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Villes/Paris (Denfert-Rochereau)/AG du 19 mai

De NuitDebout
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4e Assemblée populaire citoyenne de « Quatorze Debout »

Nuit Debout du 14e arrondissement le 19 mai / 80 mars 2016, Denfert-Rochereau

Compte-rendu synthétique des débats

Rétrospectivement, la problématique du pouvoir et des relations de pouvoir a fait office de fil rouge des discussions : relations de pouvoir et de hiérarchie dans l'entreprise, crise de la représentation démocratique et accaparement du pouvoir politique par un petit groupe, prise de contrôle des rentiers et des héritiers sur l'économie et la société au détriment des créateurs, mais aussi opacité de l'exercice quotidien du pouvoir à plusieurs niveaux, et modalité d'exercice d'un pouvoir des citoyens (démocratie réelle).

1. Situation politique actuelle

L'attitude actuelle du gouvernement témoigne d'un glissement autoritaire inquiétant et d'un authentique mépris pour le débat démocratique et l'idée même d'un pouvoir citoyen. Le gouvernement refuse le dialogue, y compris avec son propre parlement, il réprime des manifestations légales et demande à la police d'utiliser des techniques très dures, contre l'avis de certains syndicats de policiers !

Plus généralement, cette loi est une violation complète du programme sur lequel François Hollande a été élu. C'est la énième preuve du double discours systématique de l'exécutif, après la mise en œuvre du CICE, ou le revirement sur les traités européens. Aujourd'hui (19 mai), la presse a révélé le double jeu du gouvernement français sur les négociations du traité de libre échange transatlantique (TAFTA ou TTIP). Tout en se disant peu satisfait et très exigeant devant l'opinion publique, en coulisses, la France est l'un des gouvernements les plus favorables aux dérégulations, et prône le recours systématique à des tribunaux d'arbitrage privés plutôt qu'à une réglementation universelle pour trancher les litiges commerciaux à tous les niveaux. En Angleterre, la campagne référendaire porte beaucoup sur le rôle de l'UE dans le TAFTA et le risque d'une privatisation de l'assurance-maladie imposée via des traités antidémocratiques. On peut d'ailleurs relever qu'il y a bien, en ce moment des changements subreptices dans la fonctionnement de la Sécurité Sociale qui favorisent le traitement des assurés sociaux comme clients d'un prestataire de service… Et le gouvernement est bien en peine pour donner des garanties fiables qu'une privatisation n'est pas à l'ordre du jour. Le lien de confiance entre citoyen.ne.s et gouvernants s'est perdu. Aujourd'hui le sentiment est que les gouvernements mènent une politique systématique de casse de la protection sociale quelles que soient leurs promesses électorales et leurs supposées idées, et mentent aux citoyen.ne.s.

2. La caste au pouvoir

Outre évidemment les situations de conflit d'intérêt, de pantouflage et plus généralement de porosité entre la « classe politique » et l'oligarchie économique et financière, deux points sont cités pour symboliser l'accaparement des pouvoirs décisionnels par une caste (une classe?).

Le fait que la politique soit une carrière favorise la mise au pas d'éventuels individus « rebelles » ou prêts à jouer contre la classe dominante, puisque des élu.e.s qui n'ont pas exercé de métier depuis dix ans, quinze ans, parfois même jamais, sont souvent dans une situation objectivement difficile pour retrouver un emploi sur le marché du travail « normal ». Cela les place de façon plus ou moins consciente dans une situation de dépendance vis-à-vis des appareils et des structures de la domination. Ce point explique peut-être aussi l'attitude actuelle de certain.e.s des « frondeurs ». Plus généralement, la constitution d'un « métier de politique » doté de son propre système de valeurs et exposé à une tentation de techniciser la politique et le social pour le soustraire au débat est un problème structurel des démocraties libérales. En pratique, cela signifie que le corps civique est dessaisi de la prise de décision et que le pouvoir se concentre entre les mains d'un groupe socio-professionnel avec ses codes, ses pratiques etc. qui va naturellement avoir tendance à s'amalgamer aux classes économiques dominantes.

Celles-ci, justement, ne sont pas identiques au « patronat » pris en bloc, et surtout pas à la figure du capitaine d'industrie ou du self-made man (si tant est que ça existe vraiment : même le self-made man est tributaire d'un système éducatif, d'infrastructures collectives, d'une réglementation économique nationale, d'un marché qui est un phénomène social, etc.). Aujourd'hui la prise contrôle de la moitié de la richesse mondiale par 1 % de la population est liée à une dynamique d'héritage et d'accroissement des capitaux déjà acquis. Les fondateurs d'entreprises ne sont pas ceux qui profitent de l'état actuel du capitalisme, et certainement pas non plus les petits patrons ou les entrepreneurs individuels, qui sont souvent exploités ou plumés comme les salariés. Cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer à la question de l'organisation générale des entreprises (autogestion), mais il faut bien voir que la classe managériale et rentière qui pilote le capitalisme n'est pas « le patronat », mais peut-être bien plutôt « la bourgeoisie d'affaires ». De ce fait, deux questions doivent être posées, qui correspondent à deux armes à utiliser – mais dans quel ordre et dans quelle proportion ? Il y a des désaccords sur ce point et le débat n'est pas tranché :

