas compte de la complexité des religions monothéistes qui peuvent inclure des composantes minoritaires immanentes. Mais globalement les gens de pouvoir qui donnaient la lecture dominante privilégiaient la vision hiérarchique, du dieu transcendant maître dont nous ne serions que les esclaves. Si on dit que Dieu est dans le plus humble d'entre nous, dans le mendiant, on va avoir du mal à envoyer la police pour taper sur les pauvres.
        • Mais la vision du dieu transcendant peut aussi avoir des qualités : les grandes églises riches n'auraient peut être pas été obtenues sans cette vision de la richesse. Ceci dit contrairement aux grands monuments comme les pyramides, les grandes églises ont été construites par la base des croyants que par les ordres des puissants.
  • Roman : dans la présentation tu disais que si la substance est ce qu'il y a de plus important et que chaque humain en lui-même n'est pas important ça donne une vision horrible et déprimante, mais on peut très bien considérer que chaque humain en lui-même n'est pas important pris isolément, mais que la somme de l'action de tous les humains est importante au regard du tout, comme les cellules d'un corps qui ne sont pas importantes chacune prise isolément mais sont indispensables toutes ensemble pour faire fonctionner le corps de l'homme.
    • Jean-Luc : le problème c'est que nier l'importance des individus nie leur singularité, et donne une vision des êtres humains comme les fourmis d'une fourmilière, une vision d'un socialisme de caserne où tout le monde est interchangeable. Ce n'est peut être pas horrible mais ça ne m'enthousiasme pas, et je crois que je préfère encore la vision ultralibérale à cette vision-là.
      • le problème c'est que je ne trouve aucun sens à la vie de chaque être humain pris individuellement. Et étant donné cette absence de sens, on peut au moins espérer qu'il se trouve un sens dans la totalité.
        • D'une certaine manière on peut voir ça comme ça, mais quand on pense comme ça au bout d'un moment on a besoin de se bourrer d'anti-dépresseurs...
        • On peut dire que chaque être humain trouve du sens à ce qu'il fait et à ce que font les autres, individuellement et collectivement.
          • Trouver du sens sur le moment oui, mais une fois sa vie terminée c'est comme si il ne l'avait pas vécue pour lui (sauf à envisager une vie après la mort) donc ce sens est, pour l'être humain individuellement, quand même pas mal réduit par le temps. Au niveau collectif par contre on peut imaginer que l'humanité ou l'intelligence puisse trouver un sens dans la complexité et dans l'éternité (ou le temps très long).
            • Pour éviter de trop déprimer une citation de Woody Allen : "L'inconvénient de la gloire posthume c'est qu'on en la connaît qu'après sa mort".
  • Et si on dit que la substance est en chacun de nous, dans la multiplicité des individus ?
    • Si on le dit comme ça on accorde de l'importance aux modes, la substance a besoin des modes, alors que la lecture traditionnelle c'est que les modes sont quelque chose de complètement secondaire dont la substance pourrait se passer.
      • On pourrait très bien dire que les modes sont importants pour la substance, mais que chaque mode pris seul a une faible importance.
        • En tout cas quand Naess donne son interprétation de Spinoza, il ne veut pas dire ça, il veut attirer l'attention sur les modes des individus comme singularités. Par exemple à un moment il dit que nous sommes comme des gouttes d'eau dans un fleuve, puis revient immédiatement dessus en disant que cette image n'est pas bonne parce que rien n'est plus semblable qu'une goutte d'eau dans un fleuve à une autre goutte d'eau dans un fleuve, et ce qui compte c'est de mettre l'action sur la diversité, et donc la singularité.
          Si on dit que les parties sont peu importantes en elles mêmes on peut retomber sur une vision non écologiste en disant : les arbres de l’Amazonie, après tout ce n'est qu'une partie du tout, on peut les supprimer, pareil pour les gorilles, les loups etc. et là on sort de la vision d'écologie profonde de Naess.
