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Villes/Paris/Musée/CR/28 avril 2016 : Le musée comme lieu et enjeu de pouvoir

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== Réunion Musées debout du 28 avril 2016 : Le musée comme lieu et enjeu de pouvoir

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      Le débat part d’un constat: la nécessité d’un décloisonnement. Lors de précédents débats, les discussions sont souvent revenues sur la structure du musée, très isolée et pyramidale.
     Il est noté, pour illustrer ce fait, que dans certains grands musées, les conservateurs bénéficient encore de privilèges (horaires libres, catalogues d’expositions offerts) auxquels d’autres catégories du personnel, y compris scientifique, n’ont pas accès.
        Paradoxalement, cet état de fait souligne la manière d’organiser le pouvoir: sous des privilèges de surface, une illusion de pouvoir, on tend à diminuer l’importance réelle du conservateur.
       Un intervenant remarque que, derrière son image d’espace de culture, le musée cache la partie invisible, celles des “bureaux”. Les étudiants en histoire de l’art ou qui préparent les concours de l’Institut National du Patrimoine découvrent peu à peu la façon dont l’institution est gérée et son aspect politique et politicien.
           Une intervenante, elle aussi étudiante, rebondit en expliquant qu’elle prend graduellement conscience du fossé entre publics empêchés et petite élite au sommet du pouvoir. Le nombre de postes de conservateurs diminue au fil des années, la concurrence devient plus rude et les études sont de plus en plus longues. L’intervenant s’interroge : qui peut se permettre de passer autant de temps dans les bibliothèques, d’enchaîner les stages non rémunérés ? Les milieux sociaux des candidats ne semblent pas diversifiés : tous paraissent venir de milieux plutôt aisés. Malgré les passerelles, programmes type « égalité des chances », l’intégration de personnes issues de catégories de populations défavorisées semble loin d’être acquise. Les musées sont-ils destinés à être éternellement représentés par ces mêmes profils ?
          Un intervenant cite une anecdote rapportée par Charles Sterling, conservateur au Louvre. Alors que ce dernier était étudiant, il fut interpellé par Louis Hautecœur, alors conservateur en poste, qui l’interrogeait sur ses aspirations professionnelles. Lorsqu’il répondit qu’il souhaitait devenir conservateur, Hautecœur lui demanda « Avez-vous de la fortune ? ». Sterling répondit par la négative et le commentaire d’Hautecœur fut sans appel : « Changez de métier ».
          
           Aujourd’hui, il semble inquiétant de constater que ce système aristocratique, qui semblait décliner à l’époque de Sterling, tend à revenir. D’ailleurs, le fait de poursuivre ce genre d’études n’est pas seulement une question de moyens financiers : pour choisir ou même penser à ce genre d’études, il faut être assez privilégié. Cette homogénéité sociale entraîne inévitablement une homogénéité de pensée et de culture : les gens dans les musées sont de moins en moins représentatifs de la société. De plus, les crédits de mission sont en baisse. Afin d’effectuer leur travail dans les meilleures conditions, les conservateurs doivent en partie se financer eux-mêmes dans certaines démarches (déplacements, etc.) : seuls ceux choisissant de faire certains sacrifices pour leur passion ou ayant des moyens financiers propres peuvent mener au mieux leur mission réelle. On cite l’exemple de grands conservateurs, tels Pierre Rosenberg, qui n’ont pu exercer de manière factuelle leur expertise et développer les savoirs que grâce à une fortune personnelle.
               Une artiste prend alors la parole, afin de relater une anecdote vécue lors de son expérience au sein du programme In Situ (résidence d’artistes dans les collèges, organisée par la Seine-Saint-Denis). Lors d’une visite au Musée national d’Art moderne, alors qu’elle accompagnait une classe de 5e à une exposition consacrée à Keith Haring, une élève, ignorant le règlement du musée, a spontanément saisi une œuvre. Son geste est révélateur de plusieurs réalités : notamment  la question de normes fausses, méconnues ou inadaptées. L’adolescente ne possédait pas les clés nécessaires pour se conformer à un comportement jugé acceptable et universellement reconnu dans les musées : ne pas toucher aux œuvres exposées.
            Que fait le musée pour s’adapter à ces publics ? Il est rappelé que les débats de Musées debout interrogent ces pratiques et adressent ces questions de manière globale.
           Un intervenant revient sur la question de la diversité parmi les étudiants se destinant à une carrière de conservateurs : il cite en exemple la chute du nombre de candidats issus de milieux ouvriers au concours d’entrée à l’ENS.