- le salaire maximal (qui vise plutôt la dimension managériale de l'oligarchie). - les droits de succession pouvant aller jusqu'à un impôt confiscatoire sur les héritages au-delà de tel ou tel seuil. Ne pas oublier qu'il y a déjà des possibilités importantes de donation exemptées de frais, donc ce n'est pas d'un « impôt sur la mort » visant les « classes moyennes » que l'on parle.

Dans les deux cas l'idée est d'assécher la classe dominante, soit en l'amalgamant au commun (salaire maximal) soit en empêchant sa reproduction (impôt sur l'héritage).

Le salaire maximal fait le lien avec la problématique de l'organisation générale de la vie sociale dans l'entreprise, avec des modèles comme celui de Bernard Friot , qui prône une socialisation du salaire : même grille salariale pour tous, les salaires sont directement versés par l'Etat à partir de cotisations sociales doublées ou triplées, en contrepartie de quoi on accorde une restructuration de dette aux entreprises, qui de toute façon ne perdent pas grand-chose au jeu puisque l'augmentation des cotisations va de pair avec la fin du versement des salaires.

3. Démocratie réelle

On en vient par là à la question de l'organisation de la démocratie politique, économique et sociale. L'autogestion, le salaire social (ou « salaire à vie ») sont des instruments de socialisation de la richesse ET de transformation des relations de pouvoir entre classes / groupes sociaux, à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise.

De façon générale, l'appel à l’État ne résout pas beaucoup de problèmes. Actuellement, l’État avance main dans la main avec le MEDEF pour promouvoir une loi que beaucoup de petits entrepreneurs jugent inapplicable, inutile voire dangereuse en termes de climat social. On sait aussi que l’État patron est lui-même un des pires patrons de France : précarité, bas salaires, non-respect du droit du travail, morcellement des statuts qui empêche une action collective visible et efficace…

De ce fait le combat pour la démocratie économique et sociale est indissociable de celui pour la démocratie politique réelle. De la même manière que le combat sur les lieux de travail passe par des mesures visant à briser la domination d'une oligarchie et à empêcher sa reconstitution, le combat politique implique des mécanismes de représentation qui ne soient pas des mécanismes de dépossession mais qui garantissent au corps civique la possibilité de reprendre le pouvoir quand il le souhaite, sans reconstitution d'une classe politique. Parmi les pistes avancées, le non-cumul des mandats dans le temps fait figure d'évidence. Ici ou là, pour des charges exigeant une très bonne connaissance de dossiers précis et où l'exercice du pouvoir est par ailleurs très encadré, on peut envisager qu'un mandat soit renouvelé une fois, mais cela doit être exceptionnel. En règle générale, il paraît difficilement concevable qu'un.e citoyen.ne puisse exercer une charge élective plus de six ans sans cesser d'une façon ou d'une autre de s'identifier au corps civique dans son ensemble.

Au-delà de cette première mesure, on doit poser la question d'une part de tirage de sort dans les instances délibératives, afin d'éviter une prime aux détenteurs de l'hégémonie intellectuelle et/ou d'un savoir supposément technique mais fortement susceptible de relever de l'idéologie spontanée de la classe dominante. C'est notamment le cas en économie, où l'on présente comme relevant du savoir technique voire trivial des propositions en réalité très disputées dès lors qu'on les confronte à un minimum d'exigences de scientificité. En règle générale, le peuple ne doit pas déléguer son pouvoir à des « experts », en particulier ceux légitimés par un système médiatico-académique lui-même verrouillé idéologiquement et financièrement et mis au service de l'ordre établi.

Du même coup cela pose la question de la compétence. On ne peut pas vouloir confier le pouvoir suprême (si tant est que l'on veuille conserver un « pouvoir suprême » à confier) au premier venu, ni à un organe choisi uniquement sur des critères de représentativité statistique. Indépendamment du fait qu'en France un quart du corps électoral est séduit par le Front National, ce qui pose toute une série de problèmes de représentation, il faut parfois acquérir une certaine maîtrise de dossiers très techniques (ou rendus très techniques pour décourager les citoyen.ne.s de se les approprier). Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour un système mixte. Par exemple, constituer des commissions de propositions qui concentreraient le savoir-faire, et donc une part d'expertise, et une Assemblée populaire qui serait pleinement représentative et statuerait.