          • L'homme a une substance mais il ne peut pas être une goutte, parce qu'on a besoin de talents qui donne un gout à cette rivière, qui donne un être singulier qui arrive à changer les choses. L'être humain vit pour lui-même, ses principes, et une vie pour la communauté dont il fait partie. Si je me sens comme les autres, comme un robot parmi les autres, ça va me détruire, me décourager à bâtir.
            • C'est bien ça, pour Naess nous ne sommes ce que nous sommes que par nos liens avec les autres mais ce qui est important c'est les différences qu'il y a entre chaque individu. Et d'ailleurs Marx critiquait la conception du libéralisme qui voyait la conception des individus comme des atomes indifférenciés. Pour lui aussi ce qui était important étaient les singularités de chacun. Ca va contre certaines idées socialistes déformées qui allaient vers l'uniformisation des pensées, des pratiques.
  • Le livre sur lequel se base la présentation est bien : "La réalisation de soi, Gandhi, Spinoza, le bouddhisme et l'écologie profonde", qui existe en version française.
  • On n'est ni complètement différents, ni complètement ressemblants, on a des caractéristiques communes et des caractéristiques différentes. On a un aspect autonome mais on est tous inter-dépendants.
    • Comme disait Darween nous avons des ressemblances avec le navet aussi... et avec tout ce qu'on peut trouver sur la planète terre.
      • Nous avons 2% de différences génétique avec le chimpanzé, et ces deux 2% font de nous des humains.
        • De plus en plus les scientifiques se rendent compte que les différences qui nous séparent des animaux sont bien moins importants que ce qu'on pensait. On trouve chez les animaux un début de culture qu'ils ont ou ont eu etc.
      • On a quand même tous une forme humaine, c'est par exemple en ça qu'on est ressemblant, on a tous deux bras, deux jambes. Et on a des différences puisqu'on n'est pas tous identiques. Mais il faut qu'on puisse s'accrocher à des références communes, ne serait-ce que pour se comprendre. Par exemple des valeurs, de connaissances, de normes. Cette norme là est commune malgré les différences.
        • Jean-Luc : ressemblances oui, on a des pratiques communes. Par contre les termes normalité, norme me paraît effrayant. Cela dit je suis de mauvaise foi puisque rien ne m'insupporte plus que le non respect de la grammaire qui est normative.
          • Et concernant l'enseignement tu enseignes la même chose à tous les étudiants ? C'est une forme de norme.
            • Oui mais je préférais le temps de l'après mai 68, où les étudiants n'hésitaient pas à exprimer des désaccords théoriques avec les enseignant(e)s. Le contrôle continu était une conquête de l'après 68, aujourd'hui ça a été transformé en quelque chose de normalisateur avec obligation de présence aux cours conditionnant la note. Il faudrait que les étudiants protestent contre la normalisation imposée par les universités.
          • La question est de savoir aussi si la norme est plus coercitive ou plus protectrice pour les gens.
            • Il faudrait travailler sur Foucault pour creuser cette question.
          • La grammaire n'est pas vraiment une norme. Sans grammaire on ne se comprendrait plus du tout. Et les conventions ce n'est pas tout à fait la norme. On a conscience des conventions alors que les normes sont subies inconsciemment.
            • Ces questions soulèvent la notion d'usage. La norme permet de sanctionner un usage, alors que les conventions permettent par exemple de ne pas se rentrer dedans en voiture en roulant tous à droite.
              • Il y a aussi les conventions qui n'ont aucun sens. Exemple : les conventions vestimentaires.
                • Le vêtement a un sens, cf. les travaux de Bourdieu avec l'habitus.
                  • C'est un sens arbitraire dont on pourrait se passer, on le subit, contrairement à la convention du code de la route dont on ne peut pas se passer.
                  • Et les conventions nuit debout ? Elles ont un sens ?