          Pour ce qui est de la relation des enfants aux musées on pose le problème de l’inadéquation entre un comportement spontané et une méconnaissance des pratiques dans les musées. L’intervenant souligne que la norme imposée dans et par les musées s’apparente à une norme aristocratique. Il ne faut ni toucher ni parler trop fort. Lorsqu’on prend le temps d’observer la signalétique, à l’entrée des musées, on constate un nombre impressionnant d’interdits. 
         Le geste de la jeune élève montre un rapport primordial à l’œuvre : l’envie de saisir, de toucher l’œuvre, et pas seulement du regard, est universelle. Au-delà du problème évident de conservation, comment établir un rapport original avec l’œuvre, sans pour autant mettre son intégrité en danger ?
         On rappelle qu’aujourd’hui, beaucoup de choses sont mises en places dans ce sens, même si elles restent insuffisantes : il existe des possibilités d’expériences tactiles, par le biais de reproduction, moulages, etc.
         On revient alors sur l’aspect pédagogique qui doit accompagner l’interdit : faire comprendre aux personnes qui ignorent ces pratiques que leur geste, leur réaction est normale, mais que pour des raisons exceptionnelles, elle n’est pas possible : il faudrait pouvoir faire comprendre le rapport exceptionnel à l’objet qui a lieu au sein du musée, sans pourtant intimider.
        Il faudrait se servir de ce genre d’événements pour faire découvrir la richesse que cache l’interdit et donner du sens à cette frustration.
        On note que cet exemple fait ressortir quelque chose de très positif. Chez cette jeune fille, il y avait une appropriation de l’œuvre et non une intimidation. Car l’intimidation est aussi l’un des facteurs qui empêchent certaines catégories de personnes de franchir les portes du musée, qui sacralise l’œuvre : une pratique nécessaire, mais qui tombe parfois dans l’excès.
        Rebondissant sur ce constat, on revient sur l’importance d’une formation des personnels directement en contact avec les visiteurs, pour qu’ils puissent gérer ce type de situation de manière plus pédagogique.
         La photographie y est parfois interdite (rappelons l’exemple du cas de l’exposition Hubert Robert au Louvre), non seulement pour l’œuvre, mais aussi parfois pour les cartels. Cela tend à démontrer que le savoir est exclusif. Pour contrer cette impression, il faudrait permettre au public d’accéder par des outils plus simples à la conservation du savoir (prendre une photo d’un cartel, plutôt que de le recopier, ce qui n’est guère pratique lorsqu’on visite une exposition).
        Un intervenant remarque alors que toutes ces pratiques, ces interdits relèvent d’une forme de coercition, qui pose une limite dans le rapport du public à l’œuvre. Se la réapproprier, oui, mais uniquement dans les limites établies par l’institution. Le musée dicte donc en quelque sorte la relation “légitime” à l’œuvre : celle-ci devient normative et proscrit toute approche alternative. Or, pour certains publics, il est difficile de s’approprier cette norme, car elle n’est ni évidente ni accessible à tous. Elle en vient à produire un dégoût des musées.
        Le musée confond souvent pouvoir, responsabilité et propriété. Sortant du cadre de sa mission, sa relation aux collections dont il a la charge peut devenir despotique. 
         La liste des interdits est parfois si complexe que même les agents de surveillance la maîtrisent mal. Une observation trop minutieuse, à la loupe par exemple, même en respectant une distance tout à fait raisonnable, peut parfois déclencher l’ire du personnel surveillant les salles, sans que cet outil soit interdit. Celui-ci peut aussi avoir une réaction différente vis-à-vis d’une personne selon qu’il s’agisse d’un membre d’une institution (conservateur, professionnel venu observer une œuvre pour raison professionnelle) ou d’un visiteur lambda, simplement curieux, alors que leurs démarches sont tout aussi légitimes. Cette attitude vise à distinguer les visiteurs, à privilégier une démarche plutôt qu’une autre, donc à opérer une hiérarchie.
         Un intervenant, qui a travaillé comme médiateur dans un musée, explique qu’auprès d’un public d’enfant, il tentait d’avoir un discours inverse et de mettre d’abord en avant ce qu’il était permis de faire et ce qu’on leur demandait de ne pas faire.
         Avec le développement des réseaux sociaux et des smartphones, la photographie est devenue un réflexe et le moyen par lequel on s’approprie les œuvres. C’est un sujet très polémique, car de nombreuses institutions continuent de l’interdire. D’autres l’autorisent depuis peu de temps, comme le musée d’Orsay, par exemple. La diffusion des images d’œuvres pose problème et un parallèle est parfois dressé avec la problématique de l’industrie du disque et du téléchargement. De fait, la photo, même d’une œuvre passée dans le domaine public, est copyrightée. Elles sont souvent la propriété du musée ou du photographe.
        Certaines institutions ont parfois opté pour une approche opposée : Le Rijksmuseum encourage ses visiteurs à photographier les œuvres et à développer des créations autour d’elles.
         Il serait souhaitable de passer d’une logique de copyright à une logique de copyleft et insister pour replacer l’œuvre dans le système. Puisqu’il s’agit de collections publiques, chacun en est propriétaire et dispose du droit d’en jouir.
        En France, la culture semble être un marqueur de classe. Aux États-Unis, en théorie, il y a une volonté de démocratiser l’idée de culture, qu’elle soit accessible à tous.
       Un intervenant rappelle alors que les musées américains sont privés et qu’ils permettent fréquemment, par des expositions, de valoriser des collections privées. Rebondissant sur cette idée, une personne évoque alors le cas AHAE en France, gangster, gourou et photographe coréen, exposé dans deux institutions publiques en France (un pavillon dans le jardin des Tuileries, un autre à Versailles). Certains musées acceptent des financements qui viennent de sources très opaques.
          Le mercato culturel est aussi évoqué. Cette pratique politique qui consiste à « caser » certaines figures à la tête d’institutions culturelles ou de musées, ainsi instrumentalisés comme « joujoux ». La politique fait du culturel un enjeu de « vitrines ». Exemple, le château de Versailles, qui devient une “maison de retraite”.
          Cependant, certains notent que si le mode de nomination est scandaleux, les réseaux de ces personnes extérieures au monde de l’art ouvrent des perspectives pour l’établissement. C’est le cas à Fontainebleau, où l’énarque Jean-François Hébert est à la tête de l’institution, et ouvre des possibilités différentes de celles que pourrait offrir un conservateur. Malgré la nécessité de nommer des personnes éminemment compétentes, est-ce qu’une ouverture à des personnalités hors du milieu ne redistribue pas les possibilités ?
           Pour autant, cette logique ne révèle-t-elle pas une contradiction, puisqu’on déplore d’une part la prédominance d’une certaine élite, mais on retrouverait ainsi une autre forme d’élite ? D’un point de vue politique, il s’agirait néanmoins d’un bouleversement dans ce microcosme. La présence d’une personnalité éloignée du sérail décentre le musée.
          On revient ainsi sur le rapport ambigu, parfois contradictoire entre les élus et l’art.
          Un intervenant cite l’exemple du musée Ingres à Montauban privé d’accès à des comptes sur des réseaux sociaux, sans doute par peur de discours différents/dissidents sur la politique de la ville. A contrario, d’autres élus veulent parfois « leur » musée, vu comme un enjeu de prestige, puis s’en désintéressent.
          Certains élus présentent aussi le musée comme un moyen de revalorisation de la région, à la fois culturel et économique. C’est par exemple le cas dans la région Nord-Pas-de-Calais.
          L’exemple de la création du Louvre-Lens est évoqué, avec un constat : le musée pose question, en partie parce que les projets scientifiques sont conçus ailleurs. Mais le parallèle avec le Louvre est intéressant : la façon dont le musée est pensé différemment, loin du palais immense et intimidant, de l’aspect « 1er musée du monde », et présente une scénographie strictement chronologique qui permet de mettre en présence des objets et thématiques diverses. Les visiteurs locaux y sont nombreux et il semble qu’ils éprouvent à son égard une forme de fierté et d’attachement.
            En opposant les logiques du Louvre et du Louvre-Lens, on retrouve le problème intrinsèque de faire un musée pour faire du tourisme et répondre à un besoin. Or, le Louvre-Lens répond à un problème social.
           On prend aussi l’exemple des musées évoquant le patrimoine textile. D’un côté, il existe un véritable enjeu de valorisation des anciens ouvriers et de leur patrimoine. De l’autre, les élus y voient une opportunité de revitaliser le prestige et l’économie de leur commune. D’où des luttes de pouvoir qui prennent en otage un besoin patrimonial.
          Dans les régions sinistrées, la création de musées thématiques semble être devenue un réflexe, qui s’inscrit dans une démarche très active de réhabilitation du tourisme, soutenue par des enjeux économiques et politiques. Les élus les utilisent aussi pour atténuer la crise actuelle en communiquant sur une sorte de gloire passée, qui rendrait une fierté à ceux qui souffrent de la désindustrialisation.  Il est souvent question de « redynamiser » la ville, mais concrètement, combien d’emplois sont créés ?
               D’ailleurs, de nombreux musées ou maisons de culture sont créés uniquement pour le prestige qu’elles confèrent à certains élus, mais on peut s’interroger sur leur avenir au-delà du mandat de ceux qui les initient. C’est une question qui a pu se poser lors des dernières élections régionales, par exemple.
           Nombre d’entre elles sont impulsées par l’idée préconçue qu’un musée va automatiquement engendrer de l’argent.
            Le problème viendrait en partie de la politique de la Direction des musées de France dans les dernières années, qui a vendu les musées aux élus comme un véritable capital économique et touristique et qui a assuré à tort les élus de la viabilité de ces projets. Cela dénote une irresponsabilité de la part de ceux qui poussent les maires à la création de musées : les investissements deviennent hors de proportions par rapport aux moyens et aux besoins réels. L’intervenant cite l’exemple du musée de la dentelle à Retournac, démesuré pour ce village auvergnat. Cette politique a renforcé l’incompréhension des élus sur le rôle que les musées peuvent jouer dans la société. Ils le considèrent comme un investissement, pas comme un outil social et culturel.
           La question du mécénat est aussi abordée : lorsque les moyens sont faibles, il est indispensable pour favoriser la création des musées. Par ce biais, les entreprises trouvent un moyen de promouvoir leurs activités. Le risque de dérive n’est pas exclu. 
           Ce qui replace bien le musée comme lieu de pouvoir : chacun y voit un enjeu différent et les acteurs de la construction (politiques, mécènes, collectionneurs privés, comme par exemple au musée de la Grande Guerre, à Meaux) y voient une manière d’exercer leur enjeu propre.
           On peut donc s’interroger sur la responsabilité de l’État. Avant la réforme des années 90, le musée était à la charge des collectivités territoriales, mais sous la direction de conservateurs d’État, une logique qui existe encore dans les archives départementales. Le personnel scientifique n’avait alors pas de relation hiérarchique avec les élus, comme aujourd’hui. Cela rééquilibrait le système.
           Aujourd’hui, la place pour un discours critique comme c’est le cas au musée de l’immigration n’est plus garantie, y compris dans les musées d’Etat. 
          Ce constat amène certains questionnements, comme celui de la nécessité de redéfinir le métier et les concours de conservateurs, mais aussi celui de l’utilisation politisée de la mémoire. Comment s’assurer que l’interprétation en reste aussi impartiale que possible alors que certains pouvoirs considèrent le musée comme un outil pour transmettre leur version.
          Une intervenante s’interroge alors sur la pertinence d’un modèle ouvert comme celui du 104 pour renouveler le musée, qui deviendrait le lieu de diffusion d’un art vivant.
          L’hybridité du lieu est en effet intéressante et il construit souvent sa programmation en parallèle de celle des musées classiques. L’idée de pouvoir visiter une exposition dans un lieu où l’on croise aussi un public de proximité qui investit librement l’espace central (avec de la danse, du cirque, du chant, etc.) redynamise vraiment l’institution culturelle. 
         Les maisons de la culture telle que les voulait André Malraux se fondaient sur le même principe. Mais est-ce que le passage vers le musée se fait ?
          Une intervenante, artiste, évoque son expérience d’exposition au 104 : elle y avait vraiment vu un public nouveau, non familier des musées. Pour ce public, un tel lieu permettait de mettre le pied à l’étrier.
           On revient sur une idée déjà formulée à Musées debout : il faudrait envisager des “musées de proximité”, à l’image de bibliothèques de quartier.
              Une intervenante évoque le spectacle-conférence de Franck Lepage, “Inculture(s)” : il y présente l’échec de la culture comme moyen d’intégration des classes populaires et les raisons de cet échec. Il y fait par exemple le constat qu’avant la création du Ministère de la culture par André Malraux, de tels ministères n’avaient existé que dans les régimes totalitaires (nazi ou communiste). Cette sacralisation de la culture dans la politique gouvernementale produit une norme présentée voire imposée aux populations défavorisées. La culture peut-elle être unique, une aventure collective à laquelle on adhère afin de s’approprier une histoire ? On revient à la question de l’appropriation par le public populaire de cette culture d’élite.
                Un intervenant dresse une distinction entre une sacralisation de la culture socio-démocratique (qui chercherait à apprendre aux classes populaires la culture de l’élite) et une sacralisation révolutionnaire ou communiste (qui chercherait à leur faire revendiquer leur propre culture).
                Il faudrait abolir ces distinctions de culture et n’en avoir qu’une, commune à tous. Le musée permettrait justement l’appropriation de cette culture qu’on n’a pas.
               Mais il est plus facile pour un membre des classes aisées de s’ouvrir à une culture différente de la sienne. Pour un public populaire, il y a non seulement un manque de familiarité mais aussi un risque de dissolution de sa propre identité.
               Un intervenant dresse un parallèle avec les concours: du jour au lendemain, ce sésame permet de passer de l’état de “rien” à l’état de “tout”, une logique typiquement française, très différente de la hiérarchie anglo-saxonne, où, dans le cas des conservateurs, on gravit progressivement les échelons de “assistant- curator” à “curator”. 	
               Malgré une population diversifiée dans le musée, le système de formation en interne n’est pas satisfaisant: les postes, les services sont extrêmement cloisonnés par les grades, impossible de redistribuer. Le développement, l’évolution des carrières n’est pas possible. Le musée est mixte, mais la répartition des tâches ne l’est pas. 
               Mais il faut faire attention à ne pas appliquer une logique d’entreprise à un service public. Aujourd’hui les passerelles, lorsqu’elles existent, donnent lieu à des situations aberrantes, voire hypocrites, comme le souligne une intervenante, avec l’exemple d’un agent d’accueil passé assistant de conservation par ancienneté, sans avoir suivi aucune formation. L’avancement est une illusion que l’on fait miroiter en fin de carrière, sans plus.
               Il faut donc une plus grande fluidité au sein du musée, grâce à de véritables écoles de formations. 
              On évoque l’exemple de la loi Sauvadet, qui permet la titularisation d’agents contractuels par la validation d’acquis.	
               Retour sur le problème de la sacralisation du musée en France, par rapport à certains autres pays, où ses collections sont plus accessibles. Une intervenante cite l’exemple du Bureau national pour la documentation relative à l’histoire de l’art (RKD) à La Haye. À la bibliothèque, des documents originaux sont consultables très facilement. L’accès est payant, mais le tarif très raisonnable (3€ ou 1,50€ pour les étudiants) et les visiteurs demandant des communications de documents sont accueillis par les conservateurs: ces derniers s'intéressent aux recherches et le contact s’établit. 	
                Les pays du Nord de l’Europe ne sacralisent pas l’autorité comme nous, y compris pour les hommes politiques. Mais, en France, nous sommes complices de cette sacralité, caractéristique de notre monarchie républicaine.
               Un intervenant souligne alors la difficulté d’instaurer des contre-pouvoirs dans la culture, car celle-ci semble utilisée pour maintenir certaines traditions. La masse populaire peut parfois grappiller des espaces, mais ces tentatives restent marginales, voire prohibées. On cite alors l’exemple des dialectes régionaux: si certains se battent pour les pratiquer et les préserver, ils sont parfois perçus comme le contraire d’une pratique culturelle “noble”.
              Ces contre-pouvoirs existent peu dans les musées. Néanmoins l’exposition actuellement présentée au Louvre: “Un Musée révolutionnaire - Le musée des monuments français d’Alexandre Lenoir” présente justement comment Lenoir a pu instaurer une	forme de contre-musée face au Louvre, un discours alternatif que l’institution a fini par intégrer dans ses collections, bien que cette intégration se soit faite par confiscation. 	
              Le problème, soulève une intervenante, est que ce contre-pouvoir existe bel et bien, mais qu’il s’exerce uniquement dans des musées associatifs ou minuscules, fonctionnant à l’échelle locale. 	
                À quel niveau interviennent les acteurs privés, qui constituent des dépôts cachés? Sont-ils les nouveaux contre-pouvoirs ? Leurs initiatives donnent souvent naissance à des fondations, mais elles se résument à des monstrations d’œuvres. Quid du rôle de la mairie de Paris, par exemple, qui cède un espace à la Fondation Pinault? Que fait Paris de ses propres musées? La redistribution est un contre-pouvoir et le musée peut se rappeler que le contre-pouvoir, c’est lui. 	
               La question du droit de préemption des œuvres par les musées est alors abordée. Pour qu’il soit appliqué, il faut que les œuvres passent en vente publique. Le problème est souvent le manque de crédits disponibles et les délais administratifs. Mais c’est un bon outil pour garantir la capacité des pouvoirs publics à enrichir les musées d’oeuvres importantes qui sinon seraient dans des collections privées peu accessibles.
              Une intervenante revient alors sur un problème plus large: le travail et le lien concret entre le rythme de travail et la participation à la culture. Pour s’inscrire dans cette logique, il faut avoir du temps. Et pour redonner de la visibilité à la culture, il faut réintégrer la question de son rôle, au-delà de sa simple assimilation à un divertissement. La question du budget est aussi relancée: il faut avoir les moyens de consacrer du temps à la culture. 

Une autre intervenante explique que les gens de milieux modestes, même lorsqu’ils arrivent à pousser la porte des institutions culturelles, ne s’y sentent pas à leur place.

              C’est dans cette logique qu’une intervenante revient sur l’initiative de “Spectateur debout”, qui cherche à réactiver la pratique de la critique autour de l’art, en particulier du théâtre, afin que le public retrouve une confiance dans son propre jugement et puisse oser parler d’art. Elle souligne également que dans les musées et les lieux artistiques, l’affirmation d’une culture élitiste est parfois pernicieuse, y compris dans les cafétéria où l’on propose thé et petits gâteaux.
             Pour certains, la création du ministère de la Culture a entraîné une scission entre l’art et le peuple. Elle a contribué à cloisonner la culture, à la normaliser, créant ainsi une barrière psychologique, séparant ceux qui sont “dedans” de ceux qui s’en sentent exclus. Peut-être la solution passe-t-elle par sa suppression.
              Un intervenant rappelle alors que tous les musées ne sont pas gérés par le ministère de la Culture et que ces musées, justement, font l’objet d’une gestion difficile. Le ministère présente l’avantage de s’atteler exclusivement à ce type de tâche. Il assure au moins la pérennité d’un budget et d’une politique spécifique à la culture. Par contre, il instille l’idée qu’il y a un “monde de la culture” séparé du reste de la société et pose ainsi une première barrière psychologique.
            La barrière n’est pas seulement psychologique mais aussi financière. 
         On peut tout de même s’interroger sur l’avenir des musées sans le ministère de la culture : l’Etat se désolidarise de plus en plus de leur financement et de leur gestion.
         Le musée n’est pas un lieu démocratique. On évoque ici la question du devoir de réserve. On peut noter l’absence de personnel/acteurs du musée à Musée debout ou quelques personnes préférant écouter sans intervenir ou garder l’anonymat. On peut se demander si les gens du monde de la culture s’intéressent à la situation des milieux modestes.
          Le monde de la culture se berce de l’illusion que tout le monde peut comprendre l’art, alors que cela demande un apprentissage. 
          Cette idée de l’apprentissage critique est fondamentale. Il y a une vraie hypocrisie dans la programmation des institutions culturelles, qui se revendiquent d’un art critique mais sont le plus souvent très consensuelles. Plus le public sera exigeant, moins les institutions pourront “tricher” dans la qualité de ce qu’ils présenteront au public. Une fois de plus, on avance l’idée de redonner confiance au public dans son jugement. C’est lui qui doit se poser en contre-pouvoir.
          Ce n’est pas l’art en soi qui est élitiste, c’est la manière dont on le présente. Il faut abandonner l’idée que c’est un savoir érudit qui permettrait d’avoir une expérience artistique. Ce sont les modes de lecture qu’il faut transmettre : tout le monde est capable d’être touché par la tragédie d’Andromaque ou le drame d’une Pietà, sans en connaître le contexte. C’est l’approche élitiste qu’on veut donner de l’art qui l’empêche d’être politique, car elle contrarie l’appropriation par tous.
           Le spectacle vivant a le même problème de diversité des publics. 
                       Le véritable souci est que les institutions réfléchissent à des politiques de public pour un public fantasmé, qu’elles ne comprennent pas. Que ce soit du côté du public ou de celui des institutions, chacun projette sur l’autre ce fantasme d’un groupe incapable de comprendre l’autre : c’est cette fracture qui empêche le musée de devenir un véritable lieu politique.

Le débat continue un moment sur ces questions de démocratisation culturelle puis se disperse.