Cela dit, la fascination pour l'expert et la technicisation du pouvoir sont sans doute des problèmes qu'on ne peut pas simplement contourner par un artifice constitutionnel. Quelle que soit la solution institutionnelle retenue, il appert que la démocratie réelle impliquera à un moment ou à un autre que le corps civique dans son ensemble se saisisse de questions complexes et exigeant un certain degré de maîtrise des enjeux économiques, sociologiques, géopolitiques, écologiques auxquels la collectivité doit répondre. En dernière instance, la démocratie réelle n'est dans pas possible sans un mouvement d'éducation populaire de masse et de conscientisation des citoyen.ne.s.


4. Education populaire et mobilisations citoyennes

Un peu comme pendant la campagne référendaire de 2005, le mouvement contre la Loi Travail a vu un texte extrêmement et délibérément technocratique passer sur la place publique et être soumis à une critique contradictoire et ouverte par des groupes sociaux extrêmement différents, sans d'ailleurs forcément faire de la recherche d'un accord sur le texte lui-même un véritable enjeu. Dans le cas de Nuit Debout et des mouvements qui s'en inspirent comme celui de Denfert-Rochereau, la prise de parole collective et l'échange contradictoire acquièrent une valeur en soi : « faire du commun » et créer du lien social face à un texte qui prône au contraire le morcellement et la concurrence de tous contre tous.

Le leitmotiv de ces réunions est la prise de parole informelle, l'échange sur l'état du monde, l'analyse de solutions alternatives possible,s bref : l'éducation politique des citoyen.ne.s par les citoyen.ne.s. Dans ce mouvement, la critique des médias dominants, qui sont aussi les médias des dominants, occupe une place prépondérante. La télévision, la presse apparaissent comme une « fabrique du consentement » qu'il convient de remettre en cause.

Les débats entre économistes sont une bonne illustration de l'endoctrinement des esprits, qui rend les solutions alternatives littéralement inimaginables. Le consensus général des économistes médiatiques sur un certain nombre de réformes d'inspiration néolibérale relève largement de la fiction sur le plan scientifique. Les voix discordantes et les modèles alternatifs sont nombreux, mais sont aussi systématiquement écartés que possible. À cet égard, le succès récent d'un hétérodoxe comme Thomas Piketty relève presque de l'accident industriel. Ainsi, Jean Tirole, en se servant de la légitimité (pseudo-)scientifique du prix d'économie de la Banque de Suède, abusivement qualifié de Prix Nobel d'économie, a réussi à empêcher la création d'une section d'économie politique dans l'instance universitaire chargée de reconnaître la validité des thèses de doctorat françaises, et sans l'aval de laquelle on ne peut pas enseigner sur un poste fixe à l'université. Concrètement, cela signifie que l'ancienne école française d'économie, très ouverte à l'histoire et à la sociologie (on a déjà parlé de Bernard Friot, on pourrait citer Thomas Piketty), voit ses représentants systématiquement discriminés dans les universités au profit des défenseurs de modèles mathématiques idéalisés niant presque toujours les déterminations sociologiques, culturelles et démographiques, mais aussi les facteurs de classe, de genre, d'ethnie etc. dans l'économie du travail, des échanges et des revenus, et aveuglés en particulier par le culte de la monnaie et de la stabilité des prix. Cette école dite néoclassique inspirée des modèles mis en œuvre par l'Ecole de Chicago et Milton Friedman (les conseillers économiques de Pinochet au Chili...) est hégémonique à l'université, dans les médias, dans les ministères etc. et dans le débat public.

Il y a donc un véritable enjeu de remise à plat du débat public et de propagation d'autres modèles scientifiques et pratiques d'explication des rapports sociaux, politiques et économiques. Cette remise à plat ne peut se faire par en haut, puisqu'elle implique elle-même un renouvellement complet de la structure des médias, de l'université et plus généralement de l'expression publique en France et au-delà. Il faut donc multiplier les rencontres sur la place publique, les interpellations citoyennes, les universités populaires et les canaux médiatiques indépendants et autogérés, pour briser le monopole des classes dominantes sur l'interprétation du monde. L'ignorance, le consentement, la confiance aveugle placée dans une parole autorisée ne servent que les intérêts de l'ordre établi.

Nous devons prendre la parole et ne plus la rendre, nous devons faire du bruit et continuer à nous voir et à nous faire voir des classes dominantes et de nos concitoyen.ne.s. Nous devons continuer à dire que d'autres façons de penser et d'agir sont possibles. Nous ne devons pas chercher le consensus mais au contraire exhiber la multiplicité des questions et des solutions. Sans cela nous ne pourrons jamais reprendre le pouvoir. Et même si nous le reprenons, nous le perdrons à nouveau si nous cessons d'exiger le droit de questionner et d'apporter une pluralité de réponses.

Prenons la parole ! Passons à l'